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tome 1, Chapitre 5 « Un jour d'été » tome 1, Chapitre 5

La muse estivale, ce jour-là, s'était plue à rayonner de milles éclats, réchauffant le monde ardemment et faisant éclore les derniers bourgeons encore endormis, se faufilant entre les ramures verdoyantes pour mieux en accentuer les effluves musquées, entêtantes. L'air marin, bien que tout à fait frais pour la saison, ne parvenait à braver la chaleur et s'évanouissait en elle, vaincu, épuisé ; faisant frémir sur son discret passage quelques fleurs, quelques herbes qui applaudissaient généreusement son exploit, s'étreignant provisoirement avant de reprendre leur position, se languissant sous les caresses du soleil.

Les fleurs tombantes de l'halesia sous lequel elles avaient trouvé refuge esquissaient au-dessus d'elles une voûte florale odorante, les préservant de leurs pétales virginaux de la lueur mordante du jour. De temps à autre, les rameaux laissaient percer un rayon de lumière qui alors venait se perdre sur une épaule, une joue, une mèche de cheveux ; en rehaussant la nuance, en redécouvrant la rondeur puis se voyait de nouveau rejeté du cocon inviolable dès lors que les grappes de fleurs reprenaient leur place, conservant jalousement en leur sein les deux âmes qui s'étaient retirées à leur pied.

— Il fait chaud aujourd'hui...

Käjya avait acquiescé à cette observation, essuyant d'un revers de sa manche la sueur qui perlait sur sa nuque. Son corset la serrait atrocement en cet après-midi de juin, les baleines lui rentraient sans vergogne dans la peau et les liens qui le maintenaient comprimé contre sa poitrine ne semblaient guère enclins à se desserrer pour adoucir quelque peu son calvaire ; tant et si bien qu'elle s'en serait volontiers débarrassée si sa crainte de ne pas être comme il faut ne l'en avait pas retenue fermement.

Les boucles rousses de Hilde étaient venues frôler son épaule.

Les doigts de Käjya s'étaient empressés de quitter les siens, remontant le long de son épaule nue, sa nuque humide pour se perdre dans la source fauve. Les mains de Hilde s'étaient détendue sur la conque brune qu'elles avaient trouvée et destinaient à leur promontoire -le tas, au fil des ans, s'était mué en un solide cairn de coquillages aussi variés que le fussent leurs rencontres-, tandis qu'elle laissait aller ses lèvres sur la chair halée de sa partenaire, la faisant frémir sous ses baisers. Et à nouveau, leurs doigts étaient venus se lier fougueusement, s'enlaçant fébrilement, se redécouvrant après des années d'innocents embrassements. La conque s'était échouée sur l'herbe verdoyante, sa surface encore humide se souillant de terre brune, le soleil soulignant sur sa coquille l'ombre furtive des fleurs frémissantes alors que les deux seules âmes de la forêt s'unissaient, reliées par un pont de mots affectueux par trop étouffés. Se répondaient de concert comme deux ventricules d'un cœur soumis aux assauts d'un incontrôlable brasier.

Il n'y avait plus qu'elles. Il n'y avait plus que Käjya et Hilde, enivrées par les exhalaisons grisantes des fleurs, animées par ce juvénile orgueil qui leur clamait que rien ne saurait les séparer, leur murmurait qu'aucune lame ne pourrait étioler leurs liens. Leurs deux profils s'étaient approchés, hésitants au demeurant, effrayés par cet inconnu auquel ils se laissaient aller, pour ne former plus qu'un seul visage avec cette passion ardente que la crainte attise au-delà du sensé ; asymétrique, imparfait mais que rien néanmoins n'aurait su mutiler.

Puis les rameaux fleuris s'étaient tus, se détournant pour mieux préserver l'inviolable intimité de cet instant, leur insatiable curiosité guère satisfaite que par le froissement velouté des jupons de popeline s'affaissant à terre, le bruissement des cordons glissant dans les œillets de métal enfoncés, des toilettes légères caressant la chair à nu, la couvrant de frissons tandis que les lèvres exaltées en délimitaient chaque infime parcelle, la faisant rougir sous ses assauts.

Il n'y avait plus que leurs murmures, leurs gémissements enflammés, échos d'un amour clandestin ; plus que les effluves de la terre et des fleurs, la caresse dilettante du soleil sur leurs corps offerts. Käjya se perdait en Hilde, et Hilde s'égarait en Käjya, s'agrippant l'une à l'autre avec passion, s'enlaçant toujours plus fort, se laissant aller à ce feu qui les consumait, leur brûlait les entrailles, les poussait aux confins de l'inexploré. Puis les flammes qui grondaient dans son bas-ventre l'avaient dévorée toute entière et Käjya, agrippée à son amante comme si toute son existence en dépendait, l'étreignant avec toute l'affection dont son cœur débordait, s'était abandonnée à la volupté, dépossédée de sa raison, étourdie par la fragrance sucrée de l'halesia ; ivre de sa chaleur, de son odeur, de ses baisers.

Ivre de Hilde.


Texte publié par Yukino Yuri, 27 septembre 2020 à 16h53
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