Le promontoire sur l'écore offrait un panorama majestueux, une vue imprenable sur la mer du nord s'étalant à l'infini, côtoyant les cieux jusqu'à la ligne d'horizon, inspirant à Hilde des désirs ivres d'évasion, insufflant à Käjya des ambitions plus grandes qu'elle-même, fantasques, irréalisables. Il était l’impassible gardien de la plage juché sur les hauteurs, patient observateur des caprices de l'océan, silencieux témoin de l'amitié qui liait ses deux protégées et dont la complexité était à venir, bien qu'au demeurant elle s'illustrait d'une innocence propre aux enfants. Et au-devant de lui, là où les barrières de bois couvertes de mousse et de pousses intrépides séparaient la terre du ciel, elles déposaient leur offrande nacrée, le palladium de leur rencontre. Empreint soit de rires :
« Tu racontes vraiment des bêtises, Hilde ! Mais tu as tellement d'imagination que ça reste toujours
drôle ! »
Soit de cris rageurs :
« Je te déteste ! Tout est de ta faute ! À cause de toi, on s'est fait gronder ! »
Soit de larmes :
« Je suis désolée, je voulais pas dire ça ! Je suis si désolée, Käjya ! »
Soit de joie :
« Regarde ! Une aurore boréale ! On a bien fait de rester éveillées ! »
Soit d'un mélange de tout cela qu'elles dédiaient à la prospérité pour ne jamais oublier, ne jamais omettre une seule de ces secondes qui n'appartenaient qu'à elles, juste à elles.
Le vent s'était fait plus mordant, plus glacé sous les provocations silencieuses de l'hiver pressant. Käjya avait blotti ses jambes contre son sein, compromettant sa toilette brodée de lavandes pour un peu plus de chaleur, se blottissant davantage dans sa cape en flanelle cramoisie pour se dérober aux étreintes désagréables de la bise marine, s'arrachant aux lèvres apathiques de cette nymphe à la chevelure grise parsemée de flocons.
Ses yeux d'ambre s'étaient détachés du céleste lointain pour se rabattre sur la grève terne, s'enivrant du mouvement lent, langoureux, rassurant des vagues pour mieux se soustraire à ses souvenirs. Mais son esprit, sourd à ses désirs, se plaisait à la rappeler aux années envolées, lui serrant le cœur de douloureuses entraves, forçant le cercueil de pierre dans lequel il avait été enfermé pour mieux en meurtrir la chair, ses sens malmenés par des chimères qu'elle espérait enterrées depuis longtemps dans le jardin de ses souvenirs endeuillés.
Sa mémoire l'étouffait, la saisissait de toute part, lui rongeait l'âme avec tant de violence qu'elle se crut un instant prompte à défaillir, à s'abandonner à de sombres pensées. Et elle se sentait suffoquer quand l'océan était venu caresser le bout de ses doigts inertes sur le sable, poussant sur son passage quelques coquilles brillantes dont la surface nervurée renvoyait l'azur timoré du ciel.
Des conques, aux teintes complexes comme seule la Nature savait en faire, aussi consistantes qu'un poing, çà et là clairsemées de taches et galonnées d'écume mousseuse et immaculée. Les phalanges lasses s'étaient aventurées jusqu'à elles, les caressant pudiquement puis avaient écourté leur course pour se saisir de l'une d'elles, soudain muées par un intérêt vif, la palpant, l'arrachant à la terre, en redessinant aveuglement les formes généreuses, les contours, les irrégularités naturelles, la cavité douce, fine, délicate comme le serait la peau de l'être aimé sous les étreintes passionnées. Comme l'était sa peau contre la sienne.
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