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Le carmin vif de la soie étalée sur les nattes de coton avait déstabilisé Lavali, sa main droite s'égarant sur les cordes sans même les presser, son plectre arrachant à la mandoline des ronchonnements désaccordés qui la firent rougir de toutes ses joues.

« Il y avait longtemps ! », maugréa l'instrument tandis qu'il recouvrait toutes ses facultés harmoniques sous le toucher adroit de la prêtresse -puisqu'elle l'était à présent.

Longtemps, en effet, qu'il n'avait pas sonné aussi lourdement. Depuis, songeait la mandoline avec mélancolie, les premières leçons de musique que sa propriétaire avait suivies, quand ses petits doigts peinaient à atteindre sa corde la plus grave et son oreille ne se sentait guère prédisposée à l'art complexe du solfège et aux motifs colorés des livrets qu'elle devait déchiffrer.

Ses doigts s'étaient abandonnés à d'amers tremblements, accentuaient vainement leur poigne sur les frettes tandis que les lames aiguisées des ciseaux fendaient la soie, la réduisaient en menues pièces. Une fois toute défaite de sa belle unité, Parvati l'avait arrangée en tas ordonnés, réservant chaque pièce à un usage particulier. Ceci fait, elle s'était mise à l'ouvrage, faisant danser le fil à la suite de l'aiguille, formant sur le tissu soyeux de minuscules points décoratifs qui scelleraient l'ourlet d'un dessus de lit.

« Son lit nuptial », devina la mandoline à présent muette, contaminée par l'aigreur dont sa propriétaire semblait s'enivrer secrètement.

Dans la pièce voisine retentissait timidement le chant d'une Bansurî s'essayant aux traditionnels airs de fête que l'heureuse circonstance à venir permettait et encourageait. Les phalanges de Lavali s'étaient crispées davantage, étouffant les cordes sans aucune forme de pitié, bâillonnant les potentielles plaintes de son instrument sous une chaude étoffe de chair.

— Voulez-vous m'aider ? s'était enquise Parvati tandis qu'elle couvait sa compagne d'un regard avenant. Je crains avoir trop pris de retard, je n'aurai jamais fini mon trousseau avant la semaine prochaine.

— Que vous reste-t-il à confectionner ?

— Une pièce de lit, quelques oreillers ainsi qu'une toilette de nuit pour ma noce.

— - Je ne puis vous être d'une grande aide, la couture n'est guère un domaine dans lequel j'excelle.

— - Quand bien même, insistait la fiancée comme elle posait sa main sur celle de Lavali, j'aimerais que vous m'aidiez. Vous êtes ma plus précieuse amie, et mon cœur se comble d'une joie immense à l'idée que vos points puissent communier avec les miens.

Le sourire qu'elle lui adressait -plein de cette folle tendresse qui relie deux essences intimes- vint violemment pourfendre l'âme tourmentée de Lavali ; y répandant jusqu'à sa plus intime couche une drogue empoisonnée qui s'empressait de dissoudre toutes ses nobles résolutions de pudeur.

Elle se dégagea brusquement, son plectre lui glissa des mains pour accuser l'injustice d'une pareille fougue et s'éclipsa vivement, traversant à toutes jambes les corridors, bousculant de jeunes apprenties, pressant contre son sein sa mandoline comme si elle eut été son seul salut.

Et lorsqu'enfin, ayant atteint un débarras, elle s'était sentie complètement abandonnée par le reste du monde, les eaux salées de son amertume débordaient de son cœur, remontaient des abîmes de son être.

La mandoline émit un couinement tandis que les bras nerveux l'encerclaient encore, l'étouffaient contre la poitrine secouée de furieux spasmes, s'agrippaient à elle avec cette férocité que la retenue ne dissimulait plus sous ses voiles. Cette étreinte pleine d'amertume lui était insoutenable, elle sentait sa chair se fissurer, ses cordes s'enfoncer jusqu'à l'insupportable contre les barrettes qui segmentaient son manche. Elle sentait avec une horreur déchirante les larmes glacées de Lavali qui ruisselaient sur son corps en abondance.