L'air était plein des effluves safranés de la terre du sentier piétinée par les sandales pressées ; étouffant comme le parfum musqué d'un lys éclot en plein été, exalté par la fragrance sucrée de l'encens se consumant lentement, s'évaporant silencieusement en des volutes sensuelles.
Les croisillons des panneaux ornés, séparant l'appartement des femmes du jardin soigné du temple, laissaient les rayons du soleil pénétrer ce monde d'onguents et de parfums, les acceptaient le temps d'une intime proximité et les laissaient redessiner les contours d'un meuble, la broderie travaillée d'un ouvrage délaissé, le carmin brûlant de l'encre à lèvres endormie dans son pot parementé.
Le pinceau s'était introduit dans l'huile vermeille, était venu imprimer un mince trait rouge sur la lèvre inférieure de Lavali. Elle répétait plusieurs fois le geste, gravait davantage sur sa chair le trait écarlate qui scindait son menton, l'intensifiait, l'épaississait, ses iris sombres scrutant sévèrement le visage fardé que lui renvoyait son miroir. Sa bouche recouverte de henné lui semblait plus charnue qu'elle ne l'avait jamais été, ses traits ceux d'une étrangère dont on aurait mystifié chaque attribut à l'aide d'artifices, de crèmes, de breloques d'argent qui teintaient joyeusement à chacun de ses mouvements.
Le doute soudain s'était insinué dans son âme, la laissant pétrie de douloureuses pensées qui faisaient remonter du puits de son cœur les eaux violentes du chagrin, par trop promptes à franchir la digue de ses yeux.
Au-dehors, l'orchestre nuptial entonnait ses traditionnels airs de fête.
Ses doigts s'étaient resserrés sur le manche vernis de la mandoline qu'elle avait étreinte, pressaient fébrilement les cordes avides de mêler leur voix à celles de leurs compagnons. Son esprit s'égarait tandis que sa main redessinait les courbes généreuses du corps, se satisfaisait de la douceur de l'épicéa dans lequel il avait été façonné.
Combien de souvenirs ne partageait-elle guère avec cet instrument ? Bien peu, au demeurant ; puisque la volonté d'autrui les avait condamnées à s'enticher, de gré ou de force, l'une de l'autre et à unir leur existence par les solides liens du devoir. Ceux-là même qu'aucune lame mal avisée n'aurait su étioler.
Ses phalanges vinrent sur les cordes esquisser les accords répétés, les faisant sonner sous les caresses régulières du plectre ouvragé. La mandoline alors laissait discerner sa voix, entonnait paisiblement la mélodie que les gestes habiles lui inspiraient, son timbre juste néanmoins empreint d'une langueur rêveuse qu'elle reléguait pudiquement au plus profond de son chant.
Jamais elle n'avait sonné de pareille sorte; étrangère lui était cette fragilité soudaine, déroutante comme le serait la première pluie à une fleur à peine éclose.
Pourtant, elle avait eu à se faire témoin d'anciens récits des temps glorieux, porteuse de bien des vœux, auxiliaire de nombreux rites ; autant d'offices qui l'avaient soumise à psalmodier d'abondantes façons sans jamais se départir de l'humilité qui seyait à l'instrument d'une prêtresse. Mais en aucun cas ne s'était-elle dévoilée si vulnérable sous les doigts agiles de sa propriétaire.
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