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tome 1, Chapitre 19 tome 1, Chapitre 19

— Oana ? Tu n'es pas partie ? Je croyais qu'en disparaissant tu allais entrer dans le monde... je ne sais pas quel monde, celui de notre petit Celte.

Pierre maintenait son kayak près de l’écueil en pagayant mollement.

— Il n'était pas Celte, répondit Oana. Bien plus vieux que ça apparemment. Il a été enterré avec les honneurs dus à son rang, tout est bien maintenant.

Pierre était incrédule :

— Mais enfin... tu viens juste de partir !

— Ah ! Haha ! C'est donc ça ! Le temps ne s'écoule pas de manière linéaire dans l'Autre Monde. Je suis sûre d'y avoir passé une nuit entière, le jour était sur le point de se lever quand j'ai quitté le Petit Peuple. Je préfère que ça se passe dans ce sens-là !

Elle remonta à califourchon sur l'embarcation et ils regagnèrent la plage. Elle était devenue bleue le temps d'arriver mais Matthias avait ramassé de quoi faire un feu : algues sèches, bois flotté... Elle sortit un briquet de son sac et alluma quelques feuilles de papier qu'elle avait emportées en guise d'antisèche pour ses incantations. Le papier enflamma les algues, qui brûlèrent assez pour embraser le bois nu. Une belle flambée leur donna de la chaleur pendant une demi-minute puis s'apaisa en braises trop peu nombreuses pour être efficaces.

Pierre avait prévu une serviette de plage dans laquelle il enroula sa petite amie avant de la frotter partout. Il la serra dans ses bras, assis sur le sable. Ils regardaient tous les trois le foyer, d'abord sans parler. Les vagues qui venaient mourir plus bas chantaient une mélopée douce. Oana raconta ce dont elle avait été témoin en Faërie. Quand elle fut suffisamment réchauffée, le feu n'était plus qu'une lueur rougeoyante. Ils dispersèrent les cendres, jetèrent du sable pour tout recouvrir et remontèrent sur les vélos. Première escale chez la jeune fille. Les garçons repartirent aussitôt vers chez Matthias.

Oana avait mit sa clé de maison dans la serrure de la porte d'entrée. Elle tourna, le penne se rétracta. Mais la porte ne s'ouvrit pas pour autant.

— Le verrou intérieur ! laissa-t-elle échapper.

Son premier mouvement fut de se laisser glisser au sol et s'abandonner aux larmes. Elle avait connu beaucoup d'émotions toute cette soirée. Pourtant, elle se releva aussitôt, reprit son vélo et pédala jusqu'au bout de la rue, puis de la suivante, en donnant tout ce qu'elle avait. Elle déboucha sur une route plus large, assez longue. Les phares de ses deux amis étaient visibles au loin. Elle agita les bras et cria plusieurs fois. Ils ne semblaient pas l'entendre.

Pierre et Matthias étaient fatigués eux aussi et souhaitaient s'étendre sur leurs lits le plus vite possible. Ils discutaient en roulant, pour ne pas s'endormir ; ils revenaient sur les événements qui venaient de se jouer. Pierre se retourna vers son camarade pour lui mimer un épisode. C'est alors qu'il vit Oana s'agiter à trois cents mètres. Son air ahuri fit se retourner Matthias aussi.

— Non, sérieusement, dit celui-ci. Je ne retourne pas là-bas ! Je veux me pieuter ! On a encore quatre kilomètres à se taper avant la maison ! Il est une heure du matin, Pierre !

— Tu vois bien qu'elle a un souci ! Fais ce que tu veux, moi je vais l'aider.

Matthias donna un coup de pédale rageur :

— Eh ben t'as qu'à pioncer là alors ! Moi, je rentre.

Pierre rejoignit Oana qui lui expliqua le problème.

— Tu veux venir avec moi ? On peut encore rattraper Matthias et dormir tous chez lui.

— Je n'ai pas mes affaires de cours.

Trop fatigué pour argumenter, il la suivit jusque devant la grande maison. Ils en firent le tour. Une fenêtre était restée entrouverte à l'arrière, au premier étage. Il s'agissait du bureau ; personne n'y dormait à ce moment. Pierre fit la courte échelle à Oana, qui agrippa le rebord, puis il poussa sur ses pieds jusqu'à ce qu'elle puisse prendre un appui solide. Elle s'assit sur la margelle et passa la main dans l’entrebâillement. Elle trouva l'espagnolette, qui était légèrement tournée pour bloquer le battant. À force de contorsion des doigts et de prises mal assurées, elle parvint, millimètre par millimètre, à remettre la poignée dans son axe. La fenêtre s'ouvrit ; elle sauta à l'intérieur, atterrit souplement, comme quelqu'un qui a l'habitude d'évoluer sur le pont d'un bateau.

Resté seul dans le jardin, Pierre se demanda quoi faire. Elle ne lui avait même pas lancé un regard en disparaissant ! Il retourna sur la rue. Alors qu'il mettait la main sur son vélo, se préparant psychologiquement à la longue route qui l'attendait, la voix d'Oana résonna à son oreille :

— Oui, tu as raison, posons-les sur le côté, ce sera plus discret. Il y a un buisson parfait ici, viens voir !

Il la suivit docilement. Mais qu'allait dire Matthias s'il ne rentrait pas ? En fait, il était déjà fixé sur cette question ; ce qu'il fallait se demander c'était plutôt : qu'allait dire Matthias s'il rentrait maintenant, le réveillait en tambourinant à la porte ?

Oana avait l'air décidée, il s'en remit à elle. Elle le prit par la main dans le grand escalier. En haut, la porte était ouverte : elle était juste allée tirer le verrou quand elle avait disparu ; elle le repoussa quand ils furent passés. Elle fit signe à Pierre d'alléger son pas et ils montèrent ainsi, lentement, jusqu'à sa chambre.

Elle s'allongea sur le lit et l'appela. Il vint se blottir contre elle.

— Désolé, murmura-t-il, si tu espérais quelque chose de moi cette nuit, je suis beaucoup trop fatigué.

Elle enfouit son nez dans ses cheveux et enlaça son torse. Ils s'endormirent dans la seconde.

Le réveil sonna bien trop tôt. Il fallait maintenant prendre une douche et descendre discrètement.

— Mais, tes parents ne vont pas se demander ce que je fais là ?

— Je me suis disputée avec mon père il y a quelque temps, depuis il ne se lève plus pour faire mon chocolat. Si on ne fait pas de bruit, personne ne saura que tu as passé la nuit avec moi ! Tu bois quoi ?

— Tu as de l'earl grey ?

Une fois en bas, Oana plaça une casserole d'eau sur le gaz, c'était la meilleure façon de respecter le silence.

— J'espère que Matthias aura pensé à prendre mon sac de cours, conclut Pierre.

Ils passèrent tout le reste du déjeuner à se regarder. S'il y avait quelque chose à dire, ils l'exprimaient par signes.

Ils sortirent dans la rue. La nuit s'éclaircissait. Les lampadaires étaient encore allumés. Ils parcoururent le chemin en frissonnant et attendirent le car serrés l'un contre l'autre. Dans leur dos, des palissades fermaient le chantier de la maison incendiée.

Leur témoignage devait bientôt être entendu par le juge d'instruction, ils ne savaient pas comment ils allaient pouvoir raconter ça.

— C'est dommage qu'on ait déjà renvoyé le prince à sa tombe, remarqua Pierre, il aurait pu être utile pour appuyer nos récits.

— Il était assez retors, il aurait trouvé un moyen de nous mettre des bâtons dans les roues, j'en suis sûre !

— Un juge ne va pas croire la parole d'un fantôme tout de même ! Et sa présence constituerait en soi la preuve que nous disons la vérité.

— Sauf s'il se met à hanter le juge. Il ne s'était mis dans l'éclat de miroir que parce que ça l'arrangeait, tu sais.

— On n'a plus qu'à croiser les doigts alors.

Quand ils arrivèrent au lycée, une surprise les attendait : Zoé était sortie de l'hôpital et revenait suivre les cours du matin, pour voir si elle était capable de supporter le rythme à nouveau. Elle portait encore quelques pansements sous ses vêtements mais il n'y avait plus rien de grave. Elle passa de bras en bras jusqu'à ce que la sonnerie résonne.

Plusieurs mois plus tard, à la fin de la procédure d'instruction, la justice prononça un non-lieu. Officiellement en raison du décès de la personne responsable de l'incendie.

Pour fêter leur tranquillité retrouvée, Pierre invita ses trois complices à boire un verre, ainsi que Simon et Kévin qui ne les lâchaient plus beaucoup mais qui vinrent sans leur bande cette fois-ci.

Matthias énonça le rapport et Simon s'esclaffa :

— Ah ben ça, pour être décédé, il est bien décédé !

— Levons nos verres à sa mémoire, décréta Pierre d'un ton solennel.

Ils trinquèrent.

— On ne connaît même pas son nom, dit Zoé.

Oana bougea les lèvres dans le vide puis conclut :

— Il est imprononçable.


Texte publié par Lilitor, 15 mars 2021 à 21h37
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