Oana posa son index gauche sur ses lèvres, referma les doigts de la main droite sur le gros bouton de céramique qui tenait lieu de poignée à la porte et imprima son mouvement. Les gonds grincèrent lentement, révélant un jour jaunâtre qui suintait à travers la poussière de la petite fenêtre ronde. Le lambris des sous-pentes était gris au niveau du sol et les angles de la pièces disparaissaient derrière une multitude de toiles d'araignées. On aurait dit que le lieu était abandonné depuis bien plus longtemps que le reste de la maison.
Sur l'unique mur droit de la pièce, en face d'Oana, se dressait l'armoire qu'elle avait bien connue dans la chambre de Simon. Le reflet de son miroir était sombre, comme désaturé. Lorsque la jeune fille posa les yeux dessus, sa respiration se bloqua. Son monde se rétrécit. L'angoisse qui lui étreignait la poitrine remonta jusqu'à sa gorge, elle ne pouvait plus déglutir. Son corps refusait de bouger désormais. Un voile commença à brouiller sa vue.
— Tout va bien ? lança une voix derrière elle, beaucoup trop fort.
Oana se retourna d'un coup, le charme était rompu. Elle aspira une grande goulée d'air. Son cœur battait à tout rompre.
— Bon sang, souffla-t-elle, je crois que tu viens de me sauver la vie !
— De rien, sourit Pierre. En fait ça fait déjà une plombe qu'on t'appelle, mais tu ne réagissais plus. Je ne sais pas ce qui se passe ici mais j'espère que mon cri ne va pas nous attirer d'ennuis.
Il parlait vraiment bas maintenant, il fallait se concentrer pour l’entendre.
— Comment ça ? ironisa Zoé, toujours à voix basse. Est-ce que ton esprit cartésien commencerait à se fissurer ?
— Ça suffit, coupa Oana. Il faut que nous restions vigilants. Je vais continuer d'explorer cette pièce et j'aimerais bien que vous vous relayiez pour veiller sur moi comme vous l'avez fait. De l'autre côté, il faudrait aussi que vous montiez la garde pour vous, ne pas vous laisser surprendre par quelque chose, quoi que cela puisse être...
Ils opinèrent tous les trois du chef. Leur amie reprit son examen de la chambre. Il n'y avait rien d'autre de tangible, elle revint à l'armoire. S'approchant tout doucement, de biais. Elle gardait son regard vers le plancher.
Ses pieds soulevaient de petits nuages de poussière à chaque pas. Elle ralentit encore ses gestes : il ne s'agissait pas seulement de ne pas attirer l'attention, de quoi que ce fut, il fallait aussi éviter que ces nuées minuscules lui parviennent aux narines. Elle n'imaginait pas la catastrophe si elle éternuait.
Elle arriva presque de profil à proximité de la petite clé qui maintenait le battant fermé. Canalisant sa vision pour se concentrer uniquement sur l'objet, elle avança la main vers le métal, ferma les yeux puis, dans une grande inspiration, tourna. Un déclic se produisit. La porte ne s'ouvrit pas pour autant.
Elle coinça la clé en biais dans la serrure et tira dessus pour faire venir le bois. Ça ne se laissait pas faire, comme si c'était gonflé d'humidité. Mais elle sentait que ça pouvait venir. Elle intensifia ses efforts. Doucement, dans des petits grincements stridents, le vantail sortait de son cadre.
Enfin, il y eut assez d'ouverture pour y passer une main. Ce qu'Oana ne fit pas, bien trop méfiante. Elle poursuivit sa tâche jusqu'à ce que de la lumière puisse s'introduire sur les étagères. À l'intérieur de cette armoire, il y avait de la poussière aussi, en épaisse couche sur chaque surface horizontale. Tout avait été vidé là encore. Excepté...
Dans le tiroir du bas de la bonnetière, elle découvrit un petit cahier. À l'intérieur, elle reconnut l'écriture de Simon. Un journal intime ? Elle ne l'avait jamais su ! Et comment avait-il pu l'oublier en partant ?
Elle retourna sur le palier :
— Regardez ! Qu'est-ce que je dois faire de ça à votre avis ?
Zoé le lui prit des mains et parcourut quelques pages.
— Quelque chose me dit que la clé du mystère est là-dedans. On pourrait se le partager, et lire rapidement chacun sa partie, à la recherche de quelque chose de significatif. Ou bien on pourrait le brûler dans une cérémonie de purification, pour être débarrassés de cette histoire une bonne fois !
— Ah non ! trancha Matthias. Moi je veux savoir ce qu'il s'est passé !
Alors Zoé empoigna le carnet dans l'idée de le déchirer en quatre parts de pages. Elle poussa aussitôt un cri, lâcha l'objet et regarda sa main : une large entaille lui balafrait la paume, du creux du pouce au petit doigt. Des gouttes de sang tombèrent sur le sol et sur le papier, qui l'absorbèrent l'un comme l'autre. Matthias ramassa le journal avec précaution :
— Eh bien, si c'est comme ça, je vais le parcourir en entier pour découvrir ce qu'il a de si crucial à nous révéler.
— Fais voir ta blessure, dit Pierre à Zoé en fouillant dans le sac à dos de cette dernière à la recherche de la trousse de secours.
Ils se placèrent à l'aplomb du velux sur le palier. Il y avait tout ce qu'il fallait pour un pansement en bonne et due forme. L'affaire fut menée rapidement.
Matthias n'avait pas attendu d'avoir la lumière pour lire, mais il fut content d'obtenir la place après eux. Oana regardait par-dessus son épaule. Les mots qu'elle décelaient la troublaient. Simon bouillonnait de colère depuis longtemps déjà, et elle n'en avait rien remarqué. Il estimait avoir sacrifié toutes ses possibilités d'amitiés pour rester auprès d'elle qui n'avait personne, et n'en avoir jamais recueilli les fruits. Elle qui croyait leur relation franche et sincère, un écœurement la prit.
Elle éprouva le besoin de respirer de l'air frais et retourna dans la chambre, ouvrir l’œil de bœuf. Le vent s'engouffra dans la pièce, soulevant la poussière, créant une brume poudreuse. La porte de l'armoire claqua, Oana se retrouva nez à nez avec le reflet de Simon. Elle se figea d'étonnement et d'effroi. Il avança le bras vers la surface du miroir. Elle ne parvint pas à faire réagir ses jambes. Le bras traversa le verre, s'allongea démesurément et l'attrapa par le cou puis l'attira de l'autre côté.
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