Oana rejoignit d’abord une masse compacte de gens au fond du préau. C’était sûrement là qu’étaient affichées les listes de noms en fonction des classes. Elle rentra son ventre et redressa ses épaules dans une tentative de s’amincir autant qu’une feuille pour se faufiler. Elle espérait ne déranger personne et n’être pas bousculée. Aspiration vaine, évidemment, mais à la fin elle connaissait sa classe : seconde B. La cloche sonna, les élèves gagnèrent chacun la salle qui leur était attribuée pour les deux premières heures.
La prof principale, madame Lornette, enseignait les mathématiques. Afin de compenser sa jeunesse et d’asseoir son autorité, elle installa ses ouailles par ordre alphabétique.
— Oana Le Bleiz, à côté de Zoé Le Cléach !
Oana passa la lanière de son sac autour du dossier de la chaise qui lui était attribuée puis sortit son plumier et un trieur dont elle tira une feuille de papier vierge à grands carreaux. Elle ouvrit son stylo et garda sa main au-dessus de la copie, prête à tout noter. Puis, comme il ne se passait rien d’intéressant encore, elle griffonna dans la marge. Des dessins sombres à l’image de son humeur, têtes de mort et personnages blessés, sanglants.
— Hey ! C’est cool ce que tu dessines ! Tu as un trait intéressant…
Le compliment impromptu venait de sa gauche. Elle rougit et se tourna vers sa voisine. Visage rond bordé d’une frange rousse, celle-ci posait sur Oana des yeux tout aussi ronds mais étirés par un trait d’eye-liner qui remontait vers les tempes en pointe épaisse. La couleur caramel de ses iris lui donnait un air de chat qui troublait Oana.
— Tu ne dis rien ?
— Pardon, je ne me sens pas très à l’aise…
— Ah oui ! Moi c’est Zoé. Tu sais, personne ici n’a l’habitude du lycée encore.
Oana redressa les coins de sa bouche. À ce moment madame Lornette commença son discours de bienvenue et d’explications. Elle leur demanda de remplir les éternelles fiches individuelles.
Juste après, le proviseur toqua à la porte. C’était un homme encore jeune mais déjà passablement dégarni. Il leur asséna un discours sur les trois ou quatre années qu'ils allaient vivre ici et qui seraient, selon lui, les plus belles de leur vie. Zoé souriait en l’écoutant mais Oana n’y croyait pas beaucoup. L’attitude de Simon ne s’effaçait pas de son esprit et lui faisait tout voir en gris foncé. L’air semblait plus épais autour d’elle, respirer n’était pas aisé et ses mouvements lui paraissaient tous ralentis, difficiles en tout cas. Tout lui coûtait.
Une première récré sonna, pendant laquelle Oana chercha frénétiquement le CDI. Il s’avéra reclus dans un autre bâtiment, près des bureaux de l’administration. Ça lui prit toute la pause de le découvrir, parce qu’elle n’osait s’adresser à personne. Tout le monde, à ses yeux, était menaçant, moqueur ou, au mieux, complètement indifférent.
Puis il fallut monter en cours à nouveau. Les salles de physique présentaient des paillasses à trois places. Zoé s’était assise à côté d’un garçon, un grand échalas aux cheveux en bataille, blond foncé. Elle désigna la chaise libre près d’elle à Oana. Rougissant jusqu’aux racines, celle-ci obtempéra et installa ses affaires à l’endroit indiqué.
— Je te présente Matthias, dit Zoé. On est dans la même classe depuis la quatrième. Il est super cool, tu verras !
Le jeune homme tendit une main qui sortait d’une manche rayée et serra les doigts d’Oana, qui restait pantoise.
— Les amies de mes amies sont mes amies ! déclara-t-il, l’air sérieux.
Pourtant Oana voyait bien qu’il se retenait de rire. Comme elle hésitait à se vexer, elle ouvrit son plumier tandis que le professeur démarrait son laïus. Elle s’appliqua à tout écouter, bien qu’il ne dît rien d’original par rapport à tous les premiers cours qu’elle avait déjà subis dans sa vie. Ses voisins chuchotaient et rigolaient ensemble.
À l’heure suivante elle était encore sur la défensive. Matthias, lui, était toujours hilare. Et ça commençait à lui taper sur le système, puisqu’elle ne parvenait pas à se mettre au diapason.
— Il est tout le temps comme ça ? demanda-t-elle finalement à Zoé.
— C’est l’euphorie du premier jour ! Je pense que dans une semaine au max ça lui sera passé. Ça ne t’excite pas, toi, toutes ces nouveautés ?
— Bof, à part les lieux et les têtes, je ne vois pas ce qui change… J’ai surtout perdu beaucoup en arrivant ici.
Sa voix se brisa. Zoé posa sa main sur le poignet d’Oana.
— Si tu veux qu’on en parle, je serai ton oreille. En attendant je vais te prendre sous notre aile. Tu verras que c’est bien mieux d’être au lycée ! On n’est pas considérés pareil, et c’est ça qui est important !
Effectivement à partir de ce moment la jeune fille ne laissa plus Oana tranquille. Elle suivait tous ses pas ou, même, la prenait par le bras pour l’entraîner dans leur sillage. Car Matthias ne s’éloignait jamais longtemps. Ses fous rires se calmaient peu à peu, il commença à parler d’actualité. Oana n’était pas sûre de préférer ça, l’état du monde la déprimait. Pour l’instant, elle n’osait rien dire.
Pire encore, près le déjeuner, il les entraîna à travers tout le lycée à la recherche de l'équipe de rédaction du journal des élèves, auquel il voulait absolument participer.
— Attendez ! s’exclama Oana lorsqu’ils repassèrent devant les listes de classes, qu’un surveillant était en train de détacher.
Le petit groupe s’arrêta. Il manquait déjà toutes les premières pages. Anxieuse, elle scruta les noms qui restaient jusqu’à trouver celui de Simon : seconde E. Quelle chance ! Elle nota l’information dans un coin de sa tête.
— Tu t’intéresses à quelqu’un ? demanda Zoé quand elle la rejoignit. Comment as-tu trouvé le temps de repérer qui que ce soit, je ne t’ai pas lâchée d’une semelle ? Ou bien c’est de ton ancien collège ?
Oana se mura dans le silence et accéléra le pas pour rattraper Matthias. Il ne posa pas de question, préoccupé seulement par sa quête personnelle.
Dans le local réservé au journal, quand ils le trouvèrent enfin, au tout dernier étage, il n'y avait pas beaucoup d'agitation. Une fille de terminale les accueillit avec un sourire un peu narquois et leur conseilla de revenir une semaine plus tard à la réunion du comité de rédaction. En attendant ils pouvaient chercher des idées d'articles. L'ambiance n'était vraiment pas chaleureuse, ils préférèrent terminer leur pause dans la cour, au soleil. Oana cherchait Simon des yeux mais ne parvint qu'à croiser le regard d’un gars encore plus grand que Matthias, qui s’approcha alors en la fixant. Il avait des iris sombres comme l’ardoise qui la rendirent très mal à l’aise. Vite, elle reporta son attention sur le sol. Sans-doute un peu trop tard.
— Hey, Zoé ! Tu me présentes ta nouvelle amie ?
Il avait une voix chaleureuse quoiqu’un peu trop assurée. Et toujours pas de trace de Simon !
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