Le médecin légiste pose la scie et croise les bras sur sa poitrine. Sans un mot, il attend devant le corps ouvert. Il hoche la tête d’un air entendu. Puisqu’il ne parle pas et ne travaille pas non plus, j’en profite pour me manifester, même si j’ai la certitude qu’il sait tout de ma présence.
– Bonsoir. Il est rare de vous voir immobile devant un corps.
– Bonsoir Samaël. Il est rare de vous voir silencieux pendant aussi longtemps. J’en venais à me demander à quel moment vous oseriez me déranger…
Il ne s’est pas retourné. Je n’aperçois que son dos, ainsi que les boucles brunes sur sa nuque. Sa chemise sur laquelle il a passé un gilet gris est d’un blanc brillant qui ressort d’autant plus dans la pièce sombre. Les lacets de son tablier de cuir se croisent sur ses reins rehaussant encore plus la finesse de son corps. D’un pas hésitant, je m’avance.
– Je suis désolé…
Face à lui, j’ai toujours l’impression d’être d’une gaucherie vulgaire. Le grand bonhomme pas à l’aise dans son corps qui fait tomber tout ce qui a le malheur d’être sur son chemin. La morgue est son domaine. Tout y est rangé au millimètre près. Un ordre qui me fait presque peur.
Pourtant, c’est un lieu où j’apprécie de descendre pour le retrouver, car nous y sommes en général tranquilles.
– J’attends mademoiselle Leval.
Pas besoin de plus pour que je comprenne le message. Il faut que je reste à distance. Celle d’un coéquipier. Pas celle d’un amant comme j’en aurais envie.
– Vous vouliez me parler ?
De multiples mots me passent par la tête. Aucun n’est adapté à la situation.
– Rosen est bien calme, actuellement. Soit les créatures surnaturelles ont décidé d’être sages, soit elles sont parties en voyage.
– Il y a bien d’autres explications à ce phénomène.
Des bruits de pas résonnent dans le couloir. Son élève est ponctuelle. C’est bien ma chance. En même temps, lorsque l’on connaît Romane, cela se comprend.
Je l’entends pousser la porte puis la refermer discrètement. Elle profite du vestiaire, un simple paravent qui isole un morceau de la pièce du reste, pour revêtir sa tenue réglementaire. Ses bottines claquent en délicatement sur le parquet.
La jeune femme, les joues rouges d’avoir couru, repousse une mèche blonde envolée de son chignon. Une fois cela fait, elle passe les gants en cuir sur chacune de ses mains.
– Docteur Monteville, veuillez me pardonner mon retard…
D’une voix plus gentille qu’à l’ordinaire, le légiste lui répond.
– Vous n’êtes pas en retard. Vous êtes pile à l’heure. De toute façon, l’agent Samaël a pris soin de me divertir avec ses babillages.
Je ne prends même pas ombrage de ses remarques. Lorsqu’il travaille le monde pourrait s’écrouler qu’il ne s’arrêterait pas. J’ai la certitude qu’il trépignait d’envie à l’idée d’étudier ce cadavre.
– À présent, mademoiselle Leval, je vous laisse faire l’analyse. J’ai pris le parti d’ouvrir le corps puisque c’est une étape que vous maîtrisez.
La jeune femme s’approche. Son regard se pose sur moi et je la salue d’un geste de la tête.
Une fois devant le mort, elle ne peut retenir un cri de surprise. Je m’avance à mon tour, curieux.
– Incroyable, n’est-ce pas ? déclare d’une voix neutre Romane.
– Qu’est-il arrivé aux organes ?
Je comprends ce qu’elle veut dire lorsque mon regard se pose sur l’intérieur du cadavre. Il n’y a plus rien sinon une sorte de liquide visqueux de couleur marron. La vision me lève l’estomac alors que je n’ai rien mangé. Mon attention se concentre sur le légiste. Je suis certain qu’il a déjà compris ce qu’il s’est passé.
De son doigt ganté, il désigne des éléments.
– Voici ce qu’il en reste.
– Mais comment est-ce possible ?
Romane ménage le mystère. J’avoue que moi aussi, je veux connaître le fin mot de cette affaire.
– Regardez sur le côté du corps.
La jeune femme se penche. J’en profite pour me déplacer afin de saisir de quoi nous parlons.
Une blessure est visible, en dessous des côtes. Pourtant, elle ne paraît pas avoir saigné ce qui est plus qu’étrange.
– Une plaie perforante… Est-ce qui l’a tué ?
Le légiste hoche la tête.
– Mais… Je ne comprends pas, avoue la jeune femme.
Pour une fois que je ne suis pas le seul limité d’esprit, je suis heureux.
– Il faut penser plus loin que ce que l’on connaît. Vous cherchez des meurtres qui seraient l’œuvre d’humain ou de créature intelligente. Ici, nous sommes face à un homme qui a été dévoré par un animal.
– Il est pourtant encore entier…
Ces mots sont sortis tout seuls de ma bouche. Cela devient une habitude.
– L’enveloppe est présente, mais le contenu a été aspiré. J’imagine que cela vous rappelle quelque chose.
Pas le moins du monde, mais je préfère me taire. Mademoiselle Leval fait la grimace.
– Il s’agit bien évidemment d’une araignée. De très grande taille pour causer autant de dégâts. Elle a injecté ses fluides chez cet homme pour liquéfier ses organes et pouvoir s’en nourrir.
Cette image me fait frissonner.
– Du coup, je pense que je peux classer l’affaire. Il ne s’agit pas d’un meurtre.
– Attendez ! Je préfère faire remonter l’information.
Romane se retourne. Ses yeux couleur océan me contemplent alors qu’un sourire amusé illumine sa face.
– Vous vous lancez dans la chasse aux araignées, agent Samaël ?
Je réprime une grimace. L’idée de croiser ces bestioles en forme géante ne m’enchante guère.
– Cela dit, il est possible que cela réponde à votre interrogation de tout à l’heure. Les créatures surnaturelles n’ont peut-être pas envie de rencontrer cette araignée.
Je les comprends parfaitement.
– Ces araignées… S’il s’agit d’une colonie…
Sans laisser le temps au légiste de poursuivre, je quitte la morgue. Mieux vaut vérifier que rien de dangereux ne s’est installé en ville.
– Bon courage, agent Samaël.
Il n’y a aucune once de moquerie dans cette phrase. J’oserais même dire que j’y perçois de la fierté. Savoir que j’en suis la source fait battre plus vite mon cœur.
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