La lune est pleine lorsque je parviens au bureau des affaires oubliées, mon lieu de travail. Un bâtiment sinistre perdu entre deux ensembles plus vastes. Il est à l’image de son temps avec balcons et corniches, sans dépasser les six étages réglementaires. Dès que j’arrive devant, je disparais du champ de vision des badauds. Après vu l’heure, ça ne se bouscule pas. De multiples sorts protègent cette police d’un genre spécial, celle qui s’occupe des affaires ayant trait à la magie ou aux créatures surnaturelles.
Comme personne ne peut me voir, j’en profite. Un coup d’œil me suffit pour viser la bonne fenêtre. Je plie les genoux avant de les détendre pour un saut qui me permet de m’envoler jusqu’au deuxième étage. Sans peine, mes mains s’agrippent au fer forgé du balcon. Mon pied repose sur la gueule de lion qui orne la façade. Si un jour, je l’abîme, je suis certain que la réparation sera prise sur mon salaire, mais qu’importe…
Il ne faut pas croire que je m’amuse. En fait, si. Seulement, ce n’est pas mon principal problème. J’évite juste Ivanie, la secrétaire de notre chef de section. Pas pour une histoire de cœur, plus pour une histoire de confort visuel. C’est une fée. Comme toutes celles de son espèce, elle sécrète une poudre spéciale particulièrement brillante. Sauf que dès qu’elle s’agite, des paillettes volent dans tous les sens. Des micros sources de lumière qui m’agressent la rétine.
Évidemment, comme je la connais, si Ivanie me voit, elle va se mettre à hurler mon prénom, se lever en fracas et rependre une traînée de poussière sublimée par la lueur de la lune. Ça marche d’ailleurs, autant quand je rentre dans le bureau que quand j’en sors. Insupportable. Parfois, je me demande si ses congénères n’ont pas décidé de l’abandonner dans notre monde pour avoir la paix. Je ne suis pas encore parvenu à trancher. Bon, j’avoue qu’elle a aussi un rôle, autre que de monter la garde devant le bureau du chef, c’est elle qui produit la poudre qui permet d’utiliser la magie même lorsque l’on n’a pas de pouvoir.
Du bout des doigts, je frappe au carreau. Cela ne prend pas longtemps avant qu’Alberto Merotti vienne m’ouvrir. Ses sourcils broussailleux sont froncés. Ses joues rouges se gonflent d’énervement. Je sens la soufflante arriver.
– Samaël, pour l’amour de Dieu, quand cesserez-vous ces enfantillages ? La porte de mon bureau se trouve de l’autre côté.
Est-ce de ma faute s’il a installé un cerbère poudreux devant ?
– Vous m’avez appelé. Je viens au plus vite et vous n’êtes pas content ?
Tout en secouant la tête, il se déplace pour me laisser entrer. Je saute sur le parquet finement ciré. Comme nous ne sommes pas beaucoup à travailler dans l’immeuble, on nous a presque tous octroyé un bureau. Je ne mets jamais les pieds dans le mien. Pour tout dire, je ne sais même plus où il se trouve.
Alberto soupire avant de fermer sa fenêtre. De fines gouttes de pluie viennent s’y écraser. On peut dire que je suis arrivé au bon moment.
Ma main époussette mon manteau. C’est ça de se frotter sur un mur pas forcément propre, ça laisse des traces.
– Bien Samaël, j’ai besoin de vous pour une mission. Seulement, ça ne va pas vous plaire.
Au moins, il envoie tout de suite la couleur. Ça va être casse-couille. Je devrais peut-être passer par la fenêtre pour faire le chemin en sens inverse.
– Je vous explique : il semblerait que l’équipe de Côme est ramenée dans notre monde, un animal qui n’a rien à faire là. Il faudrait que vous le retrouviez pour le renvoyer chez lui.
Je plisse les yeux. La chasse aux bestioles sauvages ça me connaît. J’espère juste qu’elle n’a pas commencé à faire des ravages.
– Très bien. Où se trouve la bête ? De quelle espèce s’agit-il ?
Mentalement, je me prépare pour le combat à venir.
– Ici même, dans le bâtiment.
Mes yeux s’écarquillent de surprise.
– C’est un ocultarcat.
L’espace d’un instant, je ne dis pas un mot. Donc on réclame mon aide pour trouver un connard de chat volant qui devient invisible. En règle générale, on ne risque rien avec eux. Ce sont des créatures curieuses qui s’attachent souvent à quelqu’un sans qu’on sache pourquoi. Quand ils se lassent, ils s’en vont d’eux-mêmes.
– Pourquoi donc ? Je veux dire, ils ne présentent pas de danger pour les humains.
– Depuis ce matin, il ne fait qu’apparaître et disparaître. Tout le monde est sur les nerfs.
Il ne leur faut pas grand-chose pour être stressé.
– Casimo en a des hallucinations.
De mieux en mieux… Ce type, c’est le plus vieux du bureau. Enfin, des humains de ce bureau… Ce boulot, c’est tout ce qu’il a. Il passe sa vie ici, allant jusqu’à dormir sur place. Après je ne le critique pas. Ça a l’air de lui plaire. Casimo, je crois qu’il s’entendrait bien avec l’ocultarcat. Lui aussi apparaît toujours sans qu’on s’y attende.
– Les ocultarcats ressemblent pourtant à des chats, fais-je remarque.
Mon chef hausse les épaules.
– Qu’importe. Pour la tranquillité d’esprit du personnel travaillant en ces lieux, cette créature doit élire domicile ailleurs. Avec vos sens plus développés qu’un humain, je pense que vous être l’homme de la situation.
Comme je n’ai pas vraiment le choix, j’accepte la mission. Ma nuit se consacrera à traîner dans les couloirs de mon lieu de travail, il y a pire. Avec un peu de chance, je vais croiser tout le monde et être au jus sur toutes les dernières affaires.
– D’accord.
Une idée se fait jour dans mon esprit, descendre au sous-sol pour visiter la morgue. En soi, ce n’est pas l’endroit qui m’attire, c’est le type qui y travaille. Je l’imagine déjà, le front soucieux penché sur corps. Il ne se retourna pas, et sifflera entre ses dents « vous n’avez vraiment rien d’autre à faire, Samaël ? ». Rien que cette idée me provoque des frissons.
Je reviens au moment présent, en chassant cette pensée agréable. De toute façon, si jamais Romane a du boulot, je passerais après tous les cadavres qu’il aura rencontrés dans la soirée. Si ce n’est pas du dévouement, c’est de l’amour.
Ma main ouvre la porte du bureau pour sortir. Il va me falloir affronter l’enfer. Je me prépare afin de filer en vitesse. Ivanie aurait été humaine que je n’aurais rencontré aucun souci pour la duper. Seulement, elle m’intercepte alors que je suis au milieu du couloir juste devant son bureau. À peine m’a-t-elle remarqué qu’elle a bondi de sa chaise. Des éclats de lumière colorés ont été projetés dans toute la pièce. Pour leur échapper, je suis contraint de fermer les yeux.
– Samaël, je ne vous avais pas vu ! Cela faisait un petit moment que nous ne nous étions pas croisé ! Que faites-vous donc ici ?
En l’entendant approcher, je me risque à ouvrir un œil. Elle s’avance dans un déhanché provocateur capable de charmer n’importe quel couillon présent. Son pouvoir de séduction propre aux fées la rend irrésistible. Étrangement, je rêve toujours de descendre à la morgue. Serait-ce lié au fait qu’elle m’aveugle ? Ou alors, mon attrait pour le médecin qui officie au sous-sol du bâtiment se révèle chaque jour plus grand ?
– La routine, je suis venue pour la mission. À présent, j’y vais !
Je tente un pas de côté pour éviter Ivanie.
– Mais quelle est donc la nature de cette mission ? me demande-t-elle d’un air aguicheur. Est-ce dangereux ? Avez-vous besoin de poussière de fée ?
Ses yeux immenses me fixent. Eux-mêmes brillent tels des diamants. Où est l’issue de secours ?
– Je dois fouiller le bâtiment. Du coup, mieux vaut que je m’y mette maintenant.
– Si je peux vous aider, dites-le-moi.
Son sourire lui remonte presque jusqu’aux oreilles. Être aussi heureuse pour rien, ça devrait être interdit.
– Ça ira. Mais je dois y aller. On se revoit plus tard.
Sa tête penche sur un côté alors qu’elle fait une petite moue boudeuse. Irrésistible, diraient certains… Je concentre mes pensées sur Romane. Je crois que j’ai très envie de le voir.
D’un pas pressé, je file dans le couloir.
– Bonne soirée, Samaël.
Sans me retourner, je l’imagine qui agite le bras en produisant un amas de poudre.
Par où commencer ? Si j’écoute mon cœur, je descends à la morgue. Du coup, j’écoute ma tête et monte faire une inspection au cinquième, c’est là où on stocke les objets récupérés au cours des affaires. C’est aussi là qu’on les oublie ainsi ils prennent la poussière. Après un tour d’horizon dont je reviens avec des toiles d’araignées, je gagne les bureaux.
Dans ma recherche assidue, je croise toute l’équipe de nuit. Que des têtes connues qui me saluent avec enthousiasme. J’en profite pour poser mes questions, mais la bestiole, si elle a été aperçue, reste introuvable. Je ne sais même pas si c’est positif ou négatif… D’un côté, j’aimerais savoir où est l’ocultarcat pour m’en débarrasser au plus vite. De l’autre, ça m’oblige à aller à la morgue. C’est trop bête.
Mes pas me mènent au sous-sol. La pièce est sombre sans aucune fenêtre, le froid ainsi que l’humidité y règnent en maître. Mes bottes foulent, en silence, des pavés de ciment qui ont été installés pour faciliter le nettoyage. Face à un corps posé sur une table à roulettes, j’aperçois Romane. Concentré sur son travail, il ne se retourne même pas. J’ai un instant d’hésitation alors que mon regard se fixe sur ses boucles brunes.
– Allez-vous rester planté là comme un idiot encore longtemps ? Entrer ou sortir, il faut choisir, Samaël !
Un sourire se dessine sur mon visage. Ce qui arrive à peu près à chaque fois que je l’aperçois. Mon corps se met en mouvement pour le rejoindre. Mes pas sont lents comme pour savourer le moment. Une fois suffisamment proche de lui, je me fige. Mon regard erre sur le cadavre pour éviter de le fixer comme un crétin. Quand je suis en sa présence, j’ai l’impression de réagir tel le dernier des imbéciles.
– Morsure de rats ?
– Oui, c’est un corps repêché dans le fleuve. Je tente de déterminer les causes de la mort. Soit, il est tombé à l’eau et a été dévoré par les rats. Soit, c’est une attaque de rats.
Mes sourcils se froncent.
– Pourquoi le corps est chez nous ?
– À cause de l’attaque de rats.
Romane continue à examiner avec attention les traces de dents sur le corps. Comme il ne s’intéresse pas vraiment à moi, j’en profite pour passer ma main autour de sa taille, tout en me rapprochant. Après tout, nous sommes seuls dans cette morgue. Aucun de nous n’a d’affaires urgentes. On pourrait prendre une pause ensemble…
– On s’occupe des rats, maintenant ?
Une phrase pour meubler le silence et son absence de réaction face à mes attentions.
– Cela pourrait être le fait d’un joueur de flûte.
Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Sans doute parce que la majorité de mon esprit n’a qu’une seule et unique envie, l’embrasser. N’y tenant plus, je l’enlace tendrement avant que de mes lèvres ne se posent sur sa nuque qu’une de ses boucles caresse telle une divine invitation. Il ne dit mot, mais un frisson le parcourt.
– Êtes-vous venu ici dans le seul but de me détourner de mon travail ? soupire-t-il.
– Cet homme est mort, il a le temps. Si vous voulez savoir si c’est un joueur de flûte, utilisez un peu de poudre de fée et vous serez fixé sur l’usage de la magie.
D’un mouvement d’épaule, Romane tente de me chasser. Ce geste a le don de me faire sourire. J’en profite pour resserrer ma prise sur lui. Il se fige, emprisonné par mes bras. Sa tête finit par se poser sur ma clavicule. Son regard se fait blaser. À croire qu’il m’accorde quelques minutes, avec l’espoir que je lui fiche la paix par la suite. Cela lui ressemblerait bien. Dommage, j’ai envie de contact et je ne suis pas près de le lâcher.
– Quelqu’un pourrait entrer, glisse-t-il.
– Je l’entendrais d’avance, et vous aussi.
Il tente de fuir.
– J’ai un corps qui m’attend.
À comprendre que je passerais bien après les cadavres.
– Laissez-moi terminer mon travail et je vous accorderais un peu de mon temps.
Un soupir s’échappe de ma bouche. Je parle à Romane donc que je fasse, je n’obtiendrais pas son intérêt, tant qu’il n’aura pas fait ce qu’il veut. C’est au moins une demi-victoire. Il me donnera son attention lorsque son travail sera achevé.
– En attendant, occupez-vous !
Son regard se reporte sur le corps. Fin de l’entrevue accordé par le docteur Monteville, j’ai plus qu’à retourner jouer avec mes cubes. Où plutôt partir à la recherche de mon ocultarcat. Alors que je recule les mains levées pour prouver ma bonne foi, un bruit saisissant retentit. Au sol s’écrase le plateau qui contient les outils médicaux nécessaires aux autopsies.
Romane fait volte-face d’un coup, le visage fermé. On peut y lire de la colère. Il me fait froid dans le dos.
– Sacrilège ! C’est comme ça qu’on me remercie pour mon accueil !
Tout d’un coup, je me sens mal. Même si je mesure trente centimètres de plus que mon compagnon, je n’en mène pas large. L’énerver est la dernière chose que je souhaite. Je me penche pour récupérer le plateau.
– Je vais tout ramasser.
Sa voix se fait plus douce.
– Pas vous, Samaël. Ce petit sacripant !
Mon regard suit son doigt. Posé tranquillement sur la table à roulettes, un chat lèche sa patte. Il s’interrompt brusquement pour me jeter un coup d’oeil d’un air curieux. Se faisant, il déploie ses ailes sans s’envoler. Sa langue râpeuse commence son travail sur le bout de celle-ci. L’ocultarcat !
Je me relève en trombe. Depuis combien de temps nous observe-t-il ? Pas que j’ai peur qu’il en parle à quelqu’un. Seulement, je n’apprécie pas me faire surveiller par un animal lorsque je suis avec l’homme que j’aime.
– Il est là depuis longtemps ?
Romane accroupie, ramasse délicatement ses outils.
– Depuis le moment où on m’a ramené le corps. Bien sûr, j’ai tenté de le faire partir. Sauf qu’il ne faisait qu’apparaître et disparaître. De ce fait, j’ai décidé de faire peu de cas de lui. J’imaginais qu’il s’en irait de lui-même. Mais s’il commence à me renverser tout, ça va rapidement m’énerver.
– Je dois le retrouver.
– Félicitation Samaël, vous avez réussi votre mission. Cela dit, je n’ai jamais douté de vous.
J’ignore la pointe de moquerie dans sa voix. À présent, il va me falloir agir en vitesse pour me saisir de la bête. Évidemment, c’est à ce moment-là qu’un visiteur déboule.
– Docteur ?
Je retourne pour découvrir Casimo. Petit et sec, son visage ridé évoque plus le parchemin que la peau humaine, cependant son sourire engageant arrive à chasser toutes les appréhensions de ceux qui le croisent. Personnellement, je le connais depuis que je travaille ici.
– Je suis là, déclare Romane se redressant.
Avec délicatesse, il replace les outils sur le plateau que j’ai reposé sur la table.
– Que puis-je faire pour vous ?
D’un geste de la tête, je salue le vieil homme qui me sourit.
– Est-ce que vous auriez un récipient pour donner à boire au chien ? La pauvre bête me suit depuis ce matin.
– Où est-il ?
Il désigne le sol vide à son côté. Ce coup-ci, le malheureux perd la tête. À moins que… L’ocutarcat a la bonne idée de se rendre visible juste sous le nez de Casimo pour gronder et cracher sur une chose qu’il est l’un des seuls à voir. De la surprise se dessine sur le visage du vieil homme alors qu’il recule vivement. Déstabilisé, son corps vient frapper le mur avant de chuter. Il s’étale au sol, au moment même où je suis sur lui. Ses paupières sont closes, me faisant craindre le pire.
Romane arrive juste derrière moi, et je lui cède la place. Sa main cherche le pouls de notre collègue, sans parvenir à le trouver. Son visage est soucieux. Avec une force surhumaine, il soulève le corps pour l’installer sur l’une des tables inoccupées.
– Poudre de fée !
Son doigt me désigne un bocal sur l’étagère murale. Je me précipite sans poser de question. Au retour, je manque de m’étaler sur ce foutu du chat qui me coure entre les jambes. Le pauvre doit être sonné. En tout cas, il a laissé échapper un miaulement énervé. Tant pis pour lui.
Pendant le temps de mon allée-retour, Romane n’est pas resté inactif. Il a déboutonné la chemise de Casimo. Avec empressement, il récupère une poignée de poudre qu’il étale au niveau du cœur. Après quelques secondes de concentration, il me réclame ses outils et de l’alcool. Au pas de course, je repars.
– Qu’est-ce que vous allez faire ?
– Il fait une crise cardiaque. Je vais tenter de le sauver.
Ses sourcils sont froncés, son visage attentif. Si quelqu’un peut réussir, c’est bien lui.
– Vous avez déjà fait ce genre d’opération ?
– Bien sûr que non. Mes patients sont toujours morts. Je suis légiste.
Pas très rassurant, vu de l’extérieur. Seulement, j’ai toute confiance en les compétences de mon compagnon.
– Mais si je ne fais rien, il les rejoindra bientôt.
– Je vous aiderais au mieux. Dites-moi quoi faire !
Sur le corps de Casimo, je peux visualiser toutes les veines mises en évidence par la poudre magique. Avec ces indications, il peut visualiser le caillot. Ainsi, il sait où intervenir. La suite, je la vois défiler sous mes yeux sans pouvoir agir. La maîtrise de Romane me saisit. Ses mains sont assurées. Le corps saigne, mais beaucoup moins que prévu. Grâce à la poussière de fée, le temps est comme suspendu pour notre malade.
Mon attention se concentre sur le légiste. Je crains qu’il ne perde son sang-froid face à tant de nourriture. Mais il n’en est rien. Il reste maître de lui-même. Au bout d’un moment qui me paraît une éternité, mon compagnon recoud le torse. Une fois cela fait, il y dépose une pincée de poudre magique.
– Ça aidera pour la cicatrisation.
Je m’en doute. Cette mixture a des vertus exceptionnelles, elle peut donner corps à nos désirs si ceux-ci sont intenses. Selon la fée dont elle provient, on peut l’utiliser pour de bonnes ou de mauvaises choses. Avec Ivanie, la gentillesse prime. Aujourd’hui, c’est grâce à elle et Romane si Casimo va survivre. Je devrais lui offrir une pâtisserie pour la remercier. Elle adore ça.
Le reste de la nuit est composé d’inquiétude et de discussion avec tout le bureau. J’avoue que cela ne me laisse pas un souvenir impérissable. Tant que notre collègue est vivant, c’est l’essentiel. Mais il lui faudra rester aliter pendant quelque temps.
Après moult félicitations, mon compagnon me rejoint au chevet du vieil homme. Casimo se repose tranquillement à l’infirmerie. Sur la couverture à côté de sa jambe, une petite forme apparaît brusquement. L’ocultarcat donne un léger coup de tête sur la cuisse de notre collègue comme pour le réveiller. Évidemment, ça ne marche pas. Il est encore sous l’effet de la poudre de fée.
Une main délicate se pose sur mon épaule. Puisque nous sommes seuls, j’en profite pour caresser ses doigts.
– Merci. C’est quelqu’un de bien.
J’ignore pourquoi je dis ces mots.
– Je sais. Il fera bientôt jour. Il est temps de se reposer pour vous.
– Pour nous.
Hors de question que je le laisse repartir au travail, surtout avec les émotions qu’il a vécues.
– Je vais bien.
Cette fois, je ne fléchirais pas.
– Le soleil se lèvera dans quelques minutes, répète-t-il.
Pas besoin de réfléchir longtemps pour comprendre que je dois quitter les lieux. Les rideaux ne sont pas tirés. Dans quelques minutes, la pièce sera baignée par la lumière. Le temps me fait défaut pour rentrer chez moi. Je passerais la journée sur place.
– Je vous invite dans mon bureau, déclare Romane.
Ces mots, je préfère les prendre comme une preuve d’amour que comme une proposition amicale. Après un dernier regard pour Casimo, et l’ocultarcat roulé en boule contre lui, je me lève. Sans prononcer une parole, nous gagnons le bureau de mon compagnon. La pièce est sombre. Les volets ont été fermés depuis longtemps. En plus, d’épaisses tentures empêchent la lumière du soleil de pénétrer en ce lieu.
À l’image de Romane, tout est propre et rangé. Sans attendre, il se dirige vers la bibliothèque qui couvre l’un des murs. Du bout du doigt, il passe sur chaque ouvrage jusqu’à trouver celui qu’il cherche. Son visage se fait concentrer alors qu’il tourne les pages.
– Que cherchez-vous donc ?
– Le chien…
Je hausse un sourcil, surpris. Désireux d’en savoir plus, je le rejoins. Il ne fait même pas attention à moi.
– Vous risquez de recevoir de la visite ?
– Sûrement non.
Tant mieux. J’en profite pour passer derrière lui. Mes bras l’enlacent, attirant son dos contre mon torse. Romane ne paraît pas le remarquer. Qu’importe. S’il ne me repousse pas, c’est que je dois avoir un minimum d’intérêt pour lui.
– Voilà, c’est là !
Sous mon nez apparaît une gravure d’un chien noir. Massif, il semble pourtant paisible. Un marquage blanc est visible dans sa fourrure qui dessine la forme d’un crâne. Sur la page d’en face, je peux voir le nom de la créature : chien de la mort.
– Cela ressemble bien à l’animal aperçu ?
À ces mots, mon corps se fige. Est-ce que Romane l’aurait aperçu lui aussi ? Dans ce cas…
– Ces créatures sont connues pour ramener l’âme des défunts dans l’autre monde. Eux seuls le voient. Nous avons sûrement pu le percevoir du fait de notre statut de vampire.
Un frisson me parcourt le dos. Je n’ose pas lui dire que je n’ai même pas discerné un poil du canidé. Mais si jamais lui l’a vu… Non, hors de question que je pense à cela.
– Vous l’avez revu depuis que Casimo a été opéré ?
Il secoue la tête, et la pression qui m’enserrait la poitrine se relâche. Ce doit juste être l’effet d’une perception plus sensible. Peut-être à cause de son statut de métamorphe. En tout cas, je ne peux me départir du fait que s’il n’y a plus de chien, il n’y a plus de mort supposé.
Romane m’entraîne jusqu’au bureau pour déposer le livre. Celui-ci reste ouvert sur la page de la créature.
– J’aimerais l’étudier.
Pour toute protestation, je presse mes lèvres sur son cou. Il frémit et j’en suis le premier heureux.
– J’ai compris. Pas maintenant, soupire-t-il.
Incroyable comme quoi tout finit par arriver.
– Avant toute chose, j’ai quelque chose à vous montrer.
Évidemment, j’aurais dû m’en douter. Tout est bon pour couper court aux rapprochements. Même si ça m’attriste, je le lâche. C’est sa façon d’être et je ne peux rien faire pour le changer. Soit je l’accepte ainsi, soit je cherche quelqu’un d’autre. Sa main trouve la mienne. Je ne peux m’empêcher de resserrer mes doigts sur les siens. Il m’entraîne dans un coin, un rideau sombre y dissimule une porte. La paume sur la poignée, il s’interrompt.
– Je vis ici alors bienvenue chez moi.
Il pousse le battant. La pièce est une petite chambre avec une cheminée sur laquelle est posée une horloge. Un grand lit, une armoire et un meuble de toilette avec son nécessaire terminent le tableau. Le genre de lieu de vie qu’on trouve dans toutes les pensions. Je suis surpris de voir aussi peu de personnalisation de la part de Romane. En même temps, il n’allait pas mettre une ancienne photographie de lui à la vue de tout le monde. Le connaissant, il ne doit venir là que pour dormir et faire sa toilette. Le reste du temps, il le passe sûrement dans son bureau.
– Je… Souhaitez-vous demeurer pendant la journée ici ? Si ma présence vous gêne, je regagnerais mon bureau. J’aimerais au moins vous offrir mon lit pour que vous puissiez vous reposer.
Formidable. Comment peut-il croire que j’aurais envie de dormir dans sa chambre sans lui ? Pour toute réponse, je le soulève dans mes bras. Il est si léger que ce n’est pas un problème pour moi. Surpris, il passe ses mains autour de mon cou avant de se reprendre et râler.
– Samaël, arrêtez ! Je ne suis pas une maudite princesse.
Cette phrase a le don de m’arracher un sourire.
– Je le sais bien. C’est parce que je veux le prince que je vous ai choisi.
Il est si susceptible sur ce point que c’en est risible. À croire qu’il craint d’être aperçu en position de faiblesse. Sans prendre en compte ses grognements, je le porte jusqu’au lit avant de l’y déposer. J’adore malgré tout l’avoir dans mes bras.
Ses mains sont toujours autour de cou. J’en profite pour l’embrasser. Étrangement, je ne fais que poser délicatement mes lèvres sur les siennes. C’est un peu comme si je craignais de le déranger ou plutôt d’être repoussé. Ce qui arrive d’ailleurs, au moment, je passe mes paumes sous sa chemise.
– Je ne me suis pas occupé du feu dans la cheminée.
Un argument qui n’en est pas un. Cela dit, je comprends sans mal le message. Le corps brûlant de désir, je me redresse et l’abandonne sur le couvre-lit. Je ne fais aucun commentaire sur ce qui se passe. La vérité, je la connais. Romane manque encore de confiance en lui. Pourtant avec moi, il devrait savoir qu’il est en sécurité. Je ne lui voudrais jamais de mal. C’est la première fois depuis un moment que je me sens bien avec quelqu’un.
Alors que je secoue la tête, mes mains s’emparent d’un morceau de bois que je place dans l’âtre. Quelques braises incandescentes brillent d’une lumière rouge. Après quelques instants de surveillance, le feu repart. Au moins, nous n’aurons pas froid. Quoique sous la couverture, et l’un contre l’autre, cela aurait été difficile.
Au moment où je me retourne, j’avise la silhouette de mon compagnon glisser sous les draps. Ses vêtements sont posés sur une chaise qui traîne à côté du lit. Mon cœur se serre en comprenant que je ne parviens toujours pas à le rassurer. Au moins, nous allons passer la journée ensemble. Ça me laisse du temps pour tenter de gagner sa confiance. Tout en retirant mes vêtements, je m’approche.
– Est-ce que ce côté du lit vous convient ? me demande brusquement Romane.
Comme si cela avait une quelconque importance pour moi.
– C’est parfait.
Je me débarrasse de ce qui couvre le reste de mon corps puis vient me coller contre lui, mon torse contre son épaule. Il me regarde, timidement. Ma main se pose sur sa joue imberbe que je caresse. Comment lui faire savoir qu’il est le seul qui compte pour moi ? Ne comprend-il pas que je l’aime ?
Ses doigts glissent sur ma taille pour descendre vers une zone beaucoup plus sensible. Romane dans toute sa splendeur. Il est toujours si pressé.
– Attendez. Nous avons le temps.
Des mots que je murmure à son oreille. Il pose à nouveau sa paume sur ma hanche, sans la bouger. Nous nous rapprochons lentement. Des moments de bonheur et d’amour qui lient nos corps aussi bien que nos esprits.
Plus tard, alors que Romane dort dans mes bras, je le contemple. Malgré la fatigue, je ne me lasse pas de le fixer. Pour une fois, il me paraît vulnérable alors que sa respiration se fait apaisée. C’est une belle preuve de confiance qu’il me donne puisque pour la première fois, nous partageons un lit pour dormir. Jusque-là, il fuyait à chaque fois ce moment. Un sourire se dessine sur mon visage. Il m’aime. J’en ai la certitude à présent. Même s’il ne dit pas ses mots, ces gestes me font comprendre son attachement.
Comment pourrais-je le rassurer ? Comment pourrais-je lui dire que je n’ai jamais eu envie de m’impliquer dans une relation avant lui ?
Une ombre passe sur mon visage. Mes pensées se focalisent sur ce chien qu’il a été capable de voir. Si jamais Romane était un mort en sursis ? Non, je ne pourrai pas l’accepter. Je souhaite de longues années à ses côtés. Si ça ne marche pas tant pis, mais je veux le savoir vivant quelque part. Savoir que je peux plus être avec lui parce qu’il est mort, me noue le ventre. Il va me falloir redoubler d’attention pour être sûr qu’il ne lui arrive rien.
Mon bras se resserre sur son corps alors que je me rapproche encore un peu. Mes paupières se ferment. Je n’ai pas honte de dire que je sens bien. Pour le moment, je suis heureux. Heureux avec lui.
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