J’entre dans la pièce sombre, seul le silence m’accueille. Je n’ai ramené aucune lampe à huile, je n’en ai pas besoin. Cette partie du bâtiment, vétuste, n’est pourtant pas encore reliée à l’électricité. Mon attention se porte sur le bureau sur lequel s’entassent les ouvrages de médecines. Je vais devoir faire le tri dans ses affaires. Mon regard accroche l’écritoire décorée de nacre. Mes doigts se prennent à errer sur le bois lisse. Je me suis toujours demandé comment Romane avait fait pour l’obtenir. Une question sans réponse, il aimait tant cultiver le mystère.
Je crois que je n’ai jamais aimé personne autant que lui. Un exploit pour un type comme moi qui passe son temps à papillonner à droite ou à gauche. Seulement avec lui, c’était différent. Il était si charismatique, si attirant. Le genre qu’on aime ou déteste à peine on le rencontre. Je crois que je l’ai haï bien avant de l’aimer.
Brusquement terrassé par les souvenirs, je me laisse tomber sur la chaise. Je crois encore sentir son parfum dans la pièce. Pour peu, je l’imagine réapparaître pour m’adresser son sourire en coin, tout en me faisant savoir que je dois cesser de prendre mes aises sur son lieu de travail. Mais non… Plus jamais, il ne reviendra.
Mes paupières refusent de se fermer parce que lorsqu’elles le font, je revis la scène au ralenti. Le sort brillant dans la main du prêtre, alors qu’il jette son poing en ma direction. Il est d’une rapidité inhumaine, devenu le vecteur d’une puissance divine qui ne cherche qu’à nous éradiquer. Mon cerveau envoie des messages à mon corps pour le faire se mouvoir, malheureusement celui-ci est trop lent. Je sens déjà le spectre de la mort me caresser. C’est là que Romane a surgi. Je n’ai pas eu le temps de crier qu’il a pris l’attaque de plein fouet à ma place.
Tout s’est ralenti. J’ai pu visualiser en détail la scène. Lui qui arrête le coup. Il est devenu si fort. Bien plus que je ne le serais jamais. Sa main qui claque sur le menton du prêtre l’envoyant au tapis. La lumière qui l’entoure, alors que de la poussière commence à jaillir de son torse. En l’espace de quelques secondes, il se désagrège en cendre. Comme tous les vampires, il n’a laissé aucune trace de son passage. Aucun cadavre à pleurer.
Je vais prendre l’écritoire. Ça me ferait chier que quelqu’un lui vole ce bel objet. Je l’ouvre. À l’intérieur, j’y trouve un talisman protecteur. Protecteur mon cul, oui. Ça date de notre première enquête ensemble. Sur chacune des victimes, on retrouvait ce pendentif fait de bric et de broc. Je me demande pourquoi il a gardé une telle connerie. Sans doute par sentimentalisme. Il n’en avait pas l’air quand il coupait des corps en morceau avec une cisaille, mais c’était quelqu’un de très doux et aimant. Est-ce que j’essaie de me convaincre moi-même ?
Le début de notre relation fut assez spécial. Je me souviens simplement qu’à peine terminé, monsieur s’en était retourné dans sa chambre, prétextant que j’avais eu ce que je voulais. Pas un baiser, pas une caresse juste du sexe brute. Pas non plus de discussion sur ce que nous étions et si nous allions recommencer… Rien à part mes yeux pour pleurer.
Son amour, il ne le donnait pas dans les paroles ou dans les étreintes. Il le donnait par sa présence. Le genre de type qui ne dit jamais qu’il vous aime. Plus de pauvres idiots, sont sortis de sa bouche à mon attention que de paroles douces. Malgré tout, il a quand même offert sa vie pour moi dans le plus pur détachement.
Les autres le trouvaient froid, voir même sadique. Il était juste très exigeant, il détestait la médiocrité. Si vous vouliez vous améliorer, il aurait été le premier à ne pas compter ses heures pour vous aider.
Je fixe le bureau. Les bouquins, je n’en ai rien à foutre. Cependant, je préfère vérifier qu’ils ne contiennent rien lui appartenant. Je les feuillette découvrant des magnifiques planches d’anatomies qui peupleront sans doute bientôt mes cauchemars. Ces représentations glaciales me paraissent insupportables. C’est risible venant d’un type qui passe sa vie à rependre son sang un peu partout avant de régénérer.
La médecine était la passion de Romane. Je me suis toujours demandé si c’était de son fait ou pour se rapprocher de son époux. J’ai l’impression de cracher ses mots dans ma tête. Être jaloux d’un mort n’a rien de très enviable.
Quand on parle du loup… Une photographie jaunie tombe d’un petit livre. Je la récupère. Un homme aux cheveux blancs et à la barbe fournie sourit à son vis-à-vis. Franchement, il avait plus l’air d’être ton père que ton mari. D’accord, je ne suis pas objectif. Tu étais un vampire et lui un humain, il continuait de vieillir alors que ta jeunesse restait semblable au premier jour.
Mon doigt passe sur ton visage. Pourquoi lui souriais-tu ainsi ? À croire qu’il était le seul à mériter ton amour. Alors même que moi, j’ai protégé ton secret. Bien sûr, je t’imagine déjà hausser les épaules d’un air nonchalant, tout en me disant « fait en ton âme et conscience ».
J’ouvre le livre pour y glisser la photo. Les mots sur la page de garde accrochent mon regard, me blessant beaucoup plus durement que je ne l’aurais cru possible.
« Avec toute mon affection, à ma femme bien aimée Violine, votre dévoué mari Victor Monteville ».
Je claque la couverture pour ne plus voir ça. Même mort, ce type est partout. Cela ne fait que me rappeler combien il a compté pour toi.
Malgré mon énervement, j’embarque le livre. Il ne faudrait pas que n’importe qui tombe sur la photographie. Que penseraient les gens en apprenant que Romane Monteville, le médecin légiste du bureau de l’ordre de Rosen et vampire de son état, s’appelait à la base Violine ? Non, je ne leur permettrais pas de te juger. Moi-même, j’ai eu du mal à comprendre le pourquoi de ce jeu. Jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’il ne s’agissait nullement d’un divertissement.
Adieu jupons et robe froufroutante qui paraissaient te mettre si mal à l’aise. Bonjour, pantalon, gilet et veste qui t’allait si bien. Personne n’a jamais rien soupçonné, parce que sous cette apparence tu dégageais une telle assurance qu’il était impossible de penser que tu n’étais pas né ainsi.
Je t’ai aimé en connaissance de cause. J’ai aimé Romane bien plus que Violine. Dans un sens, je ne devrais pas être jaloux de l’homme qui m’a précédé. Après tout, lui ne t’a pas connu en tant que toi-même.
Romane…
Je termine mon tri alors que gronde l’orage au-dehors. Il y a peu de choses intéressantes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que tu n’étais pas matérialiste. J’y trouve quand même la montre que je t’avais offerte. Je savais combien elle te plaisait et suis heureux de voir qu’elle n’a rien.
Après un dernier regard, je m’apprête à partir. Dehors, un éclair zèbre le ciel. Je peux l’observer malgré les lourds rideaux qui condamnent les fenêtres. Curieux, je jette un coup d’œil à l’extérieur. La foudre s’abat de nouveau sur la ville. Pendant les quelques dixièmes de seconde où la luminosité est présente, je devine clairement ton reflet à mes côtés dans la vitre. Tu me souris. Pas un de tes rictus moqueurs, non un sourire franc plein d’amour et de tendresse pour moi.
Je soupire. Mon cerveau me fait vraiment voir des conneries mièvres. Tu serais là que tu m’aurais dit de bouger mon cul en quatrième vitesse au lieu de jouer les pleureuses grecques. Toujours se reprendre. Si je suis en vie, c’est pour une raison.
Mes yeux font le tour de la pièce dans un dernier adieu. Je reviendrai plus jamais ici. Trop de souvenirs. Tu ne le souhaiterais pas. Je dois abandonner dans un coin tout ce qui me rappelle ta présence. Romane…
Ça sera dur, mais j’avancerais pour toi. Sinon, tu serais bien capable de réapparaître pour me mettre un coup de pied aux fesses puis t’évaporer sans que je n’aie le temps de dire le moindre mot.
Adieu mon amour…
Je referme la porte du bureau avant de disparaître mes trésors à la main.
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