Esther s’était éveillée dans un sursaut. Au-dessus d’elle, le ciel d’encre lui semblait plus clair, plus doux que les ténèbres dans lesquelles son esprit l’avait entraînée. Contre son corps, à mesure qu’elle reprenait ses esprits, la fraîcheur d’un courant, qui se glissait sur ses courbes, alourdissait les tissus de sa tenue. Elle se sentait portée par l’eau, doucement, sûrement. Aucune roche, aucun être ne faisait obstacle à sa lente traversée. Et dans l’eau, encore cette comptine.
— Seule la Flodenä, pleine de souvenirs, saura te guider…
Esther voulut se redresser. L’eau cependant semblait affirmer sur elle une poigne imaginaire, la maintenir dans son sillage. Elle se laissa alors aller, fermant les yeux pour mieux s’abandonner à ses sens. Soudain, comme pressentant un danger, elle emplit ses poumons d’air. L’eau l’engloutit, l’avalant à grands bruits. Un instant, qui lui parut éternel, Esther se sentit ballottée, malmenée par des flots contraires. Enfin, le calme.
Elle ouvrit les yeux : autour d’elle, tout était limpide, un univers rassurant de bulles et de lumière. Autour d’elle, elle pouvait ouïr des murmures, des appels qui n’attendaient d’elle aucune réponse. Puis cette voix dans le silence qui l’appelait :
— Esther…
Esther avait reconnu ce timbre, cette douceur qu’elle connaissait par cœur. S’affolant, elle jeta des regards avides de chaque côté, tentant de ne pas laisser sa toilette lourde la tirer dans les entrailles de la rivière. Puis, par instinct ou par hasard, elle jeta une dernière œillade vers le fond. Ce fut alors qu’elle la vit, là, juste avant de remonter à la surface.
Dans un dernier élan, elle sortit la tête de l’eau et ouvrit grand la bouche pour emplir d’air ses poumons brûlants. La cavité dans laquelle elle se trouvait était remplie d’eau de moitié, semblait aussi nacrée qu’un coquillage ; elle possédait des reflets irisés que la Nature ne pouvait créer à l’aide de sa seule palette. Mais plus encore que la grotte, dans laquelle elle avait été propulsée par la chute d’eau, qu’elle devinait au loin, ce qu’elle avait vu tout au fond, plantée dans le sable l’obsédait. Avait-elle bien vu ? Avait-elle bien entendu ? se questionnait-elle en s’agrippant à la paroi pour économiser ses forces.
Son souffle retrouvé, elle plongea sa tête dans l’eau. L’objet de son intérêt était toujours là ; elle ne l’avait pas rêvé.
— Seule la Flodenä, pleine de souvenirs, saura te guider…, se répétait-elle tandis qu’elle se dépossédait de sa cape trop lourde, de ses chaussures, de ses bas, de son pantalon du dessous. Si j’ai été portée par la Flodenä jusqu’ici, en voilà sûrement la raison.
Et, reprenant une pénultième fois son souffle, elle plongea, fendit le linceul liquide qui enveloppait le dernier fragment de son père.
— Esther…
Tandis qu’elle s’enfonçait plus encore, les yeux grands ouverts, la pierre de lune à son cou émettant toujours une timide lueur, elle parvint à effleurer du bout des doigts l’objet de son départ, l’objet de sa quête. Son père, ainsi, ne l’avait pas enterrée dans les entrailles de la Terre. Il était allé jusqu’à cette rivière de légende, jusque dans son cœur. Car quel homme, quelle bête aurait osé s’aventurer jusque-là ?
— Ma tendre Esther…
Esther saisit avec révérence son trésor, son souvenir et le serra contre son sein. Autour d’elle, mille étoiles dansaient joyeusement, cependant qu’elle oubliait son corps, sa respiration, son nom même, elle fut saisie par un flot de souvenirs qui animaient d’une vitesse folle le kaléidoscope de sa mémoire.
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