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tome 1, Chapitre 13 « Ténèbres » tome 1, Chapitre 13

Le corps meurtri, étendue sur un sol dur et humide, elle sentait un souffle glacé parcourir sa chair à nu.

— Stjörauga¨ ? appela-t-elle. Stjörauga !

Mais seul le silence lui répondit, alors que le son des voix se réverbérait dans l’obscurité. Elle se souvenait que la fileuse lui avait montré le chemin qui la conduirait vers sa destinée. Elle avait gravi les degrés, la bête ombre devant elle ; Stjörauga était demeuré en arrière. Une marche, puis deux, le vide ; son pied avait heurté le vide et elle était tombée.

Encore percluse des douleurs de sa chute, elle tenta de se redresser, en vain. À tâtons dans le noir, avançant à quatre pattes, ses doigts heurtèrent soudain des fragments de verre, puis de métal.

— Non ! Non ! gémit-elle, comme elle se mordait la lèvre jusqu’au sang, pour retenir les sanglots de rage qui lui montaient dans la gorge, cependant que sa main touchait les restes d’une lanterne brisée.

Par bonheur, elle avait aperçu la faible lueur de la pelote, que lui avait confiée la fileuse. Mais alors qu’elle s’en emparait, celle-ci se désagrégea et une fine poussière luminescente l’enveloppa, tandis que deux flammes surgissaient du néant. C’était la chose ombre qui s’avançaient dans les ténèbres. Son regard étincelait, chargé d’opprobre et de reproches, laissant derrière, à chaque pas, un peu de sa chair . Derrière elle se dressait Stjörauga, mais son visage n’était plus qu’un amas de chair mêlé de cuir et de métal, percé d’yeux dépourvus de vie.

Terrorisée par l’apparition, elle se recula vivement, quand une main s’abattit sur son épaule et la tira en arrière.

— Viens avec moi, lui souffla une voix.

Esther voulut s’arracher à l’étreinte et, comme elle se retournait, elle ne put retenir un cri d’effroi en découvrant son visage qui lui faisait face.

— Lâchez-moi ! hurla-t-elle en se débattant. Lâchez-moi !

Les mains se retirèrent, la laissant pantelante dans sa prison de pierre. Elle leva les yeux pour tenter d’apercevoir la Lune, mais ne perçut que les ténèbres dévorantes.

— Stjörauga !

Son appel s’évanouit dans le silence. Elle était seule. Complètement seule face à sa pire crainte.

Du bout des doigts, elle tâta la roche, s’y adossa en gémissant de douleur. Puis le chagrin s’empara d’elle, la secoua de lourds sanglots. Abandonné l’orgueil, abandonnée la pudeur, Esther s’était mise à hurler de douleur, ses bras serrés contre elle pour se protéger de ses démons, des larmes roulant en cascade sur ses joues.

Elle regrettait la rassurante présence de Stjörauga, se repentait d’avoir tant voulu avancer sans réfléchir. Elle s’en voulait d’avoir brisé la lanterne de la tisseuse, de ne pas avoir précieusement gardé la pelote de la fileuse. Le cœur dans un étau, elle leva les yeux. Et en face d’elle, elle se voyait. Elle s’observait avec dédain, une moue déconcertée au visage.

— Chères ténèbres, souffla-t-elle entre deux sanglots, me voilà prête à succomber…

Elle renifla à nouveau, ramena ses jambes contre elle. Elle ne savait plus où aller, que faire… Perdue dans l’obscurité, elle sentait ses forces l’abandonner.

— Père… Aurai-je à nouveau un jour après cette nuit ?

Oh, comme il lui manquait ! Comme elle aurait souhaité, là, immédiatement, se jeter dans ses bras et le supplier de la garder serrée le plus fort possible contre lui ! Mais il n’était plus là. Il ne restait qu’elle.

— Je me suis éloignée du chemin, je ne sais où aller… Je suis si seule…

— Esther…

— Et à nouveau… voilà les démons…

— Esther…

— C’est beaucoup trop pour moi…

— Esther…

— Pitié, laissez-moi !

D’un geste brusque, elle chassa ses illusions en hurlant. Comment allait-elle pouvoir se relever, à présent que tout était perdu ? C’était bien plus que ce qu’elle était en mesure de supporter… Et maintenant qu’elle n’avait plus de lumière, plus rien pour la guider ? Allait-elle mourir là ?

Esther secoua la tête pour se débarrasser de ces tristes idées. Mais comme des chimères entêtantes, elles revenaient sans cesse la hanter, la meurtrir, dévorer son cœur fissuré.

— La seule lumière qui me guidait… c’était votre sourire, père…

Mais déjà dans son esprit, son image rassurante s’effaçait. Ne demeurait que la douleur qui irradiait tout son être et ce visage, ce visage par trop familier qui la fixait en regard. Que se reflétait donc dans ces yeux, sinon la pitié qu’elle s’inspirait ?

— Esther, souffla de nouveau la voix.

— Non ! Non ! Non !

— En es-tu certaine ?

Devant elle dansait une lueur aux reflets mordorés. Pendue autour de son cou, elle exhibait une minuscule bourse de cuir enveloppée d’un halo doré, qu’elle avait recueilli au creux de ses paumes.

— Te souviens-tu ? Tu en as donné une à la tisseuse et elle t’a confié sa lanterne pour voir au travers des ténèbres. Tu en as confié une autre à la fileuse, en échange, elle t’offrit une pelote de fil qui te conduirait au travers du labyrinthe.

Moqueuse, elle rit, cependant que son visage se déformait, se creusait, la chair remplacée par l’artificiel.

— Fougue et fureur de la jeunesse, voilà qui causera votre perte, ricana-t-elle.

Entre ses mains, elle tenait une lame, une lame qui lui avait confié l’être le plus cher à son âme.

Brillante, elle l’éleva révélant son visage sans éclat, puis la plongea dans son sein, d’où jaillit un sang noir ; un sang noir comme l’ébène qui se répandit par terre, cependant que s’allumaient des yeux de braises dans les ténèbres. Famélique, cachectique, la bête ombre, le pelage sale et désordonné, ses poils tombant par monceaux ; la bête ombre s’avançait malgré la souffrance qui déformait ses traits.

— Encore toi, siffla la voix, mauvaise.

— Père, gémit Esther qui, troublée par la douleur, crut apercevoir dans la physionomie de la gueule noire les ombres de son visage.

Sa main s’égara sur le pommeau de la dague. Un instant, elle s’imaginait l’en retirer pour l’enfoncer dans sa poitrine, pour abréger enfin cette souffrance insupportable. Elle était épuisée, sentait son côté meurtri la lancer à chaque respiration.

Prostrée dans les ténèbres, elle se sentait si misérable… Un poids sur son cœur exerçait sur elle une terrible gravité qui la maintenait à genoux. Et pourtant…


Texte publié par Yukino Yuri, 22 septembre 2020 à 11h57
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