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tome 1, Chapitre 12 « La fileuse d'étoiles » tome 1, Chapitre 12

La fileuse d’étoiles lui tournait le dos, actionnant avec un savoir-faire certain un fuseau de nuages. Sur l’aiguille, une pelote de fil doré grossissait petit à petit. À mesure que la pelote s’imposait de plus en plus, le tas de poussière d’étoiles au pied de la créature diminuait. Elle en prenait une pincée de temps à autre, la frottait au creux de ses mains et en tirait une laine étincelante.

— Il est bien rare que les ombres de cette caverne laissent passer un mortel jusqu’à moi.

Avec légèreté, elle se redressa. Le bruit régulier de la roue se stoppa net tandis qu’elle descendait de son cristal, posant ses pieds sur les grains de lumière comme s’ils eurent été les marches d’un escalier.

Esther ne pouvait détacher ses yeux de cette femme aux yeux d’ambre, au teint de lait, sur lequel scintillaient des éclats d’étoiles. Sa longue robe de plumes immaculées s’étendait à l’infini.

— Tu dois être Esther.

Esther resta muette, ne sachant que dire face à une telle créature, avant de pudiquement baisser la tête, soudain impressionnée par la prestance énigmatique de la fileuse.

— Je l’ai deviné, continua la fileuse, car les étoiles qui t’ont guidée jusqu’à moi me l’ont soufflé. Que celui, qui t’a baptisée ainsi, a été avisé. Tu es aussi scintillante qu’une étoile.

Esther se surprit à rougir sous le compliment.

— C’est mon père qui m’a donné ce nom.

— Je le sais bien.

La fileuse avait passé ses doigts dans les cheveux d’or de la jeune fille. Un instant, Esther se sentit dépourvue de souffle. Cette créature… Il lui semblait qu’elle lisait en elle, qu’elle feuilletait le livre de sa mémoire sans même en éprouver de remords. Esther voulut reculer, mais la fileuse posa sur son bras une main qui la retint.

— Ne te dérobe pas. De quoi as-tu peur ? De quoi te caches-tu ?

Esther sentit la poigne de la créature s’intensifier.

— Je ne me cache de rien…, gémit Esther qui sentait les ongles se planter dans sa chair

— En es-tu bien sûr ?

Les yeux s’approchaient de plus en plus. Le visage blanc de la fileuse se tenait à quelques centimètres de celui d’Esther. Elle pouvait presque sentir son souffle se mêler au sien.

— Je le crois, oui…

— Tu es bien naïve…

Un pâle sourire se dessinait sur ses lèvres, cependant qu’un instant son visage perdit de sa substance ; elle sentait la main de la fileuse se retirer de son bras, comme à regret.

— … ma fille.

En ce moment de temps suspendu, Esther n’aurait su dire qui avait prononcé ses paroles. Elle ? La fileuse ? Ou bien encore la créature ombrageuse couchée à ses pieds ?

Muette, elle se forçait à refermer le livre de son esprit, mais cela était peine perdue ; elle sentait toujours le regard de la femme fouiller en elle, bien qu’elle n’ajoutât rien.

— Fougue et fureur, soupira-t-elle soudain. La main tendue, elle lui caressa la joue, écartant une mèche rebelle qui lui tombait sur le coin de l’œil. Tu as fait preuve de courage en venant jusqu’à moi, de bravoure également, mais peut-être cela te perdra.

Son toucher était tout à la fois brûlant et glacial ; il lui sembla qu’elle venait de lui apposer sa marque comme sa chair la cuisait.

— Et toi, murmura-t-elle, les yeux baissés, à l’adresse de la chose ombre qui n’avait pas bougé.

La fileuse se recula d’un pas ; d’étranges flammes dansaient dans son regard.

— Ma sœur t’a confié sa lanterne ! Moi je te donnerai cette pelote de laine, en échange d’une de tes pierres d’étoiles ; elle t’aidera à franchir ce qui se dresse entre toi et elle. Bien sûr, tu es en droit de refuser et de la garder, mais ton chemin n’en sera que plus tortueux.

Cette fois, Esther n’hésita pas et tendit à la fileuse une pierre aux reflets d’argent.

— Sois-en remerciée ma fille, souffla la créature comme lui elle plaçait au creux de ses paumes une sphère, aussi brillante qu’une étoile nouveau-née.

La pierre entre ses doigts ; la fileuse l’ouvrit en deux et en fit jaillir un astre qui aussitôt s’envola.

— Glisse-toi dans ce tunnel, lui souffla-t-elle. Par-delà les rochers, tu trouveras une rivière qui garde les secrets anciens en son sein. Là-bas, tu y trouveras les réponses aux questions que tu te poses…

La fileuse l’avait menée avec prévenance jusqu’à un escalier qui grimpait jusqu’au ciel. Là-haut, la Lune s’était revêtue de ses toilettes de nuages, sa lueur illuminait timidement les dernières marches.

Esther avait gravi la première marche, puis la seconde. Dans sa main, elle serrait la pelote de laine. Dans l’autre, le bâton au bout duquel se balançait la lanterne. Ses flammes glissaient sur les formes de la roche, formaient autant de chimères que l’imagination pouvait en produire.

— Cela sera fait selon votre volonté, entendit-elle dans son dos.

Furtivement, elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Stjörauga s’était incliné devant la fileuse, tenant contre son torse un petit objet dont lui seul connaissait la forme et l’usage. La bête d’ombre déjà grimpait, grognant joyeusement.

Esther allait gravir la dernière marche ; le fond de l’air frais de la nuit lui caressait le visage lorsque le sol se déroba sous ses pieds.

Surprise, elle se sentit traverser la marche qui s’écroulait, tandis qu’elle s’enfonçait dans les ténèbres en hurlant de terreur.


Texte publié par Yukino Yuri, 22 septembre 2020 à 11h54
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