Leerdamer se grattait la tête depuis un long moment, tant qu’il s’était pelé la peau du crâne. Avec dédain, il avait contemplé pendant un temps tout aussi long, le tas de squames verdâtres qui s’était amoncelé sur le sol, puis il l’avait ramassé avant de la déposer au milieu de ses semblables. Bien sûr, il avait pris le temps de les réarranger avec un soin extrême, de manière qu’on ne pût les confondre avec les autres. D’ailleurs, il pouvait en être fier. En effet, l’un de ces bipèdes, dont il avait surpris les allées et venues le matin même, avait demandé à un autre, s’il avait rangé les batavias comme il appelait ces étranges amas d’oreilles vertes. Tous deux habillés d’une superbe tenue rouge et grise, ils se ressemblaient comme deux gouttes de dihydroxyde d’oxygène, hormis leur figure qui émergeaient d’une curieuse masse blanche et frisée qui ornait leur crâne. L’autre lui avait alors rétorqué que non, avant d’ajouter un mystérieux : « Vois çà avec le chef ! » À ces mots, Leerdamer avait été très étonné de la réaction du bipède. En effet, son corps s’était soudain voûté, comme tout le poids du monde reposait sur lui, son teint était devenu tout à coup cireux et sa mine s’était fripée d’un seul coup, ressemblant aux « terme intraduisible » de sa « terme intraduisible », au lieu de se rendre à l’autel dédié à celui qui était très certainement la divinité du lieu, puisqu’il était très certainement omniscient, voire omnipotent, s’il en jugeait par la teneur de leur échange. Mais non ! À la place, il avait haussé les épaules et balayé l’air de la paume de sa main.

— On va pas le déranger pour ça ! avait-il maugréé d’un ton maussade.

Leerdamer était vraiment perplexe. Partout, les divinités, où qu’il se fût rendu auparavant, les divinités étaient là pour répondre aux interrogations des croyants et, si leurs réponses manquaient souvent de clarté, à tel point que seuls les obscurs étaient en mesure de les saisir et de les déchiffrer, elles n’en étaient pas moins, toujours, disposées à recueillir leurs doléances. Comment se pouvait-il qu’une telle créature refusât de tendre une oreille, même inattentive à ses ouailles ? Insatisfait, il ne savait que faire, surtout qu’il ne désirait pas écourter sa visite. N’attendait-il pas avec une impatience non feinte l’ouverture des grands panneaux transparents ? En effet, derrière s’agglutinait déjà une foule pressée et bigarrée. Remisant à plus tard, ses questionnements au sujet de a dévotion de ces biens étranges chargés du culte, il reporta son attention à la nuée qui grossissait de plus en plus. Beaucoup poussaient devant eux une très étrange cage métallique, pourvue d’une large ouverture sur le dessus, posée sur quatre roues, qui tournaient avec un bruit atroce de bredoulocheux occupé à couler un bronze. Certains avaient même posé leur progéniture à l’intérieur, ou bien sur la plateforme en matière plastique, d’un rouge du plus bel effet, prévue, s’il en jugeait par leur manière, à cet effet ; sans doute était-ce là en vue d’un échange futur. Sûrement se rendaient-ils, eux aussi, auprès du « Chef », afin de lui porter leurs propres doléances. À cette idée, Leerdamer en conçut une grande joie ; il lui fallait à tout prix éclaircir ce mystère. Il était tout de même, fort étrange qu’autant de fidèles se pressassent auprès d’une déité, qui ne faisait l’objet d’aucune dévotion de la part de ses propres représentants du culte.