Étonnée, Coca-Cola fixait avec une attention soutenue la porte, par laquelle s’engouffrait un nombre certain d’étranges bipèdes ; étranges, car ils étaient tous identiques ou presque, seuls les traits de leur visage semblaient marquer une différence, leurs visages et ses choses rondes que d’autre possédaient au niveau de la poitrine, enfin presque. Assis en équilibre sur un courant d’air chaud qui s’échappait d’une dalle percée d’une constellation de trous, Coca-Cola se creusait la tête. L’index, à présent au niveau de son lobe frontal gauche, il pouvait sentir au bout de son doigt la viscosité du tissu arachnoïdien. Devant lui, les mammaliens défilaient sans le voir ; il se serait déshabillé qu’ils ne l’auraient même pas remarqué, au pire il l’aurait sûrement confondu avec l’un de leurs petits, une peau verte et une tête de la taille d’un gros potiron en plus. De plus en plus dubitatif, il se tourna vers Häagen-Dazs, tout occupé à raccourci ses nerfs optiques, après qu’il eut jeté un coup d’œil dans l’une de ces mystérieuses boîtes vertes, où était écrit – il l’avait lu dans un dictionnaire – le nom d’un préfet : fonctionnaire placé à la tête d’un département ou d’une région et ayant pour fonction de représenter l’État. Il ignorait ce que cela pouvait bien signifier, mais cela l’avait convaincu qu’il devait rencontrer la créature nommée Coca-Cola et la remercier ; c’était là la plus élémentaire des politesses : remercier celui à qui l’on devait son nom de baptême.

« T’es sûr de toi ? »

Häagen-Dazs poussa un cri et une plaque transparente s’étoila.

« Oui ! » balança-t-il, occupé à maintenir en place son œil récalcitrant.

Coca-Cola n’ajouta rien, mais il n’en pensait pas moins. Quelle idée de se pencher pour regarder le contenu d’une « poubelle ». Quand il était remonté, non seulement ses globes oculaires avaient disparu, mais en plus il s’était couvert la tête d’un liquide épais et nauséabond, vaguement rosé et taché de rouge, dont l’odeur sucrée avait attiré à lui de minuscules créatures, rayées de noir et de jaunes, qui n’avait eu de cesse de les piquer. Dédaignant son compagnon, il reporta son attention sur ses étranges bipèdes à l’œil rivé sur un mystérieux boîtier ; d’environ la taille de leur membre agile et aussi plat qu’un limandon, dans lequel ils envoyaient des sons ; sans doute était-ce là une manière de communiquer avec leurs divinités. Peut-être étaient-ils des disciples de haut rang, car ils n’y avaient qu’eux qui marchaient ainsi ; après tout, cela expliquerait, par la même, la ressemblance frappante qu’il y avait entre eux et la monotonie de leurs parures. Coca-Cola en était presque déçu ; il ne portait pas le costume rouge et blanc, comme il devrait leur sied. Mais peut-être que leur dieu suprême n’appréciait que l’absence de couleur et de forme. D’un coup, attristé, il se demanda s’il devait ou non entrer dans la bâtisse, aussi impersonnelle que ces religieux qui y pénétraient.

« Qu’est-ce qui t’arrive » s’étonna Häagen-Dazs, qui bataillait toujours avec son œil gauche, après qu’il eut sauté pour la quatrième fois hors de son orbite.

Les genoux recroquevillés sous son menton mou, il battait de la main et tournait en rond. C’était la première fois qu’il ressentait un tel désarroi. Sur Mirloui, Fragiporne ou encore Veldane ; planète plus connue pour l’inventivité de ses habitants, en matière de passage de vie, à trépas que pour ces paysages bucoliques, il avait chaque fois présenté ses hommages aux créatures, auxquelles il avait emprunté son nom de baptême. Pourtant, en cet instant, il sentait dépité et désappointé, aucune chaleur, aucune vitalité ne se dégageait de ces corps en marche. Leurs dieux étaient-ils des vampires, ou bien, tout occupé à leu dévotion, ils en avaient oublié de vivre ?