Dubitatif, Léon de Bruxelles fixait avec une attention soutenue la dalle recouverte de carreaux en céramique blanche, devenues grises après avoir été foulées par tant de pieds crasseux. Léon de Bruxelles, son nom, il l’avait trouvé un jour qu’il passait dans une rue déserte ; enfin, déserte selon ses critères, pas plus de quelques centaines de bipèdes, agglutinés les uns contre les autres, la langue collée contre des parois transparentes. Il marchait là, invisible et inconsistant à tous ces humains, plus préoccupés par ce qu’il y avait derrière les devantures, plutôt que l’endroit où leurs pieds les emmenaient. Cela ne faisait que quelques semaines qu’il était arrivé et, savoir qu’il s’appelait Frzzzzzl, le minait. Non qu’il eût détesté son prénom, après tout ses parents l’avaient baptisé ainsi. Mais il était toujours de bon goût d’adopter un nom local, quand on débarquait après un si long voyage. Seulement, il avait du mal à se décider, il y en avait tant ; encore une fois il avait l’embarras du choix. À côté de lui, Ariel faisait des bonds de cabris, un doigt posé sur le crâne. Lui au moins, il n’avait pas mis longtemps. Mais il avait eu de la chance ; tombé au travers du toit d’un bâtiment tout gris et moche, il n’avait dû son salut, qu’à la présence d’une grande quantité de poudre blanche et bleu, qui sentait bon. Quand il en était sorti, il avait vu ce nom, peint en large lettre verte sur un fond blanc immaculé : Ariel.

« Bon tu te décides » Frzzzzzl n’aimait pas qu’on le bouscule. Pourtant il pensait avoir trouvé la perle rare. À quelques dizaines de puzzlées, d’où partait une file quasi ininterrompue d’humains de toutes tailles, de tous âges et de tous sexes ; il y avait cet écriteau suspendu au-dessus de l’entrée : Léon de Bruxelles. Que ces créatures mammaliennes s’y précipitassent n’entrait guère en ligne de compte quant à son choix. C’était plutôt les belles images, qui l’illustraient, qui lui plaisaient. En dessous de Léon était figurée une forme, vaguement ovoïde et dissymétrique ; l’un des côtés était plus fin que l’autre ; une langue orangée dépassait légèrement. À sa droite, en dessous de Bruxelles, il y avait plusieurs bâtons jaunes et dorés, piquetés de minuscules trous. Oh, oui ! il était décidé, et plus que jamais, ce serait Léon de Bruxelles, ou rien. Rayonnant, il s’était alors tourné vers Ariel, très occupé à jouer avec ses bajoues, qu’ils tentaient de nouer autour de son crâne, et avait bombé le torse, faisant gonfler son ventre de manière démesurée.

« Alors ? Ça y est ? »

Il avait lâché sa peau flasque, elle était retombée avec un bruit qui lui rappelait le claquement des pieds, dans les flaques de boue. Ravi, Frzzzzzl souriait de ses huit rangées de dents.

« Léon de Bruxelles ».

Il avait annoncé çà, avec tant de solennité, qu’Ariel en était demeuré coi pendant plusieurs fractions de mémondes, avant d’étirer ses lèvres en un sourire qui lui avait recouvert les oreilles.

« Était-ce si compliqué ? »

Mais Léon de Bruxelles avait préféré garder le silence ; pas la peine que cela s’ébruita plus que de raison. De toute façon, il n’avait mis que six semaines à se décider.

« Oh ! Ça va ! Ce n’est pas pire qu’à Mirloui. Non ? »

Non, ce n’était pas pire que Mirloui dans le système Vega. Six années locales, il avait mis à choisir, soit sept semaines terrestres. Mais à cause de cela, il avait été la risée des siens pendant toute la durée de son séjour là-bas. Pas question qu’Ariel lui gâchât son séjour ! Il avait enflé son ventre, avant de le saluer, puis de lâcher un énorme jet gazeux qui l’avait ensuite propulsé dans une poche d’air chaud ; Léon de Bruxelles, comme cela sonnait bien à ses pavillons. Resté en bas, au milieu de la foule bipédique, Ariel l’avait regardé s’envoler puis s’était désintéressé ; il fixait avec un air gourmand une large barbe bleue.