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Francis 1985 (40 ans)

Déjà une journée que Cliff est parti. Il m’a appelé dès qu’il est arrivé sur place. Au moins, je sais où il est de cette manière. Il n’y a pas plus discipliné que ce garçon. Au début, je croyais qu’il serait difficile à gérer parce qu’il était capable de tuer avec une facilité déconcertante. Mais en vérité, c’est quelqu’un d’organisé et de travailleur. Je tente de lui fournir le plus de contrats possibles, voir jusqu’où il peut aller.

Jusque-là, j’avoue que je n’ai jamais été déçu. Il passe toutes les épreuves haut la main. Même si je n’aime pas avoir à le reconnaître, je pense pouvoir dire qu’il est meilleur que moi. Ce n’est pas bon pour l’égo.

À nouveau, mon épaule me lance. De la main gauche, je la masse. Cela ne sert à rien sinon à tenter de faire disparaître la douleur. Saloperie de blessure ! Sans elle…

Sûr que Cliff ne s’en serait mieux tiré dans cette situation. Petit con, va.

Un bruit résonne dans la maison. Quelqu’un toque à la porte. J’espère que c’est pas encore un de ces démarcheurs, sinon je vais bien l’accueillir.

D’un pas décidé, je gagne l’entrée pour faire pivoter le battant. Derrière, au lieu d’un type en costume qui veut me vendre sa connerie, je découvre une jeune femme avec une assiette dans les mains. J’ai du mal à cacher mon étonnement. Est-ce que Cliff lui a fait autant d’effet ? Ça sera bien la première fois qu’il s’intéresse à une femme. D’ailleurs, j’avoue m’être posé des questions, mais ce n’est pas de sa bouche que j’obtiendrais la réponse.

– Bonjour.

Je détaille mon interlocutrice. Elle possède un visage ovale aux grands yeux noisette et des joues rosées. Ses cheveux blonds sont coiffés en queue de cheval dont s’échappent quelques mèches. Je remarque qu’elle est venue au naturel. Elle n’a pas fait d’effort vestimentaire particulier, elle porte juste un jean.

Surprise de me découvrir, elle écarquille les yeux. Au bout de quelques secondes, elle se reprend.

– Bonjour… Je croyais que c’était ici qu’habitait Clifford Délos…

– C’est bien ici. Sauf qu’il n’est pas là.

Mignonne cette petite. Moi aussi, j’aimerais la connaître plus intimement.

– Ah… Désolée, j’avais fait ce gâteau pour le remercier de m’avoir aidé pour ma voiture. Est-ce que vous pourrez lui donner ?

Elle me tend une assiette sur laquelle est posé un moelleux au chocolat. Je m’en saisis. Il a l’air appétissant. Quelle chance a Cliff, elle parait savoir faire de bons petits plats.

– Pas de souci. Je lui donnerai à son retour.

S’il rentre assez vite, sinon je crains qu’il sèche.

– Merci, monsieur. Je vous souhaite une bonne soirée.

Je la salue et elle tourne les talons. Mon regard erre sur ses courbes. Son manteau se resserre sur sa taille fine. Une bien belle fille…

Après avoir fermé la porte, j’emmène le gâteau en cuisine. Je retire le film plastique qui le recouvre. Une odeur de chocolat se glisse jusqu’à mes narines, me mettant l’eau à la bouche. Cliff ne m’en voudra sûrement pas si j’y goûte.

Je tire un couteau du tiroir avant d’en couper une belle part. La lame s’enfonce avec facilité pourtant ma main tremble. Saloperie de blessure. Je me sens comme le dernier des handicapés. L’envie d’envoyer tout valser me prend. Mais ça serait dommage pour ce gâteau. Surtout qu’il a l’air fondant à souhait. Si je pouvais avoir quelqu’un qui me cuisinerait de bons petits plats… Autre que Cliff…

Je n’ai jamais compris comme il peut être une parfaite femme d’intérieur, un tueur doué et un gamin aussi froid et peu causant. Des fois, je me demande si quelque chose peut le toucher. Les premiers meurtres sont toujours les plus difficiles. Lorsque je l’ai mis au défi, j’ai pensé qu’il hésiterait, qu’il prendrait la fuite ou abandonnerait. Pas qu’il tirerait de sang-froid sur quelqu’un avec qui il vivait.

De même, il n’a pas pleuré, vomi ou jubilé. Il est resté immobile quelques secondes avant de me rendre l’arme. Son regard à ce moment-là, m’a fait froid dans le dos. Il m’a paru vide.

Cliff n’a d’ailleurs, jamais eu de mal à dormir. Il s’endort quand il le souhaite et où qu’il soit. À croire que ce qu’il a vu ou fait ne vient jamais le tourmenter. Je n’arrive pas à imaginer ce qu’il y a dans sa tête.

Ce n’est pas le premier choix que j’aurais fait, mais c’est clairement le meilleur que je pouvais faire. Cliff, c’est à croire qu’il est né pour ça.

Je recoupe un morceau de gâteau. Il est vraiment délicieux. Qu’est-ce qu’il lui a fait pour la séduire ? En général, il fait plutôt la gueule à tout le monde et ne sort jamais.

Mon attention se porte sur un livre oublié dans un coin de la cuisine. Je m’en saisis pour le feuilleter. C’est encore un de ses policiers qu’il affectionne, avec l’inspecteur Valia Kowrosky. Parfois, je me dis que s’il pouvait c’est avec son héroïne de papier qu’il se marierait.

Qu’est-ce que ça raconte ? Sans trop savoir pourquoi je commence à lire les premières lignes. Finalement, ça m’occupera peut-être en attendant le coup de téléphone du gamin.