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tome 1, Chapitre 26 « Discussion entre amis » tome 1, Chapitre 26

Clifford 1975 (14 ans)

En général, je vais chercher Tonio au collège lorsque nous quittons à des heures différentes. Je l’attends à moitié appuyé sur l’arbre près du passage piéton. Parfois, il me retrouve en courant, enthousiaste à l’idée de me raconter sa journée. D’autres fois, il arrive après tout le monde parce qu’il est resté posé des questions à l’un de ses professeurs.

Aujourd’hui, je m’en veux. J’étais tellement plongé dans la lecture de mon roman que je n’ai pas vu le temps passé. Il faut avouer que l’histoire est prenante. C’est un huis clos dans une station de ski où les gens sont bloqués à cause de la neige. Ce n’est pas vraiment de saison puisque nous sommes au printemps, mais ce m’importe peu. Ce roman, je l’ai emprunté à la bibliothèque. D’ailleurs, il faudra que j’y retourne bientôt, car j’ai déjà lu les deux premiers que j’ai ramené.

Du coup, quand j’ai pris conscience du temps qui passait, j’ai remis en vitesse l’ouvrage dans mon sac et je me suis mis à courir. À toute vitesse, j’ai traversé le pont. Mes pas sur les planches de bois faisant un bruit fou, mais cela m’importait peu.

Les portes du parc étaient de plus en plus visibles : de grandes grilles noires en fer forgées avec des piques au bout pour éviter qu’on les escalade. Nous passions tous les jours par ce chemin pour rentrer. Couper par là n’était pas plus rapide, mais beaucoup plus agréable. En plus, on pouvait saluer nos copains les canards.

Alors que j’approchais de la sortie, une présence sur un banc a attiré mon regard : Tonio. J’étais vraiment en retard. Des larmes coulaient sur son visage. Mon cœur s’est serré à ce spectacle. Est-ce que c’était ma faute ? Est-ce que j’avais fait pleurer mon seul ami ?

L’envie de prendre mes jambes à mon cou me saisit. Je résistais néanmoins. Sans bruit, je m’assis près de lui.

– Tonio, je suis désolé…

Dans un grand geste, il essuya ses larmes sur la manche de son t-shirt.

– Cliff ?

Son visage se tordit en une grimace alors que mon estomac suivait à peu près le même cheminement.

– J’étais en train de lire et je n’ai pas vu le temps passer. J’aurais dû faire plus attention…

Mon ami a secoué la tête.

– Ce n’est pas ça, a-t-il réussi à murmurer.

Du coup, cela ne faisait qu’attiser ma curiosité. Qu’est-ce qui avait pu le mettre dans cet état ?

– Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

– Rien…

J’ai froncé les sourcils. Pas besoin d’être un génie pour comprendre qu’il me mentait.

– C’est juste des bêtises…

Avec douceur, j’ai passé ma main autour de ses épaules.

– Je suis sûr que c’est plus important que tu ne le dis sinon ça ne mettrait pas dans cet état-là.

– Cliff…

À nouveau, il frotte un de ses yeux dans sa manche.

Je change de technique pour le faire parler.

– Tu veux aller voir les canards ?

Il ne répond pas, mais hoche la tête. Je patiente le temps qu’il se lève puis nous nous mettons en route. Les idées s’entrechoquent dans mon esprit, il faut que je trouve un moyen de le faire parler.

– Est-ce que tu aurais pleuré si jamais j’étais arrivé à l’heure ?

Sa réponse se fait attendre.

– Cliff, ce n’est pas ta faute. Tu ne peux pas toujours être à mes côtés, je dois apprendre à me débrouiller seul comme un grand.

Même si je comprends son point de vue, je dois le rassurer. Peut-être que si je lui confie quelque chose, ça l’aidera à y voir plus clair. Parler de moi n’est pas ce que je préfère, mais pour le bien de Tonio, je dois dépasser mes appréhensions. Après tout, il est plus jeune que moi. C’est mon devoir de l’aider à grandir.

Nos pas soulèvent de la poussière alors que nous avançons sur le chemin de terre. Près de la rivière, il fait plus frais. Les arbres fournissent aussi plus d’ombre. Pour moi, ce n’est pas un grave problème. Ma peau s’adapte aux rayons en fonçant pour me protéger. Ce qui fait qu’entre le début du printemps et la fin de l’été, je n’ai généralement pas la même couleur. Sûrement un trait génétique hérité de mon père. Cependant, je ne peux que le remercier puisque cela m’a évité les coups de soleil.

Nous nous installons près de l’eau. Les canards évoluent au loin. Pour le moment, ils ne paraissent pas vouloir s’approcher du bord. Peut-être changeront-ils d’avis si nous restons calmes.

– Tu sais Tonio…

J’ai du mal à trouver comment commencer ma phrase.

– Avant… Enfin quand j’étais encore chez ma mère, je pensais que c’était normal que je me débrouille seul. Mais une personne m’a expliqué qu’il n’y avait pas de honte à demander de l’aide lorsque l’on en avait besoin. Ça ne nous rend pas plus faibles. C’est juste un cycle.

– Un cycle ?

Mon visage se tord en une grimace, alors que je réfléchis à ma réponse.

– Moi, je ne sais pas nager, mais toi tu sais.

Tonio me fixe en hochant la tête.

– Du coup, je pourrais te demander de m’aider à apprendre. Et en échange, moi, je pourrais t’aider à autre chose. Comme ça, tu m’apprends un truc que je connais et inversement.

Le petit m’observe avec des grands yeux.

– Tu vas m’apprendre à faire peur aux gens ?

Pas sûr que ça marche. Je pense que c’est ma tête qui fait ça.

– Quelqu’un t’a embêté ?

Son regard se pose sur ses chaussures. Du bout de l’une d’entre elles, il gratte le sol.

– C’est juste des garçons de ma classe…

– Tu veux que j’aille leur parler ?

Mon poing se serre instinctivement. Tonio est la personne la plus gentille qui existe. Savoir que des gens s’amusent à le faire souffrir me met hors de moi.

– Mais Cliff… S’ils veulent se battre ?

Je doute que ce soit le cas. Plus encore parce que je suis assez grand comme garçon.

– Ils vont comprendre leur douleur !

– Mais tu pourrais être blessé ! déclare mon ami en mettant la main devant sa bouche.

Comment lui dire que les coups de ces gamins ne seront jamais pires que ceux de ma mère ? Après tout, j’ai l’habitude de me prendre des raclées.

– Mais je ne peux pas dire devant eux que c’est eux…

– Dit seulement : « c’est ces connards-là ! ».

Tonio fait la moue.

– Mais c’est un gros mot !

Je reconnais bien là, le jeune garçon. Mon regard se pose sur l’eau et ceux qui la traversent.

– Tu n’as qu’à dire « c’est un beau canard » au lieu d’un beau connard ! Comme ça, tu restes poli.

Le visage de Tonio s’éclaire alors qu’il laisse échapper un éclat de rire.

– Canard, répète-t-il hilare.

Mon idiotie a au moins eu le mérite de lui rendre le sourire. C’est déjà un bon point.

Nous finissons par nous décider à rentrer. Toutes traces de larmes ont disparu du visage de Tonio. Je crois que j’ai réussi une mission aujourd’hui.

Alors que nous allons sortir du parc, mon ami se fixe. Instinctivement, son corps vient se cacher derrière le mien. Je toise le responsable de cette réaction. Un blond aux yeux globuleux qui m’arrive à peine à l’épaule. Lui faire peur ne devrait pas être difficile.

La voix de Tonio me surprend quand il murmure :

– Ça, c’est un beau canard !


Texte publié par Nascana, 11 juin 2021 à 15h38
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