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tome 1, Chapitre 17 « Anniversaire partie 9 » tome 1, Chapitre 17

Moéna 1995 (18 ans)

Du coin de l’œil, je surveille Cliff alors que je nettoie l’évier. Je vaporise un produit désinfectant avant de m’en retourner vers mon amoureux. Il a l’air si mal. Son visage aux paupières fermées repose sur ses poings. Les larmes me montent aux yeux quand je prends conscience que tout est ma faute. À aucun moment, je ne pensais le mettre dans cet état. Il a toujours été présent et solide pour moi. Quels démons ai-je pu éveiller ? Dans quels tréfonds de sa mémoire s’est-il perdu ? Ai-je ouvert une porte qu’il aurait mieux valu laisser fermer ?

Sans un mot, je l’attire contre ma poitrine. Mes bras se serrent contre ses épaules. Avec douceur, je le berce.

– Cliff… Cliff ! Tu es quelqu’un de bien !

Il redresse la tête vers moi. Ses yeux sont humides, mais il ne pleure pas.

– Si j’ai voulu un enfant avec toi, c’est parce que j’ai confiance ! Je crois en toi !

Mon amoureux me fixe sans comprendre. Je prends ses mains dans les miennes.

– Tu vaux mille fois mieux que tous ces types imbus d’eux-mêmes que j’ai croisés.

Je me penche vers lui, et dépose un baiser sur sa joue.

– Maintenant si ça te met aussi mal, nous n’aurons pas d’enfants. Tant que nous sommes tous les deux, ça me va.

Il ne dit rien, mais se redresse et me serre dans ses bras. Je sens toute l’énergie de son désespoir dans cette étreinte.

– On reste ensemble ! C’est nous deux contre le reste du monde.

– Nous deux…

Sa voix est hésitante alors qu’il prononce ces mots.

– Tu veux t’allonger un peu ?

Il hoche la tête, toujours en silence. Après un crocher par la salle de bain, il rejoint la chambre et je suis sur ses talons. Avant qu’il ne puisse faire le moindre mouvement, je m’attaque aux boutons de sa chemise. Au départ, Cliff me regarde. Il finit par se reprendre.

– Ça ira, murmura-t-il.

– Je sais. Mais j’ai envie de prendre soin de toi.

Je ne mens pas en disant ses paroles. Sa main se pose sur ma joue comme s’il souhaitait me montrer qu’il est fort et qu’il surmontera cette épreuve. Je n’en doute pas. Avec un peu de chance, demain, il sera redevenu mon amour solide sur lequel je peux m’appuyer. Seulement, j’apprécierais que ce ne soit pas juste une façade. Je veux qu’il soit bien et heureux.

Cliff s’allonge sur le lit. Les yeux grands ouverts, il fixe le placard. Alors je m’assieds près de lui. La main sur son front que je caresse doucement. Preuve que je le connais, je ne touche jamais sa joue droite ou son crâne. Des endroits où il garde des séquelles des maltraitances qu’il a vécues. Comme à son habitude, il en parle peu, évoquant juste des blessures. Mais quand la cause des dites blessures est ta propre mère, je doute que ce soit anodin.

– Je t’aime, tu sais. Quand ça ne va pas, tu peux m’en parler. Je serais toujours là pour toi.

– Je ne vais pas te faire chier avec ça…

L’entendre dire ces mots me serre le cœur. Il a l’habitude d’être tellement seul.

– Cliff, je ne suis pas là que pour les bons moments. Je suis aussi là, quand ça ne va pas.

Il fronce ses sourcils noirs. Cela lui donne un air très sévère.

– Demain, ça ira mieux.

– Je suis là, si ça ne va pas. Tu peux m’appeler.

Il paraît perdu et finit par hocher la tête.

– Merci mon ange.

Après un dernier baiser, je quitte la pièce, en faisant coulisser la porte. J’espère qu’il ira vraiment mieux demain. Le voir comme ça et ne rien pouvoir faire me donne envie de pleurer en même temps que cela me met en colère. Comment peut-on faire autant de mal à quelqu’un comme lui ?

Je passe ma hargne en frottant l’évier. Enfin, il faut bien que j’arrête à un moment avant de retirer tout le revêtement. De rage je jette l’éponge sous le meuble dans une bassine bleu ciel. Mieux vaut éviter de la confondre avec celle qu’on utilise pour faire la vaisselle. À bout de force, je me laisse tomber sur la banquette. Les larmes me piquent les yeux. Je fais mon maximum pour ne pas pleurer. Il faut que je sois forte pour Cliff. Il n’a pas besoin d’une gamine pleurnicheuse. Pourtant, je ne peux empêcher mes larmes de couler.

La main sur mon ventre, je tente de percevoir le moindre signe de ce bébé qui m’habite. Évidemment, c’est impossible. Il est encore trop petit. Ça ne se voit pas. Je dois être enceinte d’à peine un mois. Tant mieux, plus il est jeune, plus ça sera simple de… C’est stupide, même après avoir pris ma décision, je suis quand même triste. Avec un morceau d’essuie-tout, je me sèche le visage. Je ne peux pas tout avoir. Soit c’est Cliff, soit c’est le bébé. Je ne peux pas le perdre. Il est mon amour, je suis heureuse avec lui. Et puis peut-être qu’un jour…

Mon regard tombe sur la barre de céréale à laquelle il n’a pas touché. Je l’ouvre pour porter machinalement à ma bouche des petits morceaux. Ma mâchoire mâche, alors que mon esprit est ailleurs. La journée a été très étrange. Elle avait si bien commencé…

Il faut que je me calme un peu. Je farfouille dans mon sac à la recherche de mon briquet ainsi que de cigarette. Dans mon paquet, il en reste deux. Je ne vais pas aller loin avec ça. Bizarrement ce matin, ça me paraissait de bon augure puisque je voulais arrêter de fumer pour mon bébé. À présent, à quoi bon ?

Je sors du camping-car. Dehors, il fait bon. La nuit vient à peine de tomber. Il est encore tôt, les échos de la musique résonnent à mes oreilles. Si je m’écoutais, je traverserais le camping pour aller danser. Ça me permettrait sûrement d’oublier la tristesse qui me ronge. Sauf que cela voudrait dire laisser mon Cliff tout seul. Je renonce. Il faut que je sois là pour lui. Que penserait-il si en se réveillant après avoir été aussi mal, il apprenait que je suis partie m’amuser ? Une vraie gamine…

Je tire sur la cigarette avant de cracher la fumée qui tourne dans les airs autour de moi. D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais été autant perdu qu’en ce jour depuis que je vis avec Cliff. Même lorsque j’ai cru que tout été finit, j’avais quand même une idée de quoi faire. Là, je suis comme une idiote à me dire que j’aime ce bébé qui est encore une minuscule crevette, et que je n’ai pas envie de le perdre. Ma maturité me terrifie. Je prends une décision, mais j’espère que le destin va me venir en aide pour me sortir de ce mauvais pas.

Si j’étais logique, je m’appliquerais le même conseil que j’ai donné à mon amoureux. J’irais dormir. Ça ne pourra pas me faire de mal. Demain… J’appellerais l’hôpital, ils me fourniront un rendez-vous et ils verront une fille de dix-huit ans, enceinte alors ils penseront que je ne suis pas sérieuse. Je me ferai réprimander puis je rentrerais seule, un peu plus légère qu’à l’arrivée.

Mon mégot tombe sur le sol où je l’écrase. Le bout rougeoyant perd peu à peu de sa vitalité, avant de s’éteindre. Ainsi en va la vie.

Après un dernier coup d’œil au reste de cigarette, je remonte dans le camping-car. Je verrouille la porte pour que nous puissions dormir l’esprit tranquille. Un détour par la salle de bain et je suis prête à me coucher. À pas de loup, j’entre dans la chambre. Pendant quelques secondes j’hésite : dois-je passer mon pyjama ou m’allonger nue contre mon amour ? Vu son état, ce n’est pas le moment pour une tentative de séduction, je récupère en vitesse le short et le débardeur. Ainsi vêtu, je viens m’allonger contre Cliff.

Au moins, il dort. J’entends son souffle régulier qui me rassure. De tout mon cœur, j’espère qu’il ira mieux demain. Ma main chercher la sienne. Je suis là, mon amour.


Texte publié par Nascana, 26 avril 2021 à 17h38
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