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tome 1, Chapitre 15 « Anniversaire partie 7 » tome 1, Chapitre 15

Clifford 1995 (34 ans)

En silence, je me dirige vers la chambre. Tout habillé, je me laisse tomber sur le lit. Je me sens mal. Mes paupières se ferment. Peut-être que si je pouvais dormir un peu, ça irait mieux. Seulement, je me suis complètement perdu. Étrange de se dire que quelque chose peut me bouleverser autant.

Un bruit m’annonce que la porte coulisse, laissant le passage libre à quelqu’un. Mon corps ne bouge pas. Je sais qu’il s’agit de Mo. Elle n’est pas longue à venir se blottir contre mon dos. L’espace d’un instant, j’hésite à lui demander de me laisser seul. La main qu’elle glisse sous mon t-shirt pour me câliner me convint de ne pas le faire. Ses caresses me font du bien. Plus que je ne l’aurais cru possible d’ailleurs.

– Je suis désolée, me souffle-t-elle à l’oreille.

– Ce n’est rien, c’est le tatouage…

– Cliff, avec moi tu n’as pas besoin de faire semblant.

Mon cœur loupe un battement. Elle sait.

– Il faut qu’on en parle…

Je serrais les dents. Aucun son ne quitte ma bouche. Alors elle prend l’initiative, et les mots se rependent dans la chambre. Ils nous entourent et m’oppressent.

– Je croyais que tu le souhaitais autant que moi, tu sais. Puisque ce n’était pas le cas, tu aurais dû me le dire.

Mâchoire contractée, je ne parviens pas à répondre. Ma langue est sèche, ma gorge me brûle. J’ai trop peur de connaître la suite.

– Je t’aime Cliff, mais tu ne peux pas prendre tout sur toi. Encore moins quand ça te met dans cet état. Du coup, je vais te parler sérieusement. J’ai réfléchi sur le chemin du retour. Il faut agir pour notre bien à tous les deux.

Elle est tendue. Sa voix se brise et mon cœur saigne. Je ne veux pas la perdre.

– Cliff, j’ai pris ma décision. Elle est difficile, mais c’est le mieux à faire.

Je serre le poing. Il fallait bien que cela finisse ainsi. J’aurais dû m’en douter. À quoi je m’attendais ? Pourtant je savais que je ne la garderais pas avec moi toute ma vie. Elle est jeune, belle, intelligente et forte. Elle n’a pas besoin d’un type comme moi.

Elle se redresse sur le lit, se détachant de mon corps.

– Je vais prendre rendez-vous à l’hôpital, demain. Comme ça, il n’y aura plus de bébé…

L’espace de quelques secondes, je ne comprends même pas ce qu’elle me dit. Je pensais qu’elle allait me quitter parce que je ne voulais pas de ce gamin.

Sa main tâtonne pour trouver la mienne.

– Toi et moi, c’est plus important. On aura le temps d’en avoir plus tard des enfants…

Je croyais qu’elle allait partir. Qu’elle allait m’abandonner pour rester avec le bébé parce que ça comptait pour elle. Mo le souhaitait tellement cet enfant. Elle en rêvait. Et elle me choisit moi ? Pourquoi ?

Je me redresse à mon tour. Quand mes yeux la surprennent aussi fragile, je ne peux m’empêcher de l’enlacer tendrement. Il est visible qu’elle en souffre, pourtant elle me préfère. Je ne sais plus quoi faire. C’est moi qui l’ai mis dans cette situation.

– Mo…

Sa tête vient se poser contre mon épaule.

– On peut attendre, murmure-t-elle. J’ai dix-huit ans. Dans vingt ans, je pourrais toujours avoir des enfants…

L’argument est recevable. Mais moi… Aurais-je changé d’avis ? En plus, à ce moment-là, j’aurai cinquante-quatre ans.

– Je sais combien tu as peur d’avoir un bébé. Mais je serais là pour te rassurer. Après tout, l’important, c’est que l’on soit une équipe. Les vrais parents s’entraident.

J’ai bien envie de lui demander comme elle est au courant. Quand on se souvient de qui l’a élevé… Mais ce serait cruel. Je veux tout sauf lui faire du mal.

Sa main caresse ma joue. Tout doucement. Ce geste m’apaise.

– C’est dur de se faire une idée quand on n’a jamais vraiment eu de parents…, chuchote-t-elle à mon oreille.

Je comprends ce qu’elle souhaite obtenir. Mo tente de me faire parler. Elle veut que je sorte ce que j’ai sur le cœur. Mon regard fuit le sien…

– Il vaut mieux que tu t’allonges…

D’un hochement de la tête, j’acquiesce avant de m’étendre sur le matelas. Je préfère lui tourner le dos pour éviter de la voir. Malgré ma hantise, je me force à dire ces mots comme pour clore le sujet.

– Je n’ai jamais eu de père…

Mo ne répond rien. Elle vient juste poser ses lèvres sur mon cou, alors que son bras m’enlace. Mon ange est là pour moi. Elle prend soin de moi. Je dois lui dire la vérité.

– Je sais, mon amour, murmure-t-elle.

Prenant sur moi, je lâche des mots. Ils sortent comme ils le peuvent de ma bouche. Mo ne dit rien, elle me laisse lui raconter de façon décousue ce que je ressens.

– La personne qui ressemblait le plus à un père pour moi, c’était Francis. Il posait ses règles et tu n’avais pas intérêt à les enfreindre sinon ça allait mal. J’ai toujours fait de mon mieux pour les respecter. Pas parce que j’avais peur, juste parce que j’avais envie de lui faire plaisir. Ça, il s’en fichait pas mal. Tout ce qu’il souhaitait, c’était m’apprendre son métier. Que je lui succède…

– Et tu l’as fait, murmure-t-elle.

À nouveau, sa main chaude caresse mon dos.

– Oui… Pendant presque vingt ans. Jusqu’au moment, où il n’a plus respecté ses propres principes.

– Tu veux m’en dire plus ?

Je hausse les épaules. Ce n’est pas un sujet dont j’ai envie de parler. Les mauvais souvenirs s’accrochent à moi. Leurs griffes déchirent ma chair pour y distiller un poison : le doute. Si jamais Mo m’en voulait pour ce que j’ai fait.

– Cliff. Je sais ce que tu es. Tu as fait des choses dont tu n’es pas fier. Mais tu es toujours mon Cliff, l’homme que j’aime. Celui qui est gentil et prend soin de moi.

Un baiser sur pose sur ma joue.

– Tu peux me dire ce que tu veux…

– Il y avait une femme. Je sais qu’il l’observait souvent. Je crois qu’il était amoureux d’elle sans oser se l’avouer. Comme je trouvais ça stupide, je ne m’en préoccupais pas. Seulement un jour, la femme est morte. Je ne sais pas comment parce que je n’étais pas là à l’époque. Elle a laissé un gamin derrière elle. Francis l’a récupéré.

– Il voulait l’entraîner, lui aussi ?

Je ferme les yeux comme si je souhaitais éviter de me rappeler. Ça ne marche malheureusement pas.

– Il voulait que ce soit moi qui l’entraine. C’était son excuse. En vérité, s’il avait voulu quelqu’un, je ne pense pas que son choix aurait été Giulio. C’était un gamin imbu de lui-même, violent aussi. Les filles, l’argent et se mettre en avant était à peu près tout ce qui lui plaisait.

Je m’interromps. Repenser à ce petit con m’énerve plus que je ne l’aurais cru. Son rire idiot me résonne encore dans les oreilles. Et Francis…

– Je ne sais pas pourquoi il s’était mis dans la tête qu’il était une sorte de père pour lui. Il lui laissait tout passer. Voir ça m’énervait au plus haut point.

Je me tais. En dire plus, ce serait parler de ma déception. Je ne le souhaite pas. C’est si bête. J’en voulais à un gamin parce que lui, avait l’amour et l’attention de la seule personne qui avait ressemblait à un père pour moi. À cet instant, j’avais pris conscience que jamais je n’aurais plus que ce qu’il me donnait. J’aurais beau dire, j’aurais beau faire mon possible pour lui plaire, cela n’aurait aucun impact. Je n’étais pas son fils et je ne le serais jamais. J’étais juste un enfant maltraité en manque d’attention qui lui servait à quelque chose. En grandissant, je suis devenu un adulte anesthésié qu’il envoyait n’importe où, pour faire n’importe quoi, et j’obéissais dans le seul but de me faire aimer de lui.

Le pire, c’était que je le savais et que j’en souffrais. Seulement, je restais parce que je n’avais aucune idée de où aller. Pensais-je sincèrement que des miettes d’amour étaient mieux que la solitude ? J’y serais sûrement encore si je n’avais pas croisé deux grands yeux d’un bleu glacé. En un sens, c’est Mo qui m’a sauvé.

– Ça devait être très difficile pour toi, me murmure mon ange. Mais tu n’es pas obligé de le prendre en exemple. Cliff, tu es quelqu’un de bien. Tu n’as besoin de le copier. Il te suffit d’être toi-même.

Le conseil est bon, mais je n’ai jamais intéressé personne en étant moi-même. Enfin personne d’autre que Mo. En plus, il y a un aspect de moi-même que je n’aime pas.

– Si je me mets en colère…

– Cliff, tu ne te mets jamais en colère. Tu es la personne la plus calme qui soit.

Elle n’a pas tort, mais il y a une raison à cela.

– Pour faire ce que j’ai fait, il faut soit se détacher, soit être en colère.

Je prends le temps de lui expliquer pour qu’elle comprenne où je veux en venir.

– Je me suis toujours détaché sauf une fois. Ce n’était pas beau à voir alors…

D’un geste Mo, me rassure.

– Tu sais maîtriser cette colère. Tu l’as appris.

– Cela ne me fera pas aimer d’un gamin…

Ma compagne prend ma main.

– Cliff, ce n’est pas un gamin, mais ton enfant. Les enfants ont tendance à aimer leurs parents sans se poser de question.

Cette phrase entre dans mon esprit. Elle tourne causant des ravages. Brusquement, je me sens mal. Je bondis sur mes pieds pour courir jusqu’au coin cuisine. Le contenu de mon estomac se déverse dans l’évier. Il fallait bien que ça sorte, à force de retenir ses émotions, mon corps n’en peut plus.

– Cliff !

Évidemment, il faut que Mo me suive. J’ai envie de lui dire de ne pas approcher, mais avant que je n’aie pu le faire, elle me tend un verre d’eau.

– Rince-toi la bouche, et assieds-toi.

Sa main passe dans mon dos, rassurante.

– Attends, je vais nettoyer.

– Je m’en occupe, déclara-t-elle d’un ton ferme.

Elle me dirige vers la banquette accolée à l’évier. Je voudrais protester, mais je me laisse faire.

– C’est pas à toi de laver mes dégueulasseries.

– Tu es fatigué. Tu n’es pas bien aujourd’hui. Je vais m’en occuper.

Son ton est ferme. J’ai presque envie de rire de la situation. Qui penserait que cette fille a autant d’autorité ? Mon corps se laisse tomber sur l’assise, lourd. Elle pose le verre devant moi, accompagné d’une barre de céréale.

– Essaye de manger un peu. Ça te fera du bien.

– Je vais occuper de l’évier…

Qui est-ce que j’essaie de convaincre ? Un frisson me parcourt. Je me sens mal. Pourquoi a-t-il fallu que je vomisse à ses simples mots ? Parce qu’ils me blessent ? Mais ma régurgitation forcée ne me fait-elle encore pas plus souffrir ?

En silence, je ferme les yeux. Il faut que je me calme, j’ai l’impression que les émotions me submergent. Si je ne fais rien, elles vont complément m’envahir.


Texte publié par Nascana, 4 avril 2021 à 16h47
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