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Clifford 1995 (34 ans)

– Alors tu ne veux pas me dire où on va ? demande Mo.

– Est-ce que ça serait encore une surprise si je te le disais ?

Moéna me fixe de ses grands yeux bleu pâle. Elle bat de ses longs cils.

– Je suis incapable de faire une surprise. J’ai toujours envie d’en parler, murmure-t-elle avec une petite moue boudeuse.

Je m’en suis aperçu. On peut difficilement passer à côté. Cela dit, ce comportement lui correspond bien. Ce ne sont que des broutilles. Je me fiche bien de savoir que j’aurais un gâteau au chocolat trois jours avant mon anniversaire. D’ailleurs, je n’ai même pas besoin de quoi que ce soit pour ce jour. J’ai l’habitude de ne rien avoir.

La main sur son épaule, je la dirige vers la crêperie. J’avais bien remarqué qu’elle regardait l’endroit avec envie. Cette information, je l’ai gardé dans un coin de mon esprit pour lui faire plaisir à un moment donné.

– Cliff ! C’est là que je voulais aller !

– Merveilleux, c’est là qu’on va.

À nouveau, un beau sourire illumine son visage. Elle est magnifique.

Nous traversons la terrasse déjà bien peuplée en ce milieu d’après-midi. À croire que tout le monde a envie de faire une pause goûtée avant de reprendre ces activités. Le soleil brille, mais le vent rafraîchit l’atmosphère. La température agréable est redescendue signalant la fin des vacances pour les enfants. Mo continu de sourire. Depuis que je suis rentrée du boulot, elle ne fait que ça. À croire qu’elle détient une information que j’ignore, ou alors, elle est juste contente de fêter son anniversaire en ma compagnie. La connaissant, c’est encore possible.

Nous entrons dans la boutique. Sur la gauche une vitrine prend toute la longueur du lieu. À l’intérieur, on y retrouve dans une zone frigorifiée des bacs contenant des glaces multicolores. À côté, des sandwichs attendent ceux qui déjeunent sur le pouce. Mo s’est penchée sur la carte collée sur le verre.

– Tu veux quoi, beau gosse ?

– Sincèrement ? Que tu arrêtes d’utiliser ce surnom idiot.

Ma remarque a le don de la faire rire. À comprendre qu’elle en fera qu’à sa tête. Je prends mon mal en patience. Tant pis, j’aurais l’air con.

– Et toi ?

– Je veux une crêpe chocolat chantilly avec un milk-shake !

– Tout ça ? Il va falloir faire du sport pour brûler toutes ces calories.

– Alors, prends quelque chose de consistant, toi aussi. Je m’en voudrais si tu venais à tomber d’inanition.

Je détourne le regard pour cacher ma gêne. Dans ces mots, je retrouve parfaitement ma Moéna, et sa langue acérée. Sa main se glisse dans la mienne. En vérité, je suis tellement occupé à la contempler que je ne sais même pas quoi prendre.

– Un café noir me suffira.

– Tu n’es pas drôle, soupire-t-elle.

– Je n’ai pas prétention à l’être.

– Vieux con, souffle-t-elle en riant.

Venant de n’importe qui d’autre cela serait perçu comme une insulte, mais entre nous, c’est plus une plaisanterie.

– Je vais prendre la commande. Va donc t’installer en terrasse avant qu’il n’y ait plus de place.

– Prends à manger, me supplie-t-elle. Comme ça, je pourrais piquer dans ton assiette.

Sa main lâche la mienne, et elle regagne l’extérieur. Devant moi, une famille discute bruyamment. Je les ignore, mon regard suit Mo. Elle s’installe sur petite table : le genre pour les amoureux. De là où je suis, je ne peux voir que son dos dénudé sur lequel se croisent les bretelles de sa robe.

Mon attention se reporte sur la carte. Seul, je n’aurais rien commandé d’exceptionnel, mais c’est l’anniversaire de ma compagne. Je peux bien changer mes habitudes pour ce jour particulier. Ma décision prise, je me retourne vers l’extérieur. Les deux hommes de la table d’a côté sont en grande discussion avec la brune qui m’accompagne. Évidemment, comment pourrait-il en être autrement ? Elle attire tous les regards. Sa robe noire moule son corps musclé, alors que ses jambes sont mises en valeur par les hauts talons qu’elle porte.

Je me suis toujours posé la question de comment elle réussit à marcher avec ? C’est un mystère. D’ailleurs, ce n’est plus de la marche, c’est limite de la course. Elle cavale dans tous les sens sans paraître être gênée par les dix centimètres supplémentaires sous ses pieds. Du grand art.

La famille devant moi part s’installer. C’est à mon tour de passer commander. Mon regard se tourne vers la vitrine.