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Savina 1978 (19 ans)

J’ai rejoint Serge au Bunker. Il aime bien traîner là-bas. Sans doute parce qu’il peut y fumer en paix. C’est mieux que le parc et moins dangereux que les immeubles squattés. En attendant, je suis venue à pied, et je ne repartirais pas tant que je n’aurais pas dit ce que j’avais sur le cœur. Cette fois-ci, il va m’entendre.

Ma main se porte à mon bras, là où il a marqué de bleu, mon corps. Cliff a raison, je ne peux plus me laisser faire. Il faut que j’agisse par moi-même. Je prends une grande respiration. Je vais dire la vérité : que je ne veux plus de lui. Ensuite, Cliff viendra me récupérer et on repartira ensemble. Avec la carrure de mon ami, Serge ne bronchera pas. Je le connais assez pour ça.

Je monte les marches qui mènent à la partie haute du lieu. Évidemment, j’y retrouve celui que je cherchais installé sur une vieille couverture sale qui traîne sur le sol. Il me regarde sans un mot se contentant de cracher la fumée de son joint qui s’efface peu à peu dans les airs. En me voyant, il sourit.

– T’es là, ma belle ! Bonne nouvelle, j’ai trouvé…

Il ne termine pas sa phrase parce que je lui coupe la parole.

– Tais-toi ! J’ai des choses importantes à te dire !

Un rictus lui traverse le visage. Il se moque de moi.

– Vraiment ? Des choses importantes ? Toi ?

Ses ricanements ne font qu’ajouter à mon agacement. C’est toujours pareil avec lui. Il ne me prend jamais au sérieux.

– J’ai trouvé un mec prêt à te payer cent francs pour poser nu.

Je serre les poings. Quand Cliff sera là, tout ira mieux.

– Je m’en fiche ! Je ne ferais plus rien pour toi !

Il se redresse contrarié.

– C’est pour l’amour de l’art, ma belle.

Je le foudroie du regard. Il est complément défoncé, incapable de comprendre ce que je lui dis.

– Je ne le ferai pas.

– Tu n’auras rien à faire ! Je ne te demande pas de sucer le mec, juste de te foutre à poils et poser ton cul sur une chaise.

– Tu n’as qu’à le faire si c’est si simple.

Il m’attrape par le bras. Ses ongles se plantent dans ma chair, alors qu’il me compresse le membre. Je n’aurais pas dû le laisser me saisir. Gardant une prise ferme sur moi, il m’empêche de fuir. Je suis à sa merci.

– C’est de l’argent facile, petite conne alors tu vas faire ce que je te dis…

Pour lui échapper, je me tortille dans tous les sens. Je n’y parviens pas comme ça. D’un coup, je frappe dans son genou de toutes mes forces. L’impact est brutal. Il émet un grognement avant de me lâcher. C’est ma chance, il faut que j’en profite. Dès que Cliff sera là, je serais en sécurité. Il me protégera. J’aurais dû l’attendre, j’ai été stupide et imprudente.

Alors que l’escalier se profile, ses pas claquent derrière moi. Il faut que j’accélère. Un coup brutal dans le dos me déstabilise. Mes jambes refusent de me porter. Je tombe dans les marches. Ma tête les frappe avec violence. La souffrance me coupe le souffle. Je sens le froid envahir mon corps pendant que mon esprit vacille.

Cliff, je suis désolée. Tu avais raison. Si seulement j’avais pris le temps de t’écouter. Au fond peut-être avais-tu réellement la solution à tous mes problèmes. Cliff, si j’avais un souhait à faire, c’est que dans une autre vie je puisse être proche de toi.

Le noir m’emporte. Je plonge dans le néant. Au moins là-bas, je n’aurais plus mal.