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Clifford 1978 (17 ans)

Lorsque je la vois dans mon pull beaucoup trop grand pour elle, je ne peux m’empêcher de sourire. J’espère qu’il lui tiendra chaud. Je lui aurais bien prêté mon manteau, seulement je n’en ai pas d’autres. Ce serait difficile de le cacher à Francis.

Savina revient s’installer contre moi. Sa proximité me plaît, je ne peux pas le nier. Sauf que je ne comprends pas ce qu’elle veut. Je la fixe alors que sa tête s’est posée sur mon épaule. Mes yeux contemplent ses lèvres rosées. Si j’osais, je me pencherais sur elle pour l’embrasser. Malheureusement, je suis réaliste. Je ne veux pas l’embêter. Elle a sûrement plus besoin de soutien que d’un petit-ami. En plus, si ça tombe, elle en a déjà un. Vu comment elle est jolie, ça ne m’étonnerait pas. Après tout, elle attendait bien quelqu’un avant mon arrivée.

– Ça va mieux ?

– Ne t’en fais pas.

Bien sûr que si, je m’en fais. Je veux le meilleur pour elle.

– Tu viens souvent dans le parc ? me demande-t-elle.

– Pas vraiment… Entre le boulot et l’entraînement, je n’ai pas beaucoup de temps pour vadrouiller. Là, j’accompagnais quelqu’un.

– Quelqu’un ?

Je hoche la tête.

– Qui donc ? Une fille ?

La tristesse me prend. Pourquoi cela en aurait-il été une ? Elle est la seule fille dont je suis proche.

– Je te l’ai dit, je sers de taxi à un ami. On vit dans la même famille.

– Je vois. Mais il n’y a pas une jolie dans ta classe qui te plairait ?

Elle ne comprend pas. Personne n’en a rien à faire de moi. Avec la tête que j’ai, c’est normal.

– Je suis en mécanique. Il n’y a que des hommes dans ma classe.

Savina me tapote gentiment l’épaule.

– Tu dois sûrement en connaître par d’autres biais ?

Avant que je puisse répondre, un hurlement retentit. Face à cet appel, mon amie tourne le regard en direction du nouvel arrivant. Un blond pas très grand, au nez tordu. Malgré ce défaut, il a un visage agréable. C’est presque comme si cela ne faisait que l’embellir. Tout le contraire de moi, avec mes cicatrices.

Instantanément, Savina se relève. Mon cœur se met à battre plus fort. Est-ce que c’est lui qui l’a blessé ? Si c’est le cas, j’ai bien envie de lui parler du paysage.

– Ça fait une plombe que je te cherche ! Qu’est-ce que tu n’as pas compris dans « sur le pont » ?

– Tu étais en retard ! Je m’ennuyais.

Le regard du blond se pose sur moi.

– Et quoi ? Tu traînes avec ce pauvre type en attendant ?

Piqué au vif, je me lève. Je le dépasse sans peine d’une bonne tête.

– Serge, c’est bon.

Savina fait quelques pas en direction de sa connaissance.

– Viens là ! râle-t-il.

– Tu n’es pas obligé d’y aller si tu ne le souhaites pas.

Je glisse ses paroles, en y mettant tout mon espoir.

– Ça ira, Cliff, me souffle-t-elle.

Ses mots me blessent plus que je ne l’aurais cru. Sans surprise, elle le choisit lui. Il s’avance vers elle, l’empoigne afin de l’entraîner derrière lui. Devant cette violence, je me précipite vers mon amie.

– C’est bon, murmure-t-elle, en se retournant vers moi. À bientôt, Cliff !

Terrassé par la tristesse, je suis muet devant la scène. Je ne veux pas qu’elle s’en aille, mais je ne peux rien faire d’autre que la regarder partir alors que je reste immobile comme un piquet. Malgré tout, je les entends.

– C’était qui ?

– Un garçon que je connais de ma famille d’accueil.

Il grogne.

– Pourquoi tu traînes avec lui ? T’aimes les types crados ?

Cette remarque me frappe en plein cœur. Plus encore parce qu’elle est fausse.

– Arrête. Ce n’est pas…

– T’as vu ces mains toutes noires ? Alors, ne fais pas ta sainte nitouche.

Je baisse les yeux sur mes doigts. Des traces d’huiles de moteur y sont visibles malgré le soin que j’ai pris à les nettoyer. Honteux, je les cache dans mes poches. La tristesse m’habite. Je n’ai qu’une envie disparaître.

Mon corps se met en mouvement seul. J’en oublie Xavier qui traîne encore dans le parc. Il fera du stop pour revenir ça l’occupera. Je n’ai plus aucun désir d’être là, je veux juste rentrer. J’ai des freins à installer. Ensuite… J’irais sûrement m’entraîner, comme ça, je ne penserais plus à toute cette scène. Sans un regard de plus, je quitte les lieux.