Savina 1978 (19 ans)
Qu’est-ce qu’il a l’air sérieux ? Il a changé mon petit Cliff depuis notre rencontre. Plus le temps passe, plus il fait homme. Je pose la main sur sa joue. Il tressaillit. C’est assez drôle à voir. Ce simple contact le met mal à l’aise, mais il ne dit rien. Ce garçon ne dit jamais rien.
Mes doigts le caressent délicatement. Un fin duvet recouvre le bas de son visage pour le moment, mais bientôt, ça sera sûrement une barbe conséquente. Ça lui va bien, ça le vieillit.
– Tu te laisses pousser la barbe ?
– Oui, c’est pour… À cause de ma cicatrice…
Des cicatrices, il en a. J’ai déjà eu l’occasion de le voir torse nu alors qu’il me tournait le dos. Il en a même sûrement dont il ignore l’existence. Du bout du doigt, je touche la chair. C’est assez marrant, j’ai presque l’impression que les stries forment un circuit. Cliff serre les dents sans rien dire. Soit c’est désagréable, soit je lui fais de l’effet. Cela pourrait être les deux.
Je laisse ma tête aller contre son torse. Surprise de la résistance que j’y trouve, je touche son bras. Il est beaucoup plus musclé que dans mes souvenirs. Cela me dessine un sourire sur le visage. Alors comme ça, il cherche à séduire ? C’est tellement adorable venant de lui.
J’en profite pour rester blottie contre son corps. Il ne dit rien. Il ne passe pas non plus son bras autour de moi comme certains l’auraient fait. Il est juste immobile. On croirait un épouvantail ou une statue. Je relève la tête vers lui pour croiser son regard. Il détourne les yeux, complément perdu. C’est acté, il ne fera rien du tout. Pendant les secondes où il a fixé mes lèvres, j’ai eu un espoir. Cela dit, il s’est vite envolé.
Tant pis, je ferais sans. À le voir aussi empoté, j’en déduis qu’il n’a aucune expérience avec les filles. Dommage. Je n’ai aucune envie de m’improviser professeur. Encore moins, si je n’en retire pas un minimum de plaisir. Je me contenterais d’être dans ses bras.
– Ça va ? demande-t-il. Tu as l’air fatiguée ?
Je manque d’éclater de rire face à cette remarque.
– Ne t’en fais pas. Maintenant que tu es là, je me sens mieux.
– Si tu le dis… Cependant, je ne vois pas ce que j’ai fait pour…
C’est tout lui de se creuser la cervelle. Les autres hommes prennent pour argent comptant ce que je leur raconte.
– Tu m’empêches de me sentir seule…
Sans savoir pourquoi je me rends compte que je viens d’exprimer sincèrement ce que j’ai sur le cœur.
Il pose ses doigts sur mon bras. Tellement délicatement que j’ai presque du mal à le sentir.
– Ça va aller, murmure-t-il. Tu… Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
Rien que tu ne puisses m’apporter, malheureusement. De toute façon, c’est toujours pareil. Dès que je dis ce que je veux, les gens se remettent à me parler de la vie et ses difficultés, sans rien écouter.
– Voir la mer.
Il se fige. Comme les autres… Bientôt, il va m’expliquer pourquoi ce n’est pas possible. J’écouterais d’une oreille, en faisant semblant d’être concentrée. C’est toujours comme ça.
– Je… J’ai mon examen de mécano dans pas longtemps. Dès que je l’ai, on pourrait partir tous les deux. Je t’emmènerai à la mer, promis !
Je le dévisage. Il n’a jamais été aussi sérieux qu’en cet instant. Je n’ai qu’une envie, répondre « oui » parce que je sais qu’il le fera. Seulement, est-ce que je ne lui gâcherais pas la vie ? Ne sachant quoi faire, je cache mon visage dans son manteau pour éviter qu’il ne voit les larmes dans mes yeux. Il fallait que ce soit lui. Aucun des autres n’en avait quelque chose à faire. Mais Cliff, il est différent. Je sais qu’il serait capable de le faire. Peu importe s’il se met dans une merde noire par la même occasion.
Gentiment, il continue de me caresser le bras. Ses doigts remontent jusqu’à me faire sursauter. Nos regards se croisent. Je suis gênée.
– Est-ce que ça va ?
– Oui, bien sûr.
Mais ma voix n’est qu’un souffle.
– Laisse-moi voir.
Je ne réagis pas quand il relève la manche de ma robe. Il faut juste que je me compose un sourire de circonstance et il me croira. Ou tout du moins ne cherchera pas plus loin.
– Ce n’est rien…
– Où as-tu eu ce bleu ?
Je secoue la tête.
– Ce n’est rien, je te dis.
Mais forcément, c’est Cliff alors il continue. À sa mâchoire crispée, je sens son énervement.
– Je me suis cognée dans la poignée de porte.
Il fronce les sourcils.
– Arrête. Je les connais trop ces mots. Je suis tombé tout seul. Je me suis cogné parce que je suis maladroit. Non, jamais ma maman n’a été méchante avec moi. Elle m’aime très fort.
Ma gorge se serre face à ses paroles. Je repense à ses cicatrices : sur son dos, son bras, son visage. Lui, je ne peux pas le tromper, parce qu’il sait exactement ce que je vis. Combien a-t-il eu d’ecchymoses ou de bosses qui se sont résorbées d’elles-mêmes ? Mais surtout pourquoi avoir attendu ses quatorze ans pour le retirer à sa famille ? Qu’est-ce qu’elle lui a fait de si horrible pour que ça change quelque chose ?
Je laisse mon front retomber sur son torse. Un grand désir de pleurer me saisit. Je ne sais plus quoi faire.
– Serre-moi fort, s’il te plaît.
Je n’ai plus envie de parler, plus envie de réfléchir. Je veux oublier.
Comme je lui en ai donné la permission, Cliff me prend dans ses bras. Je suis choquée par la tendresse dont il fait preuve. Cela ne me paraît pas en adéquation avec sa carrure. Je suis perdue, je ne sais même plus ce que je veux. Pourquoi la seule personne qui est gentille avec moi, c’est lui ? Ce n’est qu’un gamin, mais il prend le temps de s’occuper de moi.
C’est étrange. Je me sens bien. Contre lui, je me sens apaisée. Il a tant grandi depuis notre rencontre. Avant nous faisions la même taille. Timide, il ne me regardait pas dans les yeux lorsqu’il s’adressait à moi. À croire qu’il était largement impressionné. À présent, il est grand. Voir même très grand. Musclé aussi. S’il était plus âgé…
Malgré le temps qui passe, il ne dit rien. Cliff accepte de me garder la tête sur son épaule. L’une de ses mains sur mon bras fait des petits mouvements alors que l’autre s’est positionnée dans mon dos. Des zones neutres… Il pourrait profiter de la situation, mais il n’en fait rien. Je le connais depuis plus de cinq ans. Pendant toutes ces années, je l’ai toujours trouvé différent sans me poser de questions. Seulement… Je me sens moins seule avec lui. Pour peu, je dirais que j’éprouve du plaisir. Bien sûr, ça n’a rien de comparable avec une relation sexuelle. Cela dit, j’aime ça.
Le silence nous entoure. Pour peu, je pourrais m’endormir tant je suis détendue. Un frisson me parcourt. Même si la journée était belle, les températures redescendent avec la fuite du soleil.
– Tu as froid ?
Je secoue la tête.
– Ce n’est rien.
Là, Cliff se redresse. Je quitte le confort de son torse à regret. Il retire son manteau avant d’enlever son pull gris et de me le tendre. J’hésite.
– Garde-le pour rentrer.
– Quand est-ce que je pourrais te le rendre ? En plus, tu vas prendre froid…
Il me sourit.
– Garde-le, j’en ai plusieurs.
– Je m’en doute, mais ce n’est pas une raison.
Sans attendre, il enroule le vêtement autour de mes épaules. Puisqu’il insiste, je quitte ma veste en jean pour passer le pull. Ce n’est pas forcément très esthétique avec ma robe à fleurs, mais je fais avec. Les mailles sont encore chaudes de la présence du corps de Cliff. Un parfum doux me taquine les narines. Celui qu’il a dû mettre avant de sortir ou peut-être plus tôt dans la journée. Il a bien changé le gamin que je connaissais.
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