Clifford 1978 (17 ans)
Le ciel se dilue dans une marée rose et violette au-dessus d’eux. Bel effet pour une journée qui n’avait rien de prometteuse. Au moins, j’aurais vu un joli paysage, preuve que ça valait le coup de sortir. Cependant, je garde mon visage fermé pour bien montrer mon mécontentement. Ça passe complément par-dessus la tête de Xavier. Le crétin séducteur qui me sert de colocataire. La plaisanterie a suffisamment duré, je me mets à parler.
– Bon, qu’est-ce qu’on fout au parc ?
– Bah, c’est bien le parc, non ? me répond Xavier en passant la main dans ses cheveux châtains.
Il me prend vraiment pour un con ? Il m’a fait venir parce que soi-disant j’allais trop m’amuser. J’étais pourtant, tranquillement en train de bricoler quand il a déboulé pour que je joue les taxis. Il m’a cassé les couilles pendant au moins un quart d’heure avec ses arguments de merde. C’est typiquement le genre de personne qui ne le ferme pas, tant que tu n’as pas fait ce qu’il veut.
J’avais le choix entre laisser tout en plan et l’amener ici, où tenter de lui fracasser le crâne avec la clé que j’avais à la main. J’ai choisi la première solution. Hors de question d’abîmer mes outils sur lui. Cela dit, il en prendra la responsabilité. Je n’ai pas envie de me faire engueuler par Francis parce que je n’ai pas changé les freins de la voiture. Après, j’ai aussi la possibilité de le faire cette nuit.
Je n’aime pas m’engager sans aller jusqu’au bout. En plus, c’est une marque de confiance. Francis remet un peu sa vie entre mes mains. Si j’installe mal ou que je sabote ses freins, il peut mourir. Ou alors, c’est un test : il a des connaissances cachées en mécanique et veut savoir jusqu’où il peut me faire confiance. Il n’a pas de souci à avoir, j’ai engagé ma parole. Ce n’est pas le genre de truc que je fais à la légère. Ça a de l’importance pour moi.
– Elle est où ta super fête ?
Pas de réponse. Il s’immobilise puis se contente d’observer les groupes comme s’il était à la recherche de quelqu’un. Son visage s’illumine quand il croise le regard d’une blonde. Celle-ci lui fait un petit geste de la main.
– Je la connais. Tu m’excuseras, il faut que j’aille lui parler.
Non, j’excuse plus ! À ce niveau de foutage de gueule, je tue.
– Donc tu te barres ?
– J’en ai pour cinq minutes.
Il me fait un sourire charmeur qui me donne envie de lui en retourner une.
– Tu peux venir si tu veux…
– Pourquoi ? Elle a une copine à me présenter ?
Xavier secoue négativement la tête.
– Je ne crois pas.
Même pas capable de se souvenir de ce à quoi je fais référence. Ça me gonfle et je préfère me casser.
– On se retrouve plus tard.
– Ouais, ouais…
Il ne l’écoute déjà plus. Tout ce qui l’intéresse, c’est cette fille. Je sais bien pourquoi.
Sans un mot, je tourne les talons. Je contemple mon gain, sans pouvoir m’empêcher de sourire. Ça lui apprendra à me prendre pour un con. S’il la ramène, je lui dis que c’était de l’entraînement. Silencieux, je glisse son portefeuille dans mon manteau. S’il ne gardait pas le sien dans la poche arrière de son jean, je n’aurais pas été aussi tenté de le récupérer. Pourtant, il devrait savoir qu’il faut être prudent.
Soit je suis gentil et je lui rends avant de retourner à la maison. Soit je le laisse mariner. Soit je le balance à Francis. Ça lui apprendra à me faire chier alors que je change les plaquettes de frein de la bagnole.
En attendant, je ne sais pas trop quoi faire. Est-ce que je rentre tout de suite ? Ou alors, je fais un tour. La fin de journée est agréable. Il fait pas froid, je peux bien me balader un peu. Mes pas suivent le chemin tracé à l’avance. Lorsque j’arrive sur le pont, mes yeux accrochent une silhouette mince. Vêtue d’une robe noire à fleurs rouges, sur laquelle elle a passé une veste en jean, et de bottes roses en daim, elle fixe le canal, le regard dans le vide. Moi, c’est elle que j’observe. Ses mèches de cheveux qui retombent délicatement sur son visage me donnent envie de les passer derrière son oreille pour mieux la contempler.
Sans un mot, je m’approche jusqu’à me positionner près d’elle. Je ne dis rien, mais je sens un sourire idiot se peindre sur ma face.
– Bonjour…
Ma voix se fait plus tremblotante que prévu. Je me déteste pour ça. En général, les gens me voient comme quelqu’un d’assuré. Sauf que devant elle, j’ai du mal à me comporter normalement. J’en suis ridicule.
– Bonjour, toi !
Je lance ces mots d’un air un peu gêné. Elle se tourne vers moi, dans un mouvement gracieux. Je la trouve magnifique. Cela dit, je doute d’être objectif.
De la surprise apparaît sur ses traits. Elle se reprend.
– Cliff !
Aussitôt, elle se précipite dans mes bras pour m’enlacer. Ça fait longtemps que je n’avais pas eu de telles démonstrations d’affection. J’en ai le cœur qui bat la chamade. C’en est risible. Pas besoin de s’exciter parce qu’une fille vous fait un câlin. Encore plus si cela ne dure que quelques secondes.
Sa tête se lève pour qu’elle puisse me regarder dans les yeux. Savina… La personne que je suis le plus heureux de retrouver.
– Je ne savais pas que tu étais dans le coin.
Moi non plus, je ne le savais pas.
– C’était un peu imprévu…, avoue-je.
Elle me sourit.
– Vraiment ?
– Mais euh… Ça me fait plaisir de te voir… Je… Tu fais quelque chose de particulier ?
Ma phrase est morcelée au possible. À nouveau, son regard se pose sur l’entrée du parc. Je n’avais pas songé que sur le pont, on peut surveiller les personnes qui arrive de loin.
– Tu attends quelqu’un ?
Elle hausse les épaules.
– Ce n’est pas grave ! Il attendra. Il n’avait qu’à venir avant. Allons nous promener tous les deux.
Sans que je puisse répliquer, sa main se glisse dans la mienne pour m’entraîner derrière elle. C’est la première fois qu’elle a ce genre de geste avec moi. Même si je suis un peu perdu, j’avoue que je savoure le moment. Je ne lui serre pas trop ses doigts pour ne pas lui faire mal. Est-ce que de loin les gens pensent que nous sommes un couple ? J’aimerai beaucoup que ce soit le cas. J’espère juste ne pas croiser Xavier. Je ne veux pas qu’il connaisse mon lien avec Savina.
– Alors, mon grand, dis-moi ce que tu fais dans le coin ?
Je reviens à l’instant présent.
– Je sers de taxi à un ami…
– Taxi ? Tu as le permis de conduire ?
Sans savoir pourquoi cette question me stresse. Sûr que si je répondais par l’affirmative, elle serait impressionnée. Seulement, je n’aime pas les mensonges. En plus, comme elle connaît mon âge, elle saura que même en l’ayant je ne peux pas conduire de voiture.
– Non. J’ai juste… Une moto. Ah… Euh… Des fois, au garage, je conduis les véhicules. Enfin un peu…
– Je vois. Ça sera plus simple pour toi d’avoir ton permis.
– Je passe bientôt mon examen de mécanique.
Je me sens pathétique dans ma tentative pour l’impressionner.
– Tu pourras réparer ma voiture quand j’en aurai une alors, glisse-t-elle en riant.
Elle a un beau sourire, j’adore le regarder. C’est bien, c’est qu’elle est peut-être heureuse actuellement. Quand nous vivions sous le même toit, elle ne l’était plus. C’est pour cette raison que j’ai fait mon maximum pour lui venir en aide.
Nous marchons encore en discutant quelque temps. De toute façon, du moment que je peux être près d’elle, tout me va. On pourrait bien marcher pour le restant de notre vie que cela serait pareil.
D’un geste de la main, elle me montre un banc.
– Tu veux t’asseoir avec moi ?
Elle me lâche la main. Je sens le froid l’envahir. Cependant, je ne dis rien et la rejoins. Savina s’installe près de moi. Si j’osais, je passerais mon bras autour de sa taille. Mais non… Elle ne s’intéresse pas à moi, alors je ne fais rien. Je pose mes doigts sur mes jambes, bien en vue.
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