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tome 1, Chapitre 47 « Fête du samedi soir partie 13 » tome 1, Chapitre 47

Moéna 2000 (22 ans)

Je suis en train de me faire un café dans la salle de repos lorsque Agathe entre dans la pièce. Avec un sourire, je l’accueille. J’en profite pour sortir une nouvelle tasse dans laquelle je laisse tomber un sucre.

– Un thé ? L’eau est chaude.

Elle se précipite sur moi pour me faire une bise claquante sur chaque joue.

– Comment ça va ? Tu es rayonnante, ce matin !

Je doute que ce soit le cas, mais je la remercie quand même.

– J’ai vu Flavien, hier.

Le sujet me met mal à l’aise, je sens que ça va déboucher sur une situation problématique.

– Comment va-t-il ?

– Il m’a demandé de tes nouvelles. Tu lui as vraiment tapé dans l’œil…

– Je vais bien.

J’avoue que je ne sais pas quoi dire d’autre.

– Il m’a raconté un truc inattendu.

Surprise, je tends l’oreille pour comprendre de quoi elle veut me parler. C’est le moment que choisit la bouilloire pour cracher un flot de vapeur. Le bruit devient plus fort. Je l’éteins.

– Il m’a parlé de ta fille. Depuis quand tu as une fille, toi ?

– Depuis le deux février 1996.

Elle me dévisage l’air interdit.

– Attends ! Tu as vraiment une fille ? Ce n’était pas une connerie que tu lui as dite ?

– Non. Je suis maman d’une petite fille de quatre ans.

Un grand silence accueille ma déclaration.

– Mais… Tu l’as eu à quel âge ?

– Dix-huit ans.

Je retombe toujours sur cette question gênante. Parce qu’en recomptant, les gens qui connaissent mon anniversaire savent qu’elle a été conçue avant ma majorité. Ce qui pose de potentiel problèmes de conscience.

– Mais c’est qui le père ?

Pas forcément ce à quoi je me serais attendu. J’y réponds quand même. Faire du mystère ne fera qu’éveiller les soupçons des autres.

– C’est Cliff. Enfin, mon compagnon.

– Le vieux ?

Mâchoire serrée, j’acquiesce.

– C’est pour ça que tu restes avec lui ? Mais attends, ça veut dire qu’il a couché avec toi quand tu étais à peine majeur ? Beurk ! Ça ne fait pas pervers du tout.

Alors que je verse l’eau dans ma tasse, je manque de tout renverser. Avec humeur, je repose la bouilloire sur la table d’une manière plus sèche que souhaité. Un grand bruit résonne dans la salle.

– J’ai couché avec lui alors que j’étais encore mineure. D’ailleurs, j’étais enceinte de lui, en étant mineure.

Agathe porte la main à sa bouche.

– Ma pauvre…

Mais je ne lui laisse pas le temps de continuer.

– C’est moi qui l’ai dragué. Il se trouvait trop vieux pour moi, mais je n’ai pas lâché l’affaire. J’ai tout fait pour l’avoir. Je lui ai menti sur mon âge en prétendant avoir la vingtaine. Même là, il se trouvait trop vieux pour moi. Ensuite, j’ai voulu un enfant alors je suis tombée enceinte sans véritable concertation entre nous. Je n’en suis pas fière.

Mon amie me dévisage sans comprendre.

– Mais pourquoi tu voulais être avec ce mec-là, absolument ? Il n’est pas beau et il n’est même pas riche.

L’argument qu’il sait tuer des gens n’est pas le plus adapté à la conversation, je pense.

– Il est incroyablement gentil. C’est un homme protecteur qui fait tout pour faire mon bonheur.

– Tu avais des problèmes avec ton père ?

– Hein ?

Mais qu’est-ce que mon père vient faire dans cette histoire ? Je ne vois même pas quoi dire sur le sujet le concernant.

– Souvent les filles qui recherchent des vieux mecs, elles cherchent leur père.

Comme si j’avais envie de chercher un type qui ne m’a jamais regardé ou ne s’est jamais intéressé à moi…

– Ce n’est pas du tout ça. J’ai eu des relations avec des mecs plus jeunes avant. Sauf qu’ils n’étaient pas sérieux et ne cherchaient d’une seule et unique chose. Avec Cliff, c’est différent. Il prend du temps pour moi et est très à l’écoute de mes besoins. En plus, c’est un bon père.

– On en revient au père.

L’air triomphant de mon amie m’énerve.

– Je parle de notre fille.

Avec douceur, elle pose la main sur mon bras comme si elle s’apprêtait à m’annoncer une mauvaise nouvelle.

– C’est pour ça que tu es tombée enceinte ? Pour le garder ?

Je secoue la tête. Mais pourquoi tout le monde pense savoir mieux que moi, l’histoire de ma vie ?

– Non, je voulais avoir ma propre famille. J’étais prête à donner de l’amour et à m’occuper d’un enfant. C’est d’ailleurs ce que je fais toujours avec ma petite Valiana.

– Et lui, il a dit quoi ?

– Il n’était pas chaud pour, mais pour moi, il a accepté d’avoir une petite fille.

Agathe plisse les yeux comme si elle tentait de lire en moi.

– Est-ce qu’il a menacé de te quitter ?

– Hein ? Bien sûr que non ! Ce n’est pas le genre de Cliff. Il m’aime !

– En même temps, il doit être content de t’avoir à son bras pour frimer devant les autres.

Mais qu’est-ce qu’elle me raconte ?

– Bien sûr que non. Cliff est quelqu’un de discret qui n’aime pas attirer l’attention. Ça le gêne plus qu’autre chose, mais il fait par amour pour moi. Tu ne le connais pas, mais je te jure que c’est quelqu’un de bien. De loin, il peut paraître dur ou peu agréable, mais lorsque l’on apprend à le connaître, c’est un homme doux et attentif.

– On dirait que t’es vraiment accro, ricane Agathe.

– Oui, je l’aime. Est-ce une mauvaise chose ?

Le silence se fait dans la conversation, une nouvelle fois. Avant que l’une d’entre nous n’ouvre la bouche, la responsable vient demander de l’aide. Je m’empresse de sortir pour rejoindre la caisse.

La journée se déroule sans autres encombres. Mon amie termine avant moi, et j’avoue être soulagé de la voir partir. La discussion que nous avons eue m’a blessé plus que je ne désire l’avouer. À croire que tout le monde veut décider ce qui est le mieux pour moi. Je n’ai qu’une envie courir me blottir dans les bras de Cliff. Personne n’est capable de comprendre ce qu’il représente pour moi parce que personne ne sait ce que j’ai vécu en dehors de lui. Il m’a sauvé, il m’a ramené à la vie. J’ai appris ce qu’était le vrai amour dans ses bras. Je ne m’imagine pas aimer quelqu’un d’autre comme lui, je l’aime.

De sombres pensées plein la tête, je quitte la boutique après un dernier salut pour la responsable. Mon casque à la main, je me dirige vers les portes coulissantes du magasin. Une voix me coupe dans mon élan.

– Moéna !

Je me retourne pour découvrir Flavien qui s’avance vers moi, tout sourire. Il n’est pas méchant, mais j’avoue ne pas avoir envie de le voir. Surtout après la discussion houleuse que j’ai eue avec Agathe. Malgré tout, je ne me sens pas de l’envoyer balader.

– Bonsoir.

Il me rejoint.

– Ça te dirait d’aller prendre un verre ?

– Désolée, je dois rentrer pour m’occuper de ma fille.

Ma réponse le décontenance.

– Ha oui, j’avais oublié. Quel âge a-t-elle ?

– Quatre ans.

– C’est ta mère qui la garde pendant que tu travailles ?

Je secoue la tête. En un sens, j’aimerais tellement qu’elle soit encore là pour voir ma petite Valiana. Elle aurait été une grand-mère formidable.

– Non. Soit elle va à la garderie, soit c’est son père qui la garde.

– Tu es toujours en contact avec son père ?

Je remarque que Agathe n’a pas parlé de mon compagnon à Flavien.

– Oui, nous vivons ensemble.

Il me dévisage.

– Vraiment ? Mais alors euh… Vous êtes encore ensemble ?

De la déception est perceptible dans le ton de sa voix.

– Oui.

– Mais il n’était pas à la fête avec toi, pourtant !

J’acquiesce.

– Cliff n’est pas un grand fan de fête. Du coup, il est resté garder notre fille.

– Je vois…

L’air de rien, il prend les informations et je sens bien qu’il est attristé par la situation. Sans doute aurait-il voulu aller plus loin avec moi…

– Est-ce que ça va bien entre vous deux ?

– Il n’y a pas de souci à se faire, tout va bien.

– Tant mieux.

Pas besoin d’être devin pour comprendre que le cœur n’y est pas. Nous quittons la galerie pour rejoindre le parking du magasin. Flavien m’accompagne en silence, et je me sens mal à l’aise. Quoi lui dire pour rendre les choses plus faciles à accepter ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Je n’ai pourtant pas eu l’impression de tenter de le séduire. En plus, il a des tas de filles qui seraient contentes d’être avec lui, pourquoi est-ce que c’est moi qui l’attire ?

– Est-ce qu’un jour si tu as le temps, on pourra aller boire un café ensemble ? me propose-t-il brusquement.

– Pourquoi pas.

Je ne veux pas le rejeter trop violemment.

– Je connais un endroit où il y a des jeux pour enfant à proximité, tu pourrais ramener ta fille.

Cette idée me paraît bizarre. Je ne sais pas trop si j’ai envie qu’il rencontre Valiana. Pour peu, j’aurais l’impression qu’il veut s’imposer dans ma vie. Cela a un côté effrayant. Malgré tout, j’accepte pour ne pas le blesser.

Nous arrivons devant ma moto. J’en profite pour passer mon casque, histoire qu’il comprenne que je vais m’en aller.

– Voilà mon carrosse !

– Tu n’as pas peur de conduire ce genre d’engin ?

Sa remarque me fait rire.

– Non, j’ai l’habitude. En plus, il faut avouer que c’est pratique pour se déplacer quand on n’a pas le permis comme c’est mon cas.

Ma main récupère les clés de l’antivol et je le déverrouille.

– Je suis désolée, je vais devoir y aller.

Il hoche la tête d’un air triste.

– On se revoit bientôt.

– Oui. Prends soin de toi, Moéna. Je ne voudrais pas qu’il t’arrive malheur.

Je lui fais un clin d’œil.

– Ne t’en fais pas, j’ai l’habitude.

Sur ces mots, j’enfourche la moto, mets le contact et quitte le parking sur un dernier au revoir. Une sensation de liberté me prend alors que je roule. J’aime quand l’air me fouette le corps. Une pensée m’habite malgré tout, dois-je parler de Flavien à Cliff ? Je ne veux pas spécialement lui cacher, mais j’ai peur qu’il croit encore qu’il ne me mérite pas. Si seulement il savait combien je l’aime. Aucun homme n’aura jamais son importance dans ma vie. Il est exceptionnel et je ne l’en aime que plus. Pour le moment, je vais garder cette histoire pour moi, afin de ne pas l’inquiéter.

De toute façon, mon contrat se termine dans moins d’un mois, Valiana aura bientôt fini son année scolaire, il serait peut-être temps de changer de ville. J’en parlerai à Cliff. Ça ne devrait pas le gêner, il aime le mouvement.


Texte publié par Nascana, 29 mai 2023 à 02h49
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