Moéna 2000 (22 ans)
Lorsque je m’éveille, Cliff est déjà levé. Je ne l’entends pas, mais je l’imagine sans peine en bas, ou dehors en train de lire son roman avec une tasse de café fumante à ses côtés. La température doit être agréable. Je récupère ma nuisette et l’enfile pour descendre. Dans la salle de bain, je passe un kimono en satin. Ça permettra de ne pas être trop déshabillée en sortant dehors.
Un coup d’œil vers le fond du camping-car m’apprend que Valiana n’est pas encore levé. Elle a vraiment dû se coucher tard hier. Il va falloir que nous ayons une petite discussion toutes les deux.
À l’extérieur, je retrouve Cliff installé sur un fauteuil de jardin, un livre entre les mains. L’espace de quelques instants, je le contemple. Ses cheveux qui forment de belles boucles sur sa nuque me donnent envie de l’embrasser.
– Bonjour, mon ange, murmure-t-il.
Il est toujours aussi doué. Il sait quand je suis là. Je m’approche pour l’enlacer. Mes bras passent autour de son torse alors que mes lèvres se posent sur son cou. Je l’aime. C’est une certitude.
– Est-ce que tu veux boire quelque chose ? Un chocolat ?
Je secoue la tête.
– Un café m’ira.
Après avoir tiré un siège, je m’installe dessus. Dans un sens, heureusement que je n’ai pas bu d’alcool hier, sinon je suis sûr que je ne serais pas aussi en forme. En plus, je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin de ça pour m’amuser. Cliff à raison sur ce point.
Je respire profondément pour me ressourcer. Je me sens mieux. Du coup, j’attrape la tasse puis la porte à ma bouche. Le liquide chaud et amer coule lentement entre mes lèvres. La boisson me fait du bien.
Cliff me regarde faire, en secouant la tête.
– J’aurais pu t’en faire un, tu sais.
– Dans ta tasse, c’est toujours meilleur.
Mon compagnon se redresse.
– Je vais aller chercher le pain puisque tu es levée. Est-ce que tu veux une viennoiserie ?
– Prends des pains au chocolat. Tu feras le bonheur de ta fille.
Il se penche vers moi.
– Et pour faire le tien ?
– C’est toi qui fais mon bonheur.
Ses lèvres se posent sur les miennes pour un baiser tendre. Je profite de la chaleur de sa bouche. J’aime quand il me touche.
– Je reviens en vitesse.
– Je m’en doute. À tout à l’heure.
Mes yeux suivent sa silhouette alors qu’il s’éloigne. Il est grand et large d’épaules, un plaisir à regarder. Mon amoureux me plait, comme aucun homme ne m’a jamais plu. Peu importe son âge, je sais que c’est lui qu’il me faut.
Alors que je termine ma tasse de café, le bruit de la porte coulissante m’indique que Valiana vient de se lever. Une bonne chose puisque j’ai envie d’avoir une petite discussion avec elle.
Sa tête se glisse par l’entrée du camping-car. Un sourire illumine son visage.
– Maman !
Elle se précipite dehors pour me prendre dans ses bras. Je la soulève pour la mettre sur mes genoux. Elle se blottit rapidement contre moi.
– Coucou, ma grande fille.
J’embrasse ses joues rebondies. Elle est si mignonne. Lorsque je la regarde, je ne peux m’empêcher de penser à Cliff. Personne ne douterait qu’il s’agit de son père.
– Maman, tu es rentrée tard ?
– Pourquoi donc ?
– Je voulais t’attendre. Mais j’ai dormi…
Je ressens une pointe de déception dans sa voix. Ma main caresse ses cheveux bouclés.
– C’est bien. Tu aurais dû dormir tout de suite. Est-ce que tu as été sage ?
La petite détourne les yeux. Elle met un peu de temps à répondre.
– Oui…
Je prends mon visage sévère : sourcils froncés et lèvres pincées.
– Vraiment ? Tu es sûr ?
– Un peu, murmura-t-elle.
– Pourtant ce n’est pas ce que m’a dit papa.
Sa tête rentre dans ses épaules. Elle sait bien qu’elle est en tort.
– Il faut que nous ayons une petite discussion toutes les deux !
Je la sens boudeuse. Ses mains s’agitent sous l’effet du stress.
– Je vais être puni ?
– On va déjà discuter.
Après un regard pour ce qui nous entoure, je décide de rentrer pour parler plus librement.
– On va dans la chambre.
Sans enthousiasme, Valiana descend de mes genoux et commence à s’avancer vers le camping-car. Je sens bien qu’elle aimerait être partout ailleurs, plutôt qu’ici.
Nous nous retrouvons toutes les deux assises sur son lit. Ses doigts saisissent le drap pour le frotter comme si cela pouvait effacer le mauvais moment à passer. En un sens, je m’en veux de lui faire subir ça, mais il faut qu’elle grandisse et prenne soin de Cliff comme je l’ai fait jusque-là.
– Valiana, il paraît que tu as fait le bazar pour ne pas dormir, hier.
– Un peu…
– Pourquoi tu n’as pas écouté papa ?
Elle hausse les épaules.
– Je ne sais pas.
Je soupire.
– Tu sais que tu as rendu triste, papa ?
– Il ne pleurait pas…
– Papa ne pleure jamais. C’est pour ça qu’il faut prendre soin de lui.
La petite cligne des yeux.
– Il n’a pas le droit de pleurer ?
– Tu sais, papa a vécu des moments très durs quand il était petit. Depuis, il pleure à l’intérieur. Ça ne se voit pas, mais il est très triste parfois. C’est pour ça qu’il faut lui donner beaucoup d’amour. Tout cet amour, il n’y a que toi et moi qui pouvons lui offrir. Il en a tellement manqué quand il était enfant. Les gens n’étaient pas gentils. C’est pour cette raison que nous devons prendre soin de lui.
– Pourquoi les gens n’étaient pas gentils ?
Comment expliquer la vérité à cette enfant sans qu’elle ne prenne peur ?
– Valiana, le plus important, c’est que tu dois savoir que si papa dit quelque chose, c’est pour ton bien. Est-ce que tu crois que papa ne t’aimes pas ?
Elle secoue la tête.
– Est-ce que tu aimes papa ?
– Oui, très fort.
– Alors, il faut que tu sois gentille avec lui, pour ne pas lui rappeler toutes les personnes méchantes qui lui ont fait du mal. Tu es une grande fille, Valiana. C’est pour ça que je te fais confiance.
Le silence se fait.
– Je ne veux pas que papa pleure. Si je lui fais plein de bisous, il ira mieux ?
– Le mieux, ça serait que tu sois bien sage quand il s’occupe de toi. Quand papa te dit qu’il faut dormir. Tu dors.
La petite agite ses jambes comme par agacement.
– Mais j’avais peur sans toi, maman !
Ce coup-ci, elle a vraiment l’air mal.
Je viens m’installer près d’elle. Aussitôt, elle se blottit contre moi. En silence, ma main passe dans son dos pour la rassurer.
– Maman…, murmura-t-elle.
– Valiana, qu’est-ce qui te faisait peur ?
Elle cache ses yeux.
– J’avais peur… Que tu ne reviennes pas…
– Ma grande, pourquoi est-ce que je ne serais pas revenue ? Tu sais bien que papa et toi êtes mes deux amours. Je ne vous abandonnerais jamais.
– Même si tu t’amuses beaucoup ?
Je lui fais un sourire rassurant.
– Même si je m’amuse, je ne vous oublierais jamais. Vous êtes ma famille, les personnes les plus importantes au monde pour moi.
La petite relève ses grands yeux vers moi. Ses bras se tendent pour m’enlacer et je la serre contre moi.
– Tu ne dois jamais oublier Valiana que ta maman et ton papa t’aiment plus que tout. Quoi qu’il arrive, nous t’aimerons toujours. Personne ne t’abandonnera jamais.
Le nez dans mon kimono, elle hoche la tête.
– Maintenant, pourquoi est-ce que tu n’as pas parlé à papa ? Cela aurait plus intelligent que de faire le bébé qui pleurniche et crie.
Son visage adopte une moue boudeuse.
– J’avais peur que papa se moque de moi.
– Est-ce que tu as déjà vu papa se moquer de toi ?
– Non…
Ma main passe sur son front.
– Tu as beaucoup inquiété papa, tu sais ? Il faut que tu lui dises les choses. Il est aussi là pour ça.
– Je voulais que papa reste avec moi parce que j’avais peur.
– La prochaine fois, demande-lui. Ce sera plus simple.
Je la regarde dans les yeux.
– Je serais bien sage, murmure ma petite fille.
– C’est bien. Je te fais confiance. Pareil pour être gentille avec papa.
Valiana saute sur ses pieds.
– On prépare un café pour papa ?
– Allons-y.
Je la suis dans la cuisine.
– Déjà, il faut la tasse de papa.
La petite jette un coup d’œil à l’extérieur.
– Elle est là-bas.
À toute vitesse, elle part la chercher. Je la regarde faire en secouant la tête.
– On met du café dedans.
Alors qu’elle veut se saisir du pot, je l’intercepte. Mieux vaut agir avant qu’il ne se brise sur le sol. Je le pose sur la table puis récupère une petite cuillère. Valiana n’attend pas pour l’ouvrir.
– Combien de cuillères pour papa ?
– Une et demi.
Sa main tremble alors qu’elle verse les grains de café dans la tasse. Par chance, elle n’en met pas la moitié à côté.
– Une. Maman, c’est quoi « et demi » ?
– La moitié d’une cuillère.
À nouveau, elle se concentre. Son front se plisse alors qu’elle tente de moins remplir la cuillère. Finalement, elle se décide pour vider son chargement dans la tasse.
– C’est bon.
Je jette un coup d’œil avant d’acquiescer.
– Et maintenant ?
– On met de l’eau, déclara sûr d’elle la petite.
– Froide ?
Brusquement, ce détail paraît lui revenir en tête.
– Non, il faut la faire chauffer en appuyant sur le bouton.
Elle se précipite pour actionner l’embout de la bouilloire.
– Tu as regardé s’il y avait de l’eau dedans avant ?
Elle secoue la tête.
– Regarde pour moi, maman, s’il te plait.
Alors que je remplis le contenant, Cliff fait son retour. La petite est la première à le voir.
– Papa est là.
Elle se met à courir avant que j’aie pu lui parler.
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