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tome 1, Chapitre 44 « Fête du samedi soir partie 10 » tome 1, Chapitre 44

Clifford 2000 (39 ans)

Le plus discrètement possible, je rejoins le coin cuisine. Pendant que mes mains s’activent pour récupérer la casserole et le lait, je cogite. Mo qui souhaite un chocolat chaud, ça me fait bizarre. J’espère que c’est une envie passagère et que ça ne veut pas dire qu’elle est enceinte. Sincèrement, je ne me vois pas avec deux gosses. Pas tant que la première n’est pas autonome.

Je ne me leurre pas. J’ai bien remarqué le regard de Mo devant toutes les poussettes qui passent. Pour l’instant, elle se retient parce que ce n’est pas trop le moment, mais il va arriver un jour où elle va m’en parler. Sauf que je suis déjà dépassé avec un alors avec deux, je serais sûrement complément paumé.

Comme si elle lisait dans mes pensées, Mo vient se coller à moi pour me chuchoter à l’oreille.

– Comment ça s’est passé avec Valiana ?

Je soupire.

– Un raté !

Elle resserre ses bras sur mon torse.

– Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

L’idée d’en parler me met mal à l’aise. Pourtant, je ne vais pas lui mentir.

– Disons qu’elle n’avait pas très envie de dormir sans que tu sois là… Elle a beaucoup traîné les pieds : pour prendre sa douche, pour aller dans son lit, pour se mettre sous les draps. Elle s’est mise à pleurer quand j’ai voulu partir… Puis elle a crié. Du coup, je suis resté jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Mais ça a pris un certain temps. Il a fallu que je m’allonge avec elle, et la gamine s’accrochait à moi comme une moule à son rocher. Je ne savais pas quoi faire. C’était lamentable.

Voilà, Mo peut contempler l’étendu de ma nullité avec ma fille.

Ses mains passent sur ma nuque comme pour me rassurer. Je suis un mauvais père. J’en ai conscience. En même temps, je partais déjà avec un handicap à la base. Qu’est-ce qu’un père pour moi ? Un type qui s’est barré dans son pays pour ne pas me voir. Un type qui aimait un peu trop les jeunes filles ? Un type qui voulait que je prenne sa relève pour me refiler tous les risques ? Mes modèles ne font pas rêver. Valia manque de chance sur ce coup-là.

– Toi, tu te prends encore la tête, murmure Mo.

Ses lèvres se posent sur mon dos et m’embrassent. Elle est si douce avec moi. Si protectrice… Jamais personne n’avait pris le temps de passer outre ma carapace, à part… Savina… Évidemment, ce n’était pas pareil. Mo n’a pas le même caractère.

– Cliff, je lui parlerai demain. Comme ça, elle sera sage.

Ses paumes chaudes courent sur mon dos, dans des gestes rassurants.

– Je sais que tu fais beaucoup d’efforts pour être un père formidable.

– Dommage que ça ne marche pas alors.

Sa main se saisit de la mienne avec tendresse.

– Tu te trompes. Valiana t’adore. Chéri, s’il m’arrivait quelque chose, je serais rassuré parce que tu sauras prendre soin de notre petite fille comme personne.

Mon cœur loupe un battement à cette simple évocation. Je me retourne pour la serrer dans mes bras. Qu’elle me quitte ce n’est pas grave si elle est heureuse, ailleurs. Mais la perdre pour rien me serait insupportable. Qu’est-ce que je ferais tout seul avec la gamine ?

– J’ai confiance en toi, murmure-t-elle.

Je crois que c’est l’unique personne à penser cela. Moi, sorti de mes compétences de travail, et encore les anciennes, je ne suis pas forcément confiant.

– Tu es un super papa. Quand elle sera plus vieille, ta fille te le dira.

Je grogne un truc incompréhensible. Penser que Valia pourrait me remercier d’avoir été son père, c’est risible. Des pères mieux, il y en a des dizaines à l’extérieur.

Des petit-amis mieux, il y en a aussi. Des qui font un chocolat chaud à leur femme…

– Je vais te faire ta boisson.

Mes mains abandonnent Mo pour aller fouiller dans le placard. J’y récupère un pot plein de poudre marron. En l’ouvrant, l’odeur de cacao mêlé à la vanille me frappe les narines. Ce parfum, je l’apprécie alors même que je ne trouve aucun intérêt à boire du chocolat chaud. Je préfère un bon café.

– Cliff ? Chéri, si ça n’allait pas, tu m’en parlerais.

Cuillère à la main, je lui jette un regard interrogateur.

– Tout va bien. Je suis un mauvais père, mais je l’accepte. Je n’ai jamais pensé que j’en ferais un bon de toute façon.

Mo penche la tête sur le côté, signe qu’elle est énervée.

– Tu veux que je demande à Valiana, demain ? Elle te donnera son avis sur la question mieux que personne.

L’avis sera biaisé par le fait qu’elle n’a que moi comme père…

– Regarde ceux qui t’ont élevé. Tu es meilleur qu’eux, Cliff. Ce que tu souhaites pour Valiana, c’est qu’elle puisse être heureuse.

– Si déjà elle pouvait grandir sans violence…

Mo se colle à mon dos, ses mains sur mes bras.

– Dans cette maison, il y a beaucoup d’amour. Est-ce que tu as vu de la violence ?

– Toi, qui tente de démouler ton gâteau cramé.

Elle me met une petite tape sur le triceps. Je souris.

– Je croyais qu’il n’y avait pas de violence ici ?

– Valiana dort, donc c’est bon.

Un rire échappe à Mo. Je me sens fondre. Sait-elle seulement combien elle est importante pour moi ?

– Tu ne jettes pas encore à la poubelle, ton vieux mec ?

Son visage s’assombrit.

– Est-ce que ça va ?

D’un hochement de tête, elle me fait comprendre que c’est le cas.

– Je vais tout te raconter. Mais prévois un café.

Mes sourcils se froncent alors que je laisse le lait glisser dans la tasse, tout en tournant. La poudre se dissout pour donner une couleur marron à la boisson. J’en profite pour actionner la bouilloire. Il paraît que je vais avoir besoin de force. Pourtant avec Mo, j’en ai déjà beaucoup.

Tasses à la main, je la rejoins à l’extérieur. Nous nous installons sur les chaises en plastiques qu’on a achetées pour passer l’été dans le coin. Tous les ans, on acquière un salon de jardin pas cher. Comme on ne peut pas l’emporter, on le donne généralement à ceux qui sont intéressés.

Il ne fait pas très clair, ici, c’est pour ça que j’ai sorti un spot que j’ai fixé sur la porte du camping-car. C’est du bricolage, mais ça nous permet de nous voir pour discuter.

– La soirée était plutôt sympa.

Je souris. Si Mo a pu s’amuser pendant quelques heures et oublier la pression du travail ou d’être mère, cela me fait plaisir.

– J’ai rencontré plein de gens sympathiques. Le souci, c’est que je crois que j’ai fait forte impression à un garçon…

Mon cœur se serre à ses mots.

– Il te plaît ?

Ma femme me fixe avant de cligner des yeux.

– Bien sûr que non ! Enfin Cliff, il n’y a que toi qui me plais.

Avec un sourire, sa main s’empare de la mienne pour la serrer fort.

– Personne n’a d’aussi jolies boucles que toi.

Gêné, je passe les doigts dans mes cheveux pour les étirer.

– Arrête de croire qu’un mec à qui j’ai parlé cinq minutes pourrait prendre ta place dans mon cœur.

C’est si magnifiquement dit. Pourtant je crains toujours qu’elle finisse par me préférer un autre. Un homme bien, qui lui offrait une jolie maison. Un dont la plus grande capacité ne serait pas de tuer des gens.

– À un instant, j’ai cru qu’il voulait me faire sa déclaration…

– C’est normal, tu es tellement belle !

Mo reste silencieuse avant de reprendre.

– On s’en fiche de ça, ce n’est pas le sujet.

– Tu es magnifique et ta robe ne fait que flatter ta silhouette.

– Là, c’est toi qui me flattes.

Elle me fait un clin d’œil.

– Non, moi, je suis honnête.

Mo secoue la tête en riant avant de reprendre.

– Du coup, j’ai un peu paniqué et j’ai cherché quoi dire pour éviter ce problème. Ma solution n’était sûrement pas la meilleure, mais je lui ai raconté que j’avais une petite fille.

Je ricane. Un bon moyen de repousser les mecs pas sérieux.

– Il a été étonné et ne m’a rien dit.

Elle plonge ses lèvres dans son chocolat chaud.

– Je suis désolée, Cliff.

Cette phrase me surprend.

– Que cet homme ait voulu me faire des avances…

– Et alors ? C’est pas de ta faute. Il a juste bon goût.

– Je n’ai pas besoin qu’un autre homme me regarde. J’ai juste envie que ce soit toi qui le fasses. Avant…

Elle n’ajoute rien. On sait tous les deux ce que veut dire cet avant.

Néanmoins, je reste touché par sa déclaration ! Savoir qu’elle me préfère soulage quelque peu mon cœur.

– Qu’est-ce qui te tracasse ?

À sa grimace, je devine qu’elle pensait que je n’étais rendu compte de rien. Sans un mot, elle se lève pour s’installer sur le transat. D’un geste, elle me fait signe de la rejoindre. J’avale en vitesse le restant de mon café puis viens m’asseoir près d’elle. Aussitôt, Mo se blottit dans mes bras, elle me paraît vulnérable ce qui me serre le cœur.

– Tu peux tout me dire ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ?

– Bien sûr que non ! Cliff, tu es un homme génial. C’est juste des choses que l’on m’a dites…

Je passe ma main dans ses cheveux, alors qu’elle vient poser la tête dans le creux de mon cou. Des gestes que je tente au maximum de rendre rassurants.

– C’est stupide !

– Si ça te touche, ce n’est pas stupide.

Elle relève les yeux et nos regards se croisent.

– C’est juste que… Des critiques que j’ai entendues…

– Des critiques sur quoi ? Sur toi ?

Gênée, elle secoue la tête.

– Sur Valia ?

– Non. Sur toi.

– Bon, alors ça va.

Apparemment, Mo n’est pas d’accord.

– Non, ça ne va pas ! J’en ai marre qu’on me dise des méchancetés sur toi !

Je lui souris en prenant sa main dans la sienne.

– Je suis loin d’être l’homme parfait. C’est un fait.

– Je n’ai pas besoin d’un homme parfait. J’ai besoin de toi. J’ai l’impression qu’on ne fait que me répéter que tu es trop vieux, pas assez riche ou autre pour moi. Mais je suis heureuse avec toi. On s’aime tous les deux et on aime notre petite fille.

Mes doigts caressent tendrement sa joue. Sa peau est si douce.

– C’est vrai que je suis vieux pour toi. Et que tu pourrais trouver un homme avec une meilleure situation.

Elle me lance un regard blasé.

– Si je courais après la richesse, je te ferais enchaîner les contrats. Je suis sûr que comme ça, on aurait une belle villa avec piscine.

Sur ce point, je ne peux que lui donner raison.

– J’ai juste besoin de toi, et de ma petite Valiana. Vous êtes les deux amours de ma vie. Ma seule et unique famille. Ceux dont j’ai besoin.

Je serre mes bras autour d’elle, comme pour la protéger de ce monde trop dur. Sa paume vient se poser sur ma nuque. L’espace d’un instant, nous nous dévisageons avant que nos lèvres ne se trouvent. Il n’y a jamais de gêne ou d’hésitation entre nous. À croire que notre amour sait s’exprimer de lui-même.

– Cliff, je t’aime si fort. Sans toi, je ne sais pas comment je ferais pour vivre.

Cette déclaration me touche d’autant plus que je pense la même chose.

– Tu ferais exactement comme avec moi. J’ai toute confiance en toi. Tu es une femme forte.

Je veux qu’elle se rende compte de tout ce qu’elle a accompli. Elle n’a que vingt-deux ans, mais c’est une maman formidable qui sait prendre soin de sa petite fille. C’est une femme incroyable, toujours présente pour moi. Elle gère aussi son travail et sa passion. À côté de ça, qu’est-ce que je faisais à son âge ? De la mécanique et tuer des gens… Rien de transcendant en somme.

Mo étouffe un bâillement. Je l’observe en souriant. Avoir dansé toute la nuit a dû la fatiguer.

– On fera mieux d’aller se coucher. Tu as besoin de repos et demain, Valia va se lever avec le soleil.

Ma femme hoche la tête alors qu’elle se blottit contre mon torse.

– J’aime tellement être dans tes bras.

– Tu pourras être dans mes bras dans notre lit.

Sur son front, je dépose un baiser plein de tendresse. Elle soupire, mais se redresse.

– Je vais m’occuper du rangement.

Elle me remercie avant de filer dans le camping-car. Des yeux, je suis sa silhouette à la démarche gracieuse. Je suis vraiment chanceux d’avoir une femme aussi belle et aussi intéressante qu’elle. Il m’est déjà arrivé de provoquer la jalousie de certaines personnes. D’autres fois, c’était de l’incompréhension ou de l’admiration. Tout ça parce que je suis en couple avec une femme de vingt-deux ans, magnifique. Si seulement, ils savaient qu’elle est encore plus que ça. Ce n’est pas son âge qui m’a attiré chez elle. C’est sa personnalité. Sa jeunesse m’aurait plutôt fait peur. Je ne me sentais pas à l’aise à l’idée d’être avec quelqu’un d’aussi juvénile, mais c’était déjà une vraie femme, pas une

adolescente insouciante. Son vécu et ses problèmes l’ont fait mûrir plus vite que prévu.

En vitesse, je ramasse les tasses et le roman que j’ai abandonné lorsque j’ai vu la voiture arriver. Mon chargement atterrit sur la table intérieure, alors que je repars pour plier les chaises ainsi que le transat. Je le fais chaque soir pour les ranger. La table, je la laisse. Je doute que qui que ce soit ait envie de partir avec.

Une fois, mon tour d’horizon fait, je descend le spot puis ferme à clé. Mo a déjà disparu. Mes mains récupèrent les tasses pour les laver rapidement. J’ai hâte de pouvoir m’endormir contre ma femme. Une idée qui me motive pour aller plus vite. Ma tâche effectuée, je quitte mes vêtements pour ne garder que mon caleçon et grimpe à l’échelle.

Lorsque mon corps se glisse sous le drap, mon ange vient se blottir contre moi. Ses yeux sont fermés, comme si la fatigue avait attendu tout ce temps pour la terrasser. Je dépose un baiser sur ses lèvres chaudes, auquel elle répond lentement.

– Bonne nuit, mon ange.

D’une voix ensommeillée, elle me souhaite aussi de bien dormir. Je crois qu’elle a déjà un pied dans le monde des rêves. Cette idée me fait sourire alors que je caresse doucement son dos. Mes doigts tracent une ligne le long de sa colonne vertébrale. Je suis bien. Même si je ne l’avouerais jamais, depuis le moment où Valia s’est endormie, j’ai passé mon temps à m’inquiéter pour Mo. Ce qui était plus qu’idiot puisqu’il s’agissait juste d’une simple soirée. Avais-je peur qu’elle fasse la rencontre d’un homme plus jeune et plus intéressant que moi ? J’envisage toujours cette possibilité. Je ne suis pas le meilleur parti pour elle, mais j’espère que cela n’arrivera pas.

Une fois encore, je suis chanceux. Sur cette pensée, mes yeux se ferment. Je ne tarde pas non plus à m’endormir. Après tout, ma femme et ma petite fille sont en sécurité. Nous ne risquons rien. Je peux me détendre et tenter de me reposer un peu. Demain, j’imagine que Valia voudra sa glace. Je la vois déjà trépigner d’impatience.


Texte publié par Nascana, 23 février 2023 à 17h22
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