Un soir, j’ai voyagé dans un songe noir, ni tout à fait un cauchemar ni tout à fait une histoire.
Quelqu’un se tenait dans l’embrasure de la porte.
– Avance mon enfant, murmura l’ombre. Il y a si longtemps que je t’attends.
– Le temps d’un soir, le temps d’une histoire, rétorqua-t-il, énigmatique. Bonsoir.
L’ombre sourit. Une larme perla au coin de sa paupière, puis roula le long de sa joue. Posé entre ses mains, le livre se couvrait d’une fine écriture.
– Il était une fois, commença l’ombre.
– Une princesse, prisonnière d’un miroir, poursuivit le jeune homme.
– Elle ignorait tout des obscures clartés qui obombraient sa naissance et avait fui les assiduités d’un homme qui s’était fait passer pour mort, lisait l’ombre.
– Cependant, qu’elle vivait parmi les morts, elle rêva d’un jeune homme qui la délivrerait de son sort, acheva-t-il.
À ces mots, l’ombre ôta sa capuche et dévoila le visage d’une femme à la chevelure blanche aux reflets d’argent. Ses traits étaient fins et empreints d’une sagesse millénaire. D’un signe de la main, elle l’invita à la suivre. Arrivés devant la cheminée, les flammes s’écartèrent aussitôt et livrèrent le passage à la dame et à son invité. Cette fois, elle n’hésita pas et, résolue, elle poussa les lourds battants de la porte dissimulée au fond de l’âtre.
– Princesse Fürsthinde, s’exclama à mi-voix l’enfant comme il l’aperçut dans son cercueil de verre et de vermeil ; une épée fichée dans la poitrine.
[
i]– Voici ! Vous êtes fin prêt, monsieur Stormwater, s’était esclaffé Svartrmaðr, comme il coupait le dernier fil qui dépassait de sa bouche.
Pourtant le ton sonnait faux, déçu qu’il n’eût point crié ou hurlé ; non, il était demeuré stoïque, comme résigné de son sort à venir. Cependant, il n’en avait pas soufflé mot, puis il l’avait conduit dans une immense salle, décorée de velours, tout en noir et écarlate. Il avait reconnu madame, habillé d’une robe bustier qui mettait en valeur de manière outrageuse ses formes généreuses. À ses côtés, sa fille, dont le visage était dissimulé par un voile de crêpe.
– Permettez que je vous installe à la place de monsieur, puisque ce dernier ne se joindra pas. Enfin, si madame n’y voit aucun inconvénient.
– Faites donc ! lui ordonna-t-elle. Monsieur n’est qu’un sot et nous le savons tous. Il suffit que l’une ou l’autre chose lui déplût et l’hubris s’empare de sa personne.
– Mademoiselle ? s’enquit-il par politesse.
Mais elle ne daigna pas lui répondre et eut un geste d’humeur. Le majordome s’inclina puis se saisit du corps immobile d’Aleister qu’il installa sur le large fauteuil. Puis, il lui plaça une serviette autour du cou, avant de se mettre en demeure de faire le service.
– Vous pouvez vous retirer, Svartrmaðr.
Surpris, ce dernier jeta une œillade interrogative à sa maîtresse qui acquiesça.
– Comme… comme vous voudrez, madame, marmonna-t-il comme il quittait la pièce.
– Vous aussi mère ! ordonna soudain Afávs.
Stupéfaite, cette dernière jeta un regard venimeux vers sa fille qui le lui rendit.
– Je désire m’entretenir seul à seul avec ce jeune homme, siffla-t-elle entre ses dents.
– Fort bien, Afávs. Cependant, sachez que j’en toucherai quelques mots à votre père ! rétorqua-t-elle d’un ton hautain.
– À votre guise mère ! Peut-être mettrez-vous ainsi un terme à cette farce tragique qui n’a que trop duré entre vous, jeta-t-elle en retour.
– Oh !
Le visage rouge, la femme se leva de table et s’en fut, outrée par tant d’avanies.
Demeurés seul à seul, Aleister tordit son cou en direction de la jeune fille, dont le visage était toujours dissimulé par un voile.
– Pourquoi les avoir chassés, demoiselle Ednihtsrüf ? s’enquit le jeune homme.
La jeune fille ôta son chapeau. Son regard erra quelques instants dans la pièce, puis se reporta sur l’homme tronc assis dans le fauteuil.
– Vous avez repoussé les avances de ma chère et tendre mère, vous n’avez point courbé l’échine devant l’être qu’est devenu mon père et alors que vous vous saviez condamné, vous n’avez point protesté et vous avez accepté la métamorphose. C’est étrange, soupira-t-elle.
En face d’elle, Aleister souriait, bien que la situation ne s’y prêta point.
– Pourquoi souriez-vous, Aleister ? Je pourrai en cet instant vous dévorer le cœur ou vous éviscérer comme beaucoup avant vous et pourtant votre visage respire la joie. Pourquoi ? Pourquoi ne pas avoir fui quand vous le pouviez encore ?
Le jeune homme remua quelque peu sur son siège de manière à contempler le visage de la belle et cruelle princesse.
– Un soir, il était fort tard, j’ai voyagé dans un songe noir et j’y ai découvert votre visage. Il était d’or et d’effroi, comme le reflet d’une peur dans un miroir. Plus tard, je vous ai revu dans une histoire qui n’était ni tout à fait un rêve ni tout à fait un cauchemar et j’ai vu une épée dans votre poitrail.
– Une épée comme celle-là, murmura la princesse comme se matérialisait entre ses doigts la garde d’une lame finement ouvragée.
– Une épée comme celle-là, confirma l’homme-tronc. Tranchez-moi la tête et je vous délivrerai de votre prison de terreur.
La lame tremblait entre ses mains. Était-ce là une nouvelle ruse de sa part ? Elle ne pouvait le croire. Afávs ferma les yeux ; la tête tomba dans un bruit mat. Alors s’éleva du cou tranché un jeune homme au regard aimant.
– Merci princesse Ednihtsrüf. À mon tour de tenir ma promesse.
Au même instant, un jeune homme posait la main sur la garde d’une épée fichée dans la poitrine d’une jeune et l’ôta d’un coup sec. De la blessure jaillit, non pas la liqueur vermeille de la vie, mais le souffle putride d’une âme noire et corrompue.
– Princesse Fürsthinde, ne vous avais-je point fait la promesse que je reviendrai ? souffla le jeune homme tandis qu’il déposait un baiser sur ses lèvres purpurines.
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