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volume 2, Chapitre 8 « Dagda » volume 2, Chapitre 8

Enfin, le prince ouvrit les yeux et découvrit sa fière compagne, prête à entreprendre de nouveau le voyage.

– Prends donc ton paquetage, je t’emmène à présent vers celle qui t’indiquera où trouver l’homme aux yeux miroirs.

Ayant rassemblé ses affaires et reconstitué son baluchon, l’instant d’après ils trottaient au milieu de la forêt, empruntant des sentiers que nul pied n’avait foulés depuis des éternités. Ils cheminèrent ainsi, jusqu’à ce que le soleil fût au zénith. Ils firent ainsi halte au bord d’une rivière où le prince en profita pour grignoter quelques-unes des provisions qu’avait emportées avec elle sa monture. Pendant ce temps, celle-ci s’occupait à brouter avec application les herbes environnantes.

– Où nous rendons-nous ? s’enquit soudain le prince, tant l’attente lui semblait longue, surtout qu’il était loin de sa belle.

– Quelque part de l’autre côté de la rivière. Concentre-toi seulement sur celle pour qui tu as entamé cette quête et tu en hâteras le chemin.

– Mais… se récria le jeune homme.

Cependant, il ne poursuivit pas son propos. En effet ce n’était plus pour son père qu’il l’entreprenait. Les paroles de sa monture étaient pleines de justesse et de sagesse. Il ne désirait plus qu’une chose : arracher sa belle aux griffes de son frère, celui que l’on appelait l’homme sans visage, l’homme aux yeux miroirs. Soudain là où il n’y avait encore rien se dressait désormais une chaumière, bâtie dans le tronc d’un arbre gigantesque qu’il devinait habité par une créature digne de ses plus lointains cauchemars.

– Est-ce là que nous nous rendons ? bafouilla le jeune homme en se penchant sur l’encolure de sa monture.

– En effet. En ces lieux, réside celle qui te guidera jusqu’à l’homme aux yeux miroirs.

Et sur ces mots, l’animal prit son élan et sauta par-dessus la rivière. Le prince ferma les yeux tandis qu’un vent puissant siffla à ses oreilles. Enfin lorsque ce dernier se fut tu et qu’il put rouvrir les yeux, il contemplait la maison de la sorcière, creusée dans un chêne millénaire. À l’entrée, se reposant sur un lourd bâton taillé dans une branche sombre, une silhouette encapuchonnée au front de laquelle brillait un diadème, qu’il devinait de bois de sorbier.

– Descends donc de ta monture. Je l’emmènerai moi-même en un endroit où elle sera à l’abri, chanta la voix.

Il était surpris, car il s’attendant à une voix grinçante ou chevrotante ; une voix de sorcière. Obtempérant, le prince mit pied à terre et s’en fut la rejoindre, incapable de savoir s’il s’agissait d’une femme ou d’un homme. Descendant quelques marches, il découvrit une salle aménagée au sein des formidables racines où, dans des niches creusées à même la terre, étaient disposés des quantités formidables de bocaux, remplis de mousse et de lichens, et des cages scintillantes où voletaient des insectes, tous phosphorescents. Au milieu, trônait une monumentale table en châtaigner sur laquelle était posé un récipient fumant.

– Sers-toi ! Bois de tout ton saoul mon garçon, pendant que je vais amener ta jument dans l’enclos. Les bêtes sauvages sont rares en cette saison, mais sait-on jamais…

Le prince la remercia, puis elle s’éclipsa, l’abandonnant seul dans la pièce, face au chaudron et à son mystérieux breuvage. Cependant, comme il avait grand soif, il n’hésita que peu de temps et se servit un large verre qu’il but goulûment. La note dominante était la pomme, puis vint l’orange, ensuite la bergamote. Reprenant de la chaude liqueur, il lui semblait que les racines prenaient vie.

– Que vois-tu mon garçon ? susurra soudain une voix à la fois si proche et si lointaine.

Hélas, il se sentait bien en peine de répondre tant les mots lui apparaissaient vides de sens et impuissants.

– Dis-moi seulement ce que tu vois, répéta la voix. Peu importe ce qu’ils sont, sens, construction, ordre ou chaos, ce sont deux états du même objet.

– Ombre, chaos, femme, homme, il se métamorphose. L’un n’existe pas sans l’autre. À moins que moins que ce ne soit l’autre qui existe pour l’un. Où est dont passé l’illusion ? Je ne vois plus que des chevaux. L’un existe parce que l’autre est. Mais l’autre est parce qu’il n’existe plus rien au milieu de toute chose. Chacun d’entre eux est la prison de l’autre. Libéré l’un, c’est condamné l’autre. Empêché l’un, c’est équilibré l’autre. Mais l’un se cache et l’autre le sait. Il frappe le centre de l’arbre de vie.

– Continue mon garçon ! File ton propos ! Ne t’arrête pas au bord du rivage.

Et le jeune homme ivre de son délire n’en finissait pas de libérer le flot intarissable de sa logorrhée, que la femme agenouillée à son chevet recueillait et couchait sur un parchemin de vélin.

Étendu sur une couche de paille et d’herbes sèches, le prince Hippolyte se redressa soudain. Autour de lui, tout avait retrouvé sa place et le ténébreux pandémonium avait disparu.

– Que… que m’est-il arrivé ? bredouilla-t-il, tandis qu’il tentait de rassembler ses esprits.

À la place, l’ombre secoua la tête et l’invita se joindre à elle. Avec difficulté, celui-ci étira ses membres et s’approcha de la table sur laquelle reposait un arc sans flèche ni carquois, une dague au manche d’ivoire et un anneau scintillant.

– Celle que tu cherches est au fond d’une grotte, gardée par un dragon d’argent. Seules ses larmes t’ouvriront le passage, car il est invulnérable. Ensuite, tu devras être capable de renverser ton regard afin de voir au-delà du miroir. Enfin, alors, tu pourras t’unir à celle que tu chéris et par là la délivrer de l’emprise de celui que l’on appelle l’homme aux yeux miroirs.

Le prince Hippolyte ne savait que penser de cet oracle. Cependant, il s’empara des objets déposés et suivit la silhouette au travers des boyaux obscurs qui s’enfonçaient toujours plus profond dans la terre, jusqu’à déboucher dans une vaste caverne.

– Je ne puis aller plus loin, reprit-elle d’une voix chevrotante, je n’en ai pas le droit. Quant à toi, confie-moi tes effets, à l’exception de tes habits, car tu n’auras besoin que de l’arc, de la dague et de l’anneau pour accomplir tes épreuves.

Un instant, il hésita puis lui tendit son baudrier où était ceinte son épée. Puis il passa autour de son torse l’arme dénudée, la bague dans une poche et la lame à sa taille. Ainsi, paré, il plongea dans l’obscurité silencieuse, se remémorant chacune des paroles de la sorcière. Ses pas résonnaient dans la caverne silencieuse, guidé uniquement par le faible lumignon qu’il devinait dans le fond.

– Penses-tu que je ne t’entende pas, petit homme ? ricane une voix surgie de l’ombre. Tu fais plus de bruit qu’un troupeau d’oliphants. Viens donc me défier si tu es assez téméraire. Tu découvriras dans ma tanière les ossements de tes prédécesseurs ; ils ne manquaient pas courage, eux. Ah, ah, ah.

Glacé par le rire sinistre, le prince se figea.

– Hélas je n’ai pour toutes armes qu’un arc sans flèche. Je n’ai même pas de casque ou de bouclier qui m’aurait protégé de son souffle, se lamentait-il.

Néanmoins, il ne manquait pas de bravoure, au contraire de ce qu’affirmait son adversaire et il ôta l’arc de son torse pour mieux le brandir devant lui. La corde était en boyau de cerf et le corps en bois d’if. Admiratif du travail d’orfèvre qui avait nécessaire à sa réalisation, le jeune homme le caressait avec douceur. Il en tira un son si pur et si cristallin que ce dernier lui arrache des larmes, en même temps que de nouvelles cordes se matérialisaient et l’arme vile se métamorphosa en Dagda. Intrigué, le jeune cessa de jouer.

Serait-ce là la solution à ce mystérieux oracle ?

À cela, il n’existait qu’une seule réponse et s’armant de son courage, il s’engagea dans l’étroit couloir.

– Ah, ah, ah. Alors petit homme, tu te décides enfin à me rejoindre. Tu n’es peut-être pas lâche que cela finalement, s’esclaffe le ver au fond de sa grotte.

Mais le prince ne relève pas l’offense et se contente de descendre les quelques degrés qui le séparent encore de son adversaire, les doigts à fleur de corde.

– Sont-ce là tes seules possessions ? ricana le ver. Un simple arc, et sans flèches qui plus est ! Qu’espères-tu faire ? Contemple donc ce qu’il demeure de ces héros qui sont venus me défier au fil des éons. Je crois qu’il y en a qui sont encore suspendus çà et là ; je suis paresseux.

Le dragon explosa d’un rire sinistre qui se répercuta sur les parois de la caverne. Indifférent, le jeune homme poursuivait sa progression, les doigts tendus au-dessus de la corde, et ce ne fut qu’en vue de la figure de cauchemar de son adversaire, qu’il commença à la pincer.

– Que… que fais-tu ? hoqueta ce dernier. En face de lui, le prince ne cessait de jouer de sa harpe imaginaire, tout en pleurant des larmes amères.

– Arrête petit homme, glapit le ver, le corps écrasé par la douleur.

Cependant, il ne s’interrompit que, lorsque celui-ci n’eut plus que la force d’ouvrir les paupières.

– Je te présente Dagda, murmura le prince Hippolyte, tandis qu’il contournait son adversaire prisonnier de rets invisibles.

Derrière lui, il découvrit un passage qui le conduisait vers une salle de lumière.

À l’intérieur, c’était un palais de Glaces et de miroirs au milieu desquels trônait lune jument à la robe noire, entravée par de lourdes chaînes. De l’autre côté, se tenait une silhouette encapuchonnée.

– Ainsi, donc, tu as triomphé, murmura-t-elle.

– À présent saisis-toi du poignard et déchire le voile qui enferme celle qui tu cherches, ajouta-t-elle d’une voix sourde en désignant l’animal immobilisé.

Entre ses doigts, la dague vibrait, avide. Néanmoins, il se retenait. Il ne pouvait le faire, quand bien même, elle serait la prison de sa chère.

– Pourquoi en est-il ainsi ? chuchota le jeune homme.

– Telles sont les lois qui gouvernent ce monde, fut la réponse.

Le prince hésitait, tout, autour de lui, n’était qu’un jeu de reflets et de faux-semblants, de mensonges et de trahisons. En était-il de même pour celui ou celle qui lui parlait, car selon ses paroles mêmes, il n’était pas en son pouvoir de l’accompagner dans la grotte.

– Renverse ton regard, avait dit l’oracle.

– Qu’il en soit ainsi, jura-t-il en tranchant de sa lame le poitrail noir de l’animal qui répandit une traînée écarlate sur le sol mate.


Texte publié par Diogene, 11 février 2022 à 19h31
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