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volume 2, Chapitre 6 « La Princesse scellée » volume 2, Chapitre 6

Ainsi donc le lendemain le prince passa-t-il la journée seule au sein du donjon silencieux, son hôte lui ayant fait part de son départ précipité dans la matinée, sans être en mesure de lui dire quand il reviendrait. Piqué par le jeu, il avait commencé à explorer une à une les pièces qui s’offraient à lui. Hélas, la plupart étaient fermées à double tour, ainsi trouva-t-il très vite refuge dans une bibliothèque, dans laquelle trônait, posé sur immense lutrin, un livre grand ouvert dont seul le quart était couvert d’une fine et délicate écriture cursive. Sa curiosité éveillée, il s’approcha de l’épais ouvrage lorsqu’il sentit un souffle dans sa nuque. Surpris, le prince se retourna vivement, mais ne découvrit personne, sinon les étagères muettes. Reportant son attention sur l’objet de sa convoitise, ce ne fut que pour découvrir son absence. À la place, se tenait une silhouette encapuchonnée en presque tout point semblable à celle de son hôte, à l’exception d’une poitrine plus généreuse et des cheveux couleurs feu, mêlées de rares mèches aile de corbeau qui dépassaient du col de sa robe. Entre ses bras, reposait le lourd grimoire, scellé par un fermoir d’argent.

– Aucun mortel n’a le droit de porter regard sur sa destinée, ainsi qu’il en a été décidé, murmura la voix encapuchonnée.

– De quoi diable parlez-vous ? s’emporta le prince. Quelles sont donc ces billevesées. Aucune fatalité n’est écrite et c’est pour le prouver que je suis ici. Et maintenant faquin ! Révèle-moi ton visage, avant que je ne t’occis !

Face à lui l’ombre se mit à rire, un rire lugubre et sinistre, annonciateur de malheurs et de mauvais augures.

– Et comment feras-tu, mortel ? Tu n’as ni arme ni courage.

À ces mots, le prince blêmit de rage avant de se jeter sur son interlocuteur, lui arrachant le livre des mains qui vola au travers de la pièce. Hélas s’il était un peu plus grand et massif, il n’était pas aussi agile que son adversaire, qui bientôt le fit rouler sur le ventre, son poignet menaçant d’être rompu dans son dos. Humiliant et rageant, il le sentit se pencher vers son visage.

– Allons, cessons donc là ce jeu prince Hippolyte, je me lasse. Désirez-vous tant savoir ce que renferme ce livre ?

– Non ! Grogna-t-il, tandis que l’étreinte se resserrait autour de son poignet.

– Quelle déception ! minauda la voix. Je pensais les mortels plus curieux. Tant pis, puisqu’il faut en finir…

Mais alors que le jeune homme attendait avec une résignation toute consommée le contact glacé de la lame d’acier, l’étau se relâcha sans qu’il se rende compte de rien.

– Allez-vous rester ainsi jusqu’à la nuit ? Cela ne sied guère à votre rang, prince.

Celui-ci ouvrit ses yeux avec lenteur. Il était face au lutrin. Le livre était grand ouvert et à côté de lui se tenait une femme à la beauté sans pareille. Son visage d’un ovale parfait était d’une blancheur exquise, de ses yeux, il n’en distinguait qu’un semblable à une agate enchâssée dans de l’ambre, l’autre était dissimulé par une mèche de cheveux de la couleur de l’ébène, intruse au milieu d’une marée de feu. Lui revint alors en mémoire, le portrait aperçu ce tantôt dans sa chambre. Était-ce elle, la femme du portrait ? Mais alors, qui était donc l’homme ?

– Que… que m''est-il arrivé ? Et qui êtes-vous ? balbutia le prince.

– À la première, je répondrai de cette manière : vous êtes entré, puis vous avez hurlé comme un damné. À la seconde, je dirai que je suis l’auteure de cette œuvre inachevée, murmura son hôtesse d’une voix douce et langoureuse. Mais prenez donc place. Je manque à tous mes devoirs, je ne me suis pas encore présenté. J’espère que vous saurez me pardonner.

Subjugué par sa beauté, il ne savait que lui répondre.

– Auriez-vous donc perdu votre langue ? minauda-t-elle, comme il demeurait muet.

– Non, non ! s’arracha-t-il. Enfin, qui êtes-vous ? Et quel rapport entretenez-vous avec…

Le prince n’acheva pas sa phrase, car un éclair noir venait de traverser l’unique pupille de la jeune femme.

– Je suis sa sœur, rétorqua-t-elle d’un ton glacial et si je le pouvais, je lui arracherai le cœur de mes propres mains.

Pâle, le prince insista néanmoins :

– Mais quel crime odieux a-t-il pu commettre pour mériter pareil châtiment ?

Une larme perla au coin de son œil.

– Rien que je ne veuille vous dire, répondit-elle d’un ton cassant.

Au lieu de briser le jeune homme dans son élan, celui-ci redoubla d’ardeur et la questionna longuement jusqu’à ce qu’enfin elle cédât et se décidât à lui confier les raisons de sa peine et de sa haine.

– Une telle forfaiture mérite la mort, s’exclama-t-il. Madame, soyez assurée de ma plus parfaite loyauté et ma main accomplira ce que la vôtre ne peut réaliser.

– Hélas, vous ne pourriez m’exaucer, car si vous l’accomplissiez, vous me perdriez, prince, sanglota la charmante, en posant sa tête au creux de son épaule.

– Pourquoi ? s’écria le prince Hippolyte. Instruisez-moi… je vous en prie.

– Je ne le peux tout de suite, cependant que je lis dans vos yeux toute la fougue qui vous anime. Peut-être… peut-être réussirez-vous là où tant d’autres ont échoué.

– Confiez-vous ! Auriez-vous quelques ruses à l’esprit ? s’enhardit le prince.

– Cela se pourrait, minauda-t-elle et sans qu’il le remarque la couleur de son œil était celle du jade. Il est possible de leurrer mon frère. En revanche, la chose est fort délicate et l’entreprise périlleuse.

– De cela, j’en fais mon affaire ! Affirma-t-il. Confiez-moi et je le réaliserai.

--Soit, soupira-t-elle, comme à regret. Retrouvez-moi demain aux mêmes heures, en ce lieu même. Je vous expliquerai la chose.

Et sur ces mots, elle s’éloigna et, sans lui laisser le temps de protester, elle lui offrit un baiser plein de fougue et de passion, avant de s’éclipser.

Sitôt qu’elle fut partie, le prince s’endormit sans entendre le petit rire qui venait de s’enfuir. La nuit était calme. En revanche, ses rêves étaient peuplés de figures noires. D’elles, il ne distinguait que les yeux, tantôt le droit, tantôt le gauche, l’autre étant dissimulé par une mèche de cheveux, tantôt noir, tantôt feu. Elles flottaient autour de lui, s’éloignant les bras tendus, ou bien se rapprochaient l’effleurant presque. Il reconnut les traits de cette jeune femme qui était venue le voir dans le soir, ainsi que celui qui, il devinait, était son frère, nul autre que l’homme qui lui avait offert le gîte et le couvert. Chacun l’interpellait, le tançait, le tentait, l’effrayait, le cajolait, sans que jamais il puisse saisir la moindre bribe de leurs paroles, non plus qu’il ne puisse s’éveiller, car chaque fois qu’il faisait mine de s’en aller, c’était pour mieux être à nouveau happé. Cependant que le jour pointait, il vit sa belle se pencher sur lui et lui murmurer quelques conseils :

– Ne laissez rien paraître de notre entrevue et faites tout ce que mon frère vous ordonnera de faire, sinon vous me perdriez à jamais.

Sitôt disparue, le prince se réveilla, découvrant, au même endroit que la veille, le mystérieux plateau et son petit déjeuner somptueux, accompagné de son ineffable mot.

Ayant tiré les rideaux de sa chambre et ouverte en grand, il prit quelques instants afin de l’examiner d’un peu plus près :

Vous me pardonnerez mon absence impromptue. Néanmoins, je vous saurai gré de me rejoindre à la grande bibliothèque à l’heure d’avant le déjeuner. Je souhaiterais m’entretenir avec vous au sujet de votre venue en ces lieux.

Votre Dévoué…

Il ne distinguait qu’avec difficulté la lettre finale, hésitant entre un B et un D. Y avait-il une quelconque coïncidence à ce que le lieu mentionné fut cette pièce somptueuse ? Où était la seule qui fut assez solennelle pour le recevoir ? Enfin, le prince renonça à s’encombrer de ces Obscures pour mieux se concentrer sur l’avertissement nocturne de la princesse, à qui il avait fait promesse et montré tendresse.

Son petit déjeuner achevé, sa toilette exécutée, habillé, il quitta la chambre pour se rendre dans les jardins qui bordaient le château, jusqu’aux à-pics rocheux qui marquaient une frontière naturelle avant un gouffre peu profond mais terriblement escarpé et glissant. Comme il bénéficiait d’encore plusieurs heures de liberté avant de s’en aller trouver le maître de ses lieux, il s’enfonça dans le dédale végétal jusqu’à une clairière où paissait avec paresse une jument à la robe noire ; celle-là même qui l’avait conduit jusqu’au donjon. Mais ce matin l’animal l’ignorait superbement, concentrant son attention sur les châtaigniers dont les fruits mûrs, tombés à terre, étaient encore prisonniers de leurs bogues. Avisant alors un creux naturel dans le tronc d’un vieux chêne, le prince se glissa et s’assoupit sans même s’en rendre compte. Hélas, il fut réveillé moins d’une heure plus tard par le hennissement de l’animal.

– Mon maître n’apprécie guère que l’on arriva en retard. Tu devrais aller à la bibliothèque ou il pourrait t’en cuire, petit homme.

Surpris, le prince se précipita au travers des jardins sans même prendre le temps de la remercier, toujours occupé à ouvrir les oursins végétaux à coups de sabots. Et c’est essoufflé et tremblant, qu’il pénètre en trombe dans la pièce, déserte.

– Quel empressement ! susurra une voix.

– Y seriez-vous pour quelque chose, ma chère ?

– Vous m’offensez à me soupçonner d’un pareil forfait.

– Cela ne fait rien. Je vous prierai juste de bien vouloir vous retirer.

– Mais bien sûr. Prenez bien du plaisir mon cher frère…


Texte publié par Diogene, 10 février 2022 à 22h05
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