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volume 2, Chapitre 4 « La Forteresse de l'Homme-Miroir » volume 2, Chapitre 4

Quelques heures plus tard, les chevaux étaient scellés.

– Vous êtes prêts vous autres ! s’époumona une voix.

– Oui ! s’exclamèrent trois autres.

Et ce sont trois compagnons accompagnant un prince qui s’en furent en direction de la forteresse des Reflets. Cependant, il leur fallait auparavant traverser la forêt, rendue périlleuse par la tempête.

– Odorno ! Je ne sais pas où tu l’as pêché, mais franchement tu aurais pu la rejeter dans la rivière. Riche idée que tu as eu de nous faire passer par la forêt des Chenus. Tout cela parce que tu nous as soutenus mordicus que ce serait un raccourci. Non, mais tu as vu un peu tous ces troncs couchés ! Comment veux-tu que nous circulions avec nos montures ? s’exaspérait Vanigorne.

– Sans compter les trous d’eau remplis d’eau, ajouta Léïorno.

– Ah oui ? Et passer par la plaine et ses tourbières ! Tu crois vraiment que le chemin en eut été plus praticable ? Génie de bazar ! répliqua Odorno.

– Au moins les tourbières, on les repère, môssieur le voyant de carnaval !

– Bougre de flat…

Mais Vanigorne ne put achever sa phrase, qu’Odorno se précipitait sur lui pour mieux chuter avec lui dans une mare en bordure du chemin, éclaboussant avec générosité les spectateurs involontaires qu’étaient le prince et Léïorno.

– Ne vous en laissez pas conter Hippolyte, vous avez pu remarquer comme la moindre remarque est prétexte à la dispute entre eux, soupira ce dernier, philosophe. Cependant, Vanigorne n’avait pas tout à fait tort, car le vent avait couché sur le sol de nombreux arbres et il nous faut être attentifs où nos pas nous mènent.

– Le chemin sera-t-il encore long jusqu’à la forteresse ?

La figure tournée vers l’horizon, il scrutait la ligne de crête :

– Si ces deux clowns cessent leurs chamailleries, alors nous y serons au zénith, lança-t-il à l’adresse des deux jeunes sots qui se rapprochaient dangereusement d’une rivière boueuse.

Cependant, trop occupés à s’échanger coups de pieds et autres mains mal placées, ils ne la remarquèrent pas et s’y précipitèrent de concert.

– J’ai froid, grelottait l’un.

– Et moi je gèle, glapissait l’autre.

Derrière eux s’agitaient des affaires, recouvertes de croûtes terreuses, s’agitaient sous l’effet d’un vent peu amène, tandis qu’ils s’approchaient d’autant qu’ils le pouvaient leurs mains transies du foyer improvisé.

– Et pourquoi m’as-tu poussé dans là-dedans Odorno ?

– Je pourrai te retourner la question, Vanigorne.

Même nus, presque pétrifiés par le froid, les deux compagnons étaient toujours prêts à en découdre.

Incorrigible professait le regard navré de Léïorno à l’adresse du prince.

– Ce n’est pas grave, nous arriverons seulement quelques heures plus tard. Ensuite, nous nous séparerons et vous poursuivrez de votre côté votre quête. Vous n’aurez pas besoin de nous dans ses intérieurs.

– Merci, souffla Hippolyte.

– Ne nous remerciez que, lorsque vous y serez.

Ce dernier ne saisit pas complètement le sens de cette injonction, mais ne l’en respecta pas moins. Pendant ce temps, Vanigorne et Odorno, trop exténués par leur vaine lutte aquatique, s’invectivaient de plus bel, faute de pouvoir régler leur différend à l’aide de leurs poings, devant un feu improvisé. Ils ne repartiraient qu’une fois leurs affaires et eux-mêmes secs.

– Nous sommes presque arrivés Prince Hippolyte. La forteresse est de l’autre côté de la rivière, lança une voix suffisamment forte pour couvrir le tumulte des eaux furieuses.

– Nous vous aiderons à traverser le point. Ensuite, nos chemins se sépareront, ajoutèrent ses deux autres compagnons.

Hippolyte acquiesça et les suivit jusqu’à la traverse de pierre, de laquelle pendaient encore quelques plaques de métal dévorées par la lèpre écarlate, souvenirs d’une splendeur enfouie. Avec prudence, ils s’engagèrent pour ne s’arrêter qu’à la frontière entre la pierre et la terre.

– Nous n’irons pas plus loin, prince. C’est ici que divergent nos destins, à la croisée des chemins.

Ce dernier tiqua, tant ces propos étaient semblables à ceux des oracles. Mais les visages de ses compagnons demeuraient impassibles. Tout était dit. Alors le jeune homme descendit de sa monture et, après un salut d’adieu, il franchit les dernières pierres qui le séparaient du domaine de la forteresse des Reflets. Il n’avait pas fait plus de quelques pas, qu’il remarqua dans le lointain une silhouette dissimulée dans l’ombre de la ramure d’un grand chêne. S’approchant, il découvrit une jument semblable à celle qu’il avait vue dans son cauchemar ; un animal à la robe noire, dont les yeux étaient de la couleur des océans, et sa crinière était perle. Scellée, elle l’attendait, car, lorsqu’elle l’aperçut, elle hennit bruyamment. Hésitant, il n’osait s’en approcher, s’interrogeant sur la nature de la magie qui animait ces lieux et la présence de cet animal tout droit sorti de l’un de ses songes.

Derrière elle, se dressaient les ruines d’un château qui avait été, en son temps, une splendeur.

– Ignore ma présence et tu erreras jusqu’à la fin des temps. Accepte ma présence et je te conduirai jusqu’à celui que tu cherches, murmura une voix, qu’il reconnut pour être celle de la jument noire.

– L’homme-miroir ? bredouilla le prince.

– L’homme-sans-visage, compléta l’animal.

Homme-miroir, homme-sans-visage, homme aux yeux-miroirs, leurs visages tournoyaient dans sa tête, incapable de se décider.

En effet, le prince hésitait toujours. Il pouvait de nouveau franchir le pont et s’en retourner dans son royaume, le cœur à jamais dévoré par la peur d’avoir un jour à trancher la tête de son père. Il avait aussi le choix de refuser son aide et explorer par lui-même, quitte à s’y perdre, ces ruines éternelles, ou encore accepter qu’elle le guide dans ce labyrinthe en ruine.

– Que décides-tu petit homme ? Je suis patiente. Hélas, le temps nous manque.

Ne sachant s’il regretterait ou non un jour son geste, il mit un pied à l’étriller et grimpa sur le dos de la jument.

– Ainsi, donc, tu as pris ta décision. Qu’il en soit ainsi… hennit l’animal en se cabrant, au risque de renverser son cavalier, dont les mains s’accrochaient désespérément au pommeau de la seille.

Et, c’est sans porter attention aux protestations du prince, que la jument s’élança en direction de ce qui, quelques instants plus tôt, était encore un château en ruine. Ce dernier hurla lorsqu’il comprit que ce qui se dressait devant eux n’était rien d’autre qu’un vaste miroir. Il voulut ralentir sa monture et la détourner de sa course folle… en vain, car la jument plongea dans la surface glacée qui vola en éclats. Le vent sifflait, hurlait aux oreilles que jeune homme, puis ce fut le silence. Rassuré, le prince ouvrit enfin les yeux et découvrit une prairie luxuriante. Étonné, il se retourna et découvrit le pont mirage, dont les flancs recouverts de métal brillant reflétaient les eaux vives du fleuve qui coulait en contrebas.

– Où… où sommes-nous ? bafouilla Hippolyte à l’adresse de sa monture.

– Là où vit celui qui tu es venu chercher, énonça l’animal.

Ce dernier fronça les sourcils, mais ne put ajouter quoi que ce soit, car la jument trottait déjà en direction du monumental château, dont les tours tutoyaient le ciel. Passé les lourdes portes en bronze, ils débouchèrent sur une cour aussi déserte que silencieuse. Pourtant, il avait la terrible sensation d’être épié et au détour d’un revers de tête, il crut surprendre une présence à l’une des fenêtres.

– Descends donc petit homme. Mon maître s’en viendra bientôt te chercher et il répondra à tes questions.

– Merci, murmura le prince en se glissant à bas de sa monture, dont il flatta l’encolure.

Celle-ci s’éloigna ensuite, tourna à l’un des angles et disparut, laissant seul le jeune homme face au silence. Sans doute se rendait-elle aux écuries. Poussé par sa curiosité, Hippolyte se dirigea vers le coin où la jument avait disparu, mais y renonça bien vite, car des bruits de pas descendant résonnaient dans la tour toute proche.

– Bonsoir Prince, crachota une voix éraillée. La prononciation des r était si étrange, qu’un instant il se demanda si ce dernier ne mâchait pas du fer en même temps qu’il lui parlait. De l’homme qui ainsi l’interpellait, il n’en distinguait que la silhouette découpée dans l’embrasure de la porte ; son visage, lui, était plongée dans l’ombre d’une capuche rabattue

– Rares sont les visiteurs à venir s’égarer en ces contrées, il faut faire preuve d’une bien grande témérité pour oser s’y aventurer. Alors, que désirez-vous jeune prince ? Je doute que vous soyez venu dans le seul but d’assouvir une envie d’aventure, le questionna l’homme en robe de bure.

Désireux d’affirmer son autorité et par là même de braver sa peur, il proclama d’une voix forte :

– Je m’en suis venu en ces lieux afin de retrouver celui que l’on nomme l’homme-miroir.

– L’homme-sans-visage, compléta la silhouette. C’est moi, jeune impétueux. Que me veux-tu ?

Peu rassuré, Hippolyte ne s’en démonta pas moins :

– L’on m’a dit que vous sauriez me guider jusqu’à l’homme aux yeux-miroirs. Une prophétie révélée avant ma naissance me lie à lui et je souhaite faire en sorte qu’elle ne s’accomplisse point.

Un voile d’ombre, à moins que ce ne soit une illusion ou une hallucination, passa sur le visage de son interlocuteur, bien qu’il demeure dans l’obscur. Quand soudain, il détourna la tête en direction d’une des fenêtres de la tour d’ivoire qu’il apercevait derrière le donjon. À son tour, le jeune homme scruta le lieu, mais ne décela rien.

– Ainsi, donc, vous désirez rencontrer cette personne, prince.

– En effet, acquiesça ce dernier. Pouvez-vous m’aidez dans l’accomplissement de ma quête ?

– Je le puis, c’est là une chose en mon pouvoir. Néanmoins, je ne serai qu’en mesure de vous guider et de vous dire où vous rendre, rien de plus. Enfin, entrez donc. Vous êtes très certainement exténué et je manquerai à tous mes devoirs en ne vous offrant pas l’hospitalité. Le château est vaste. Vous pourrez y prendre quelque repos. Demain, je vous expliquerai comment cheminer jusqu’en son domaine.

Le prince le remercia et le suivit dans la pénombre du donjon, dont la porte se referma sur eux avec fracas.

– Ce n’est rien, juste un courant d’air, énonça son hôte avec indifférence.

Cependant, rien dans cette énonciation n’était de nature à le rassurer ou à le mettre à l’aise et c’était de mauvaise grâce qu’il suivait l’homme dans les interminables couloirs, d’un lieu qui avait tout d’un labyrinthe d’ombre.


Texte publié par Diogene, 8 février 2022 à 20h45
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