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volume 1, Chapitre 17 « L'Enfant et le Pêcheur » volume 1, Chapitre 17

Tous les jours, il passait devant la fenêtre ; tous les jours il voyait la silhouette, voûtée, penchée sur son assiette, une cuillère à la main. Assis sur le rebord du mur, couvert de mousses et de lichens, il regardait, il regardait les lents mouvements de la silhouette ; la cuillère plongeant dans une assiette qu’il imaginait emplie de bouillon de poulet ou de gruau. Quand elle avait fini, elle se levait et lui aussi, sans pour autant quitter des yeux l’ombre à la fenêtre. Lorsqu’il arrivait au coin de la rue, il se retournait et jetait un dernier coup d’œil en arrière ; le cœur empli de tristesse. Homme ou femme, jamais il ne devinait ; il ne pouvait entrevoir, derrière les voiles crêpes, seulement les contours taillés au cordeau de la sombre silhouette. Alors tous les jours il venait et s’asseyait dans le but de percer son secret. Dans le quartier, beaucoup de bruits se murmuraient à son sujet, certains disaient que c’était une sorcière et qu’elle parlementait avec les ténèbres, d’autres, au contraire, soutenaient que c’était un magistère et qu’il parlait le langage de la lumière. Cependant, tous se signaient ou étreignaient un colifichet quand il passait sous ses fenêtres. Lui, il s’en amusait ; il riait même lorsqu’il surprenait l’un de ces grands gaillards, bavards et fort en gueule, se rapetisser, au point de ne plus exister, lorsque leur chemin croisait celui de la maisonnée. Alors, ils le regardaient et s’enfuyaient, pensant qu’il avait lui aussi, certainement, le diable au corps, et lui riait de plus belle, et son rire s’élevait dans le ciel. Toutefois les moments qu’il préférait, c’était quand le ciel se voilait, quand le soleil s’éclipsait et que les bleus du soir envahissaient la mer céleste. En ces moments, plutôt que de s’asseoir sur les rebords du mur moussu, il courait se dissimuler dans la ramure du vieux pommier qui surplombait la rue. Ainsi alors qu’il eut dû rentrer chez lui réconforter ses parents se morfondant d’inquiétude, il contemplait le sommet de la maisonnée et ses formidables cheminées d’où s’élevaient des nuées de fumée. Plein d’imagination, il croyait deviner la silhouette d’un djinn dont les bras immenses formeraient les colonnes et dont la voix tonitruante ressemblerait au tonnerre lointain. Au contraire, le matin, quand la brume épaisse s’échappait des étangs avoisinants, étouffant la ville et les gens, il s’allongeait alors sur l’un des bancs et regardait le défilé qui en émergeaient, avant de se diriger vers la maison étrange. Ce matin, c’était une sorcière mal aimée qui s’en allait cheminer tandis que lui prenait le sentier des écoliers. Mais un jour qu’il s’en revenait du chemin des cerbères, il aperçut une ombre quitter le pavillon. Suspendu à son bras droit, un panier en osier, dans sa main gauche il tenait une longue canne de bambou. Intrigué, piqué de curiosité, il se détourna de sa route et se mit en tête de la suivre où qu’elle le menât. La nuit installait ses quartiers et que les étoiles dansaient le sabbat, mais il ne s’en souciait pas. Soudain, ils s’enfoncèrent dans une forêt. Aucunement surpris, il poursuivit sa traque, alors même qu’il savait qu’en cet endroit ce n’était qu’un vague terrain en friche, où se réfugiaient parfois des amants impertinents. Voûtée, courbée, penchée sur le sentier, elle marchait néanmoins d’un pas sûr et alerte, sachant exactement où il lui fallait poser les pieds pour éviter racines et flaques saumâtres. En fait, elle ne s’arrêta qu’arriver en bordure d’un lac, au dessus duquel flottait un brouillard aux éclats d’argent. Dissimulé dans les fourrés, il avait entouré ses chaussures et ses habits de mousse et de verdure pour passer inaperçu. Ainsi vêtu, il s’assit sur une vieille souche. De l’autre côté, la silhouette avait rejeté sa pelisse ombragée et révélait un corps usé et ridé, mais encore plein de vitalité. D’une main adroite, il avait tendu un long fil presque invisible le long de sa canne auquel il avait suspendu un crochet, puis l’avait jeté. Du regard, il en avait seulement surpris la lueur en l’instant où il frappait la surface mouvante faisant voler en éclat la brume minérale. Dans le ciel, la lune le fixait cependant qu’en jaillissait un escalier façonné de rêves et de ténèbres. Marchant sur les degrés, une autre silhouette les parcourait. Chaque fois que ses pieds les touchaient, une note résonnait dans la forêt et ébranlait ses habitants. Mais l’enfant s’en moquait et, tout au contraire, en appréciait la tonalité. Les yeux fermés, il voyait la singulière créature descendre les marches, nimbée dans une aura d’ombres, drapée dans une cape tissée dans les songes, où se reflétaient les visions des dormeurs. De l’autre côté du buisson, le vieil homme jetait toujours sa ligne, brisant chaque fois un peu plus l’étrange prison de brume.

— Bientôt, bientôt, murmurait-il cependant qu’il réarmait sa ligne et la rejetait plus loin encore, arrachant des lambeaux toujours plus nombreux au brouillard obscur.

— Je sais, lui répondait alors une femme sans âge dont les yeux étaient tournés vers le ciel, là d’où descendait la créature céleste.


Texte publié par Diogene, 20 avril 2021 à 18h50
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