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volume 1, Chapitre 13 « Assassine Esperluette » volume 1, Chapitre 13

Sale affaire ! Pour sûr, c’en était une, de sale affaire ! La plus moche en fait. Et bien sûr ! À qui avait-on refilé le bébé ? À lui !

— Ben voyons ! se morigénait-il.

Comme s’il n’y avait pas des types plus compétents que lui dans le service. Quoique… À bien y réfléchir, la réponse était, sans doute, non. Son voisin de gauche, Eude-Marie de Montcassis devait sa place, non pas à son bagout ni même à son entregent ; son portefeuille… même le plus pauvre des Job aurait eu un compte mieux garni que le sien. Non ! Il avait seulement le bon goût de porter un nom à particule, heureusement, pas élémentaire la particule, et comme il y avait des quotas à respecter. En face, cela ne valait guère mieux ; chaque fois qu’il le croisait, il ignorait à quel obscur gourou ou prophète il s’adresserait. Si au moins, il s’eut s’agit de philosophes, il aurait tenté un brin de causette au coin d’un zinc. Mais non ! Il avait fallu que fût recruté ce qui se fait de pire en la matière : un réincarnat. Sûrement obtenait-il un taux d’aveux spontanés exceptionnel ? En même temps, pas sûr que le gus interrogé fut follement rassuré quand l’autre en face, vous menace de toutes les malédictions de la création, l’un des Livres à la main ; la dernière fois, le blase avait été menacé du châtiment de la roue, de l’estrapade et autres joyeusetés du même acabi, par la suite on avait découvert qu’il avait été en présence de Torquemala. Quant au blair du bureau de droite… Oh, il n’éprouvait rien de particulier à l’égard des morphos. En général, ces gens-là sont assez stables, il ne change ni de constitution de sexe ou de tête tous les mois, pour certain à se compte même en dizaines d’années. Avec lui, c’était le cirque permanent. Il était capable d’accomplir deux ou trois transformations le temps d’une conversation. Ajouté à cela un indécrottable Don Juan qui courrait aussi bien les collègues que les plaignantes, ou les plaignants, les suspects par-dessus le marché… Las, il se passa un long moment les mains sur la figure. Et lui ? Lui, il était quoi ? En fait, personne n’avait jamais osé le lui dire, mais il savait très bien. Le problème c’est que les gens voyaient que ce que leur foutu inconscient voulait bien leur laissé entrevoir et quand il se regardait dans un miroir, il n’y avait rien que de très ordinaire : le bureau ou une pièce quelconque et lui en face de son reflet. Alors, pourquoi le lui avoir refilé ? D’autant que ce dossier puait à des lieux à la ronde et pas que le soufre. Debout face au cadavre, il se remémorait les quelques heures précédentes.

Dans son bureau, le nez au milieu de dossiers poussiéreux, il réfléchissait tout haut lorsque la porte s’ouvrit en grand, pour laisser le passage à un être que, n’importe qui de normalement constitué et cérébré, qualifierait de monstruosité.

— Firmin Ivanovich Descouloropoulos ! Dans mon bureau ! Tout de suite ! Avait hurlé la chose grotesque, avant de claquer la porte derrière lui, faisant s’écrouler au passage la moitié d’une bibliothèque, ainsi que le lustre fraîchement installé ; il y avait des jours comme çà.

Las, il contempla quelques instants le désastre puis, suspicieux, il s’avança vers la porte, la main en direction du bouton qu’il n’osait saisir. Avec luxe de précaution, il l’effleura puis le tourna ; la poignée lui était restée dans la main.

— Et merde… soupira-t-il.

L’autre morceau était à coup de l’autre côté et personne ne s’empresserait de le ramasser. Heureusement, il possédait toujours un jeu de secours. Dehors, la ruche était silencieuse et cela n’augurait rien de bon. Une grande inspiration plus tard, il traversait aussi vite que possible l’abîme qui le séparait de l’office du commissaire Größmoll, chimère de son état.

— Je suis là, chef ! balança-t-il alors qu’il se trouvait à une distance encore honorable du dédit bureau.

— Entrez ! Et que ça saute ! aboya une voix de derrière ; au moins la porte n’avait-elle pas volé en éclat cette fois. Et n’oubliez pas de vous essuyer les pieds !

— Oui, chef, grommela-t-il.

À l’intérieur, assis derrière un interminable bureau en bois d’abajou, une paire d’yeux jaunes et globuleux le fixait.

— Descouloropoulos, savez-vous pourquoi je vous ai convoqué ?

Silencieux, il fixait son chef d’un air idiot, toujours avoir l’air idiot en sa présence, une question de survie.

— non, bien sûr ! ricana-t-il. Sinon, vous seriez déjà en route pour le palais du Bélysée, en ce moment même !

Les yeux étrécis, il esquissa un sourire mauvais.

— Descouloropoulos, on a exigé de moi la plus haute discrétion sur cette affaire. Bien que la lumière ne soit pas la première de vos qualités…

— Vous avez ajouté quelque chose, Descouloropoulos ? s’interrompit-il, soudain.

— Non, chef ! Je vous écoute, chef !

— Bien, bien…

Circonspect, il respira bruyamment.

— Donc Descouloropoulos… Vous allez vous rendre au palais du Bélysée ; une voiture ultra-banalisée vous attend en bas et j’ai déjà envoyé une équipe sur place pour confiner les lieux.

Toujours muet, il attendait une suite qui ne venait pas.

— Descouloropoulos ?

Il détestait quand il adoptait ce ton doucereux.

— Qu’est-ce que vous foutez encore là ! Dehors ! avait-il hurlé ; si fort que son souffle le projeta jusque dans le couloir. Heureusement, il n’avait pas oublié de laisser la porte entrebâillée. LA dernière fois, il en avait été de sa poche pour les réparations.

Et maintenant, il était là ; là avec un putain de cadavre à la langue bleue et bien pendue ; une galette entamée posée sur un guéridon. Un cadavre, et quel cadavre, un de la plus belle eau, le cadavre du président directeur général de la Républicature Francanaise. C’était son sous-secrétaire de cabinet qui, inquiet de son silence, avait donné l’alarme. Bref, le prez avait cassé sa pipe dans son bureau, pas sans rappeler un certain Félix aux bras d’une charmante, cadenassé il va de soi, après qu’il eut dégusté une part de galette des rois, préparée par les services du palais.

— Combien de temps pour analyser le contenu du gâteau ? balança-t-il, un brin agacé.

Le tech, un troll des tavernes, avec un nez encore plus crevassé que la chaîne des Alpiges, leva deux doigts crochus.

— Heures ?

L’autre secoua la tête.

— Bours ! articula-t-il avec peine ; ses crocs prééminents l’empêchaient de s’exprimer.

Las, Descouloropoulos se passa encore une fois les mains sur la figure ; cuisiner tout le personnel lui demanderait au moins autant de temps, sinon plus. D’accord le chef lui avait, encore une fois, rappelé qu’il n’avait pas le crâne assez fêlé pour laisser passer la lumière. Mais il avait une excellente mémoire et il en était fier. Avisant un jeunot penché sur son ordiphone, il s’approcha de lui :

— Dis donc, gamin ! On peut voir de vieilles choses avec ton engin ?

Surpris, il leva les yeux ver l’abomination qui s’adressait ainsi à lui.

— Ok, ok, t’as jamais vu de psycho. Maintenant tu m’as vu, alors réponds ! J’ai pas encore mangé ta langue que je sache.

Le jeune tech secoua la tête.

— Bon sang ! Ces jeunes, on leur apprend quoi, songea-t-il, s’efforçant de lui apparaître le plus agréable possible.

— Bouh ! lui lança-t-il soudain. Tu me réponds, dis.

— Euh, oui m’sieur. On peut… on peut regarder de vieilles choses.

Un sourire franc illumina sa figure, puis il lui glissa quelques mots à l’oreille. L’autre acquiesça et pianota un moment sur son écran, avant de le lui tendre.

— Dites, toubis ! Vous auriez pas un genre de longue-vue qu’on pourrait lui introduire dans son gosier, à l’autre rafraîchi. ?

Étonné, il regarda un instant Descouloropoulos, puis se reprit :

— Oh si ! Nous avons un endoscope. Mais nous avons déjà exploré sa gorge et nous n’avons rien vu de suspect.

— C’est parce que vous n’êtes pas descendu assez profond. Explorez donc son arc bronchique gauche, je ne serai pas surpris que vous découvriez l’arme du crime.

Qvuelques minutes plus tard, il tenait au creux de sa paume une fève de la taille d’une noix ; une esperluette couverte de mucus et de frangipane.

— Mais… comment avez-vous deviné, inspecteur ? s’ébaubit le légiste.

— Facile ! Je me souvenais qu’il avait un mantra, un truc de dingue, et son vieux discours de sa première investiture me l’a confirmé, il ne pouvait s’empêcher de faire les choses en même temps. Donc, quand il trouvé la fève, il s’est réjoui. Il a alors pris une grande inspiration pendant qu’il avalait sa bouchée. Puis bon, à force d’éructer comme il savait si bien, son gosier s’est élargi. Bref, trop enthousiaste, la fève est passée dans sa trachée pour se retrouver bloquée dans sa bronche et c’est ainsi qu’il s’est étouffé.

— Bah ! balança le médecin. Il est mort comme il a vécu en inconscient bienheureux.

En son for intérieur, Descouloropoulos n’en pensait pas moins ; au moins sa mort lui offrirait-elle la postérité pour s’être étouffé en devenant roi ; lui qui en avait toujours rêvé.


Texte publié par Diogene, 17 avril 2021 à 20h32
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