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volume 1, Chapitre 9 « Le Cadavre Clandestin » volume 1, Chapitre 9

Parfois, je m’interroge. Croyez pas qu’ça m’arrive tous les jours.

Grands dieux ! Non !

Une fois par semaine est déjà bien assez, surtout quand on a la cervelle aussi dure que la mienne. Paraît que je l’ai de plomb selon certains.

Bah ! Allez donc savoir.

Tout ce que je constate, c’est qu’après toute réflexion un poil trop intense. Ben, je me paye un de ces putains de mal de crâne. Vous savez du genre lames de rasoir qui dansent sous la caboche, ou concert de death metal symphonic, version singe hurleur.

Non vraiment, j’crois pas que quiconque puisse s’imaginer l’effort requis. Toutes ces impulsions nerveuses qui vous fourmillent dans le crâne, comme autant de décharges électriques, qui naviguent de cellule en cellule, pour aboutir à quoi.

Je vous le donne en mille, une idée, une pensée, une fulgurance.

Ah ! la fulgurance… Rien que le nom me donne le tournis, pour ne pas dire plus. Ça me passe au-dessus de la tête. Y a pas dire. À peine prononcée que le mot est déjà parti.

Et les autres, hein !

Pensée, idée ? Non ! Non ! Tout cela est bien trop hâtif. Prescriptif, même !

Tss ! Moi je fais dans le con, dans le con temple hâtif. Rêverie, bavasserie. Vous savez ce genre de choses dont se tartinent certains gonzes, adeptes de la synthèse transcendantale.

Ouhla ! Doucement ! Me d’mandez pas ce que c’est que ce truc, sorti de dessous un coin de table. Rien qu’en effleurant la définition dans une encyclopédie, mes oreilles fuitent d’odeurs de caramel.

Non ! en fait, ce qui me botte le plus, c’est le reploiement. Ah, je vous en bouche un coin, hein ! Allez ! Avouez-le ! Vous vous attendez pas à ce qu’un balourd dans mon genre, vous en colle une comme ça. Que je vous sorte un mot que vous entendez sûrement pour la première fois. J’ai sans doute le cuir épais, la cervelle aussi brute qu’un mur en béton à peine sec, la comprenette certainement plus lente qu’un blob asthmatique. Toutefois, il faut se méfier de l’eau qui dort et çà, mon chef, le sait.

Trop bien même… Sinon, pourquoi y me file toujours les affaires dont personne ne veut. Celles qui sont insolubles, celles qui traînent au fond des armoires, qui sentent la naphtaline ou le moisi, pour d’autres le désodorisant pour chiottes.

Remarquez ! j’m’en fous bien. Plus personne n’a envie de se prendre le chou avec des zigues qui dorment six pieds sous terre depuis des années.

Moi ? Qu’est-ce que ça peut me faire ?

J’ai tout mon temps, moi ! Le chef meurt dans trente ans, que je suis toujours là pour faire le clown. D’ailleurs, on me surnomme Auguste. Allez donc savoir pour quoi.

Mon teint blafard ? Ma touffe verte et mal peignée ? Les coffres-forts qui entourent mes yeux ? Mes lèvres bouchères ?

En fait, j’sais pas et j’m'en moque pas mal. Les clients ne viennent jamais se plaindre à ma connaissance. OK, leur extrait de naissance dans le gosier, ils ont du mal à s’exprimer clairement.

Répétez, monsieur ! Cessez donc de mâchonner et articulez, monsieur !

Vous voyez un peu le tableau, la langue bleue qui pend, un petit filet de bave qui coule sur la joue, les sphincters qui jouent la fille de l’air pour quelques-uns. Non vraiment, ils ne sont pas à plaindre. Celui qui doit l’être ! C’est moi !

Certes, certes, beaucoup traînent leurs guêtres depuis un paquet de temps, je me répète. Mais, mais. Il y a des exceptions. Ça arrive parfois. Une fois tous les dix, quinze ans. Ouais, çà fait loin pour vous, mortel. Moi ? C’est un clignement de paupières et ça, je suis pas sûr que le chef le sache.

Mais bon, entre vous et moi.

Ben quoi ?

Ben oui ! Vous et moi ! Moi ! Auguste narrateur à la première personne du singulier, employant par obligation contractuelle le temps présent, mode impératif, indicatif et subjonctif ; le participe présent à l’occasion, quand elle se présente. Et vous ? Ben vous ! Lecteur présentiel, peut-être providentiel, voire provisoire. Allez donc savoir ! Oh ! Et puis chacun ses croyances. J’ai les miennes, vous les vôtres.

Bref, de vous à moi.

Ça m’embête un peu que le chef y sache pas pour moi. Vous savez. J’vous surprendrai peut-être. Mais, j’suis un gars honnête, faut pas croire. Bourru ? OK. Brut de décoffrage ? Ouais. Soupe au lait ? Est-ce que j’ai une tête à encore téter les seins de ma mère. D’ailleurs, j’me demande bien. Enfin, le problème est pas là.

Le souci, c’est que le chef, faut pas le dire trop haut, sinon il vous souffle un de ces trucs dans les bronches. La dernière fois, l’autre syncope ! Hop ! Direct ! Trop de gaz dans les poumons. Tout vert qu’il est maintenant, avec des tuyaux bien enfoncés dans les naseaux. Ça lui donne un air. J’vous dis que ça.

Le mec à la base, c’est une armoire à glace. Normal, vous allez me dire, c’est un minotaure. Vrai ! Mais, maintenant qu’il a ses des machins dans les trous de nez, à la place de son anneau – un truc en platine plaqué or – ben, vous vous voulez mon avis, son charisme en prend un sacré coup. Y a plus que les vielles laitières de réforme, avec leurs mamelles pendantes, pour se retourner sur son passage.

Mais pardon, je m’égare. J’vous le dis, j’suis lent à la détente, mais après j’suis une flèche. J’vous jure. Tenez ! J’vais vous en raconter une bonne. Faut dire, que le temps et moi çà fait deux. Et l’chef, il aime quand ça roule tout seul.

Ce qui compte, mon cher Auguste, c’est le résultat. Peu me chaud le temps que tu prends, les moyens que tu y mets. De toute façon ton client, il l’a, le temps. Et puis, tu sais pour les frais, c’est la maison qui paye.

En tout cas, ce steak, pour l’avoir, il l’a. Un os, juste là. Attendez ! Je vous montre ! Bougez pas ! Plus ouverte, la bouche ! Voilà ! Allez, encore un effort. Parfait. Hé, ben, il est là l’os ! Pile poil entre l’os hyoïde et le larynx.

Tout de même, quel con ! Quelle idée de bâfrer quand on vous offre un si remarquable dîner : caviar, champagne, foie gras, ris de veau et j’en passe. Quel gâchis ! Dommage, il est rigolo avec sa trogne de pédalo-rétro, ses bouclettes grises qui lui tombent jusqu’aux épaules et ce foulard autour du cou.

Comment s’est déjà son nom ?

Ah oui. Pierre-Jean. Attention à bien exagérer le Pi. Au moins, le temps de la première centaine de décimales, avant d’entamer un « aire » de toute grâce.

Donc Piiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiieeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeere Jean. Encore une fois, prenez garde au son en, il doit venir de loin et se poursuivre, au moins, tout aussi longtemps.

Répétez après moi !

Piiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiieeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeere Jeaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaan Charançon.

Entre nous, drôle de nom pour un cloporte.

Enfin quelle idée ! En plus, le chef me donne des consignes strictes à son sujet : pas de vagues ! De la discrétion, mon cher Auguste !

Bien sûr, je faillis demander pourquoi, avant de me raviser, grillant au passage un bon paquet de neurones, et de me taire. Il a pas tort, parce que, moi aussi, j’ai les yeux qui traînent. Et pas de bol pour eux, mais les collègues, vous foutez quoi dans l’arrière-cuisine. Le temps de leur tirer les oreilles et de leur faire rentrer les verres dans le nez, je les relâche. C’est pas mon boulot de leur passer la savonnette, surtout par-derrière.

En attendant, y a pas à dire c’est un beau cadavre que j’ai sous le nez, d’autant que le coupable est des plus délicieux, un magnifique canard gros et gras, à la chair luisante.

Oui, madame !

Ça c’est un beau cadavre, pardon, canard.


Texte publié par Diogene, 11 avril 2021 à 15h50
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