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volume 1, Chapitre 7 « Le Mort-Temps » volume 1, Chapitre 7

— C’est étrange… Je croirais avoir déjà croisé votre visage. Je ne suis guère physionomiste. Pourtant…

Dans la galerie, ils ne sont que trois. Tout d’abord, une femme, dont la silhouette prisonnière d’une robe fuselée semble vouloir s’arracher aux ténèbres. Ensuite, lui, indifférent, il contemple les œuvres d’un œil fin de connaisseur. Enfin, un gardien, assis sur une vieille chaise, il observe la scène comme si de rien n’était.

— Plaît-il ? s’enquiert l’homme élégant.

Son ton est empreint de surprise, son regard glisse vers la dame qui s’adresse ainsi à sa personne.

Grande sans l’être, elle porte aux pieds des escarpins aux talons démesurés. D’âge mûr, elle porte un maquillage léger, que rehaussent de minuscules ridules au coin de ses yeux. Ses bras, presque potelés, néanmoins admirablement dessiné, s’achèvent par des mains fines, gantées de soie noire. Gênée, elle tente de se dérober.

— Il est vrai que nous n’avons pas l’honneur de vous connaître. Toutefois, permettez-moi de vous confier, murmure-t-il d’un ton embarrassé, avant de se reprendre.

— Oserai-je l’avouer ! Je me sens flatté par votre propos.

Confuse, elle marque une hésitation. L’homme, tout en élégance, malgré un costume qui aurait eu toute sa place dans un temps plus ancien, ne détourne pas le regard. Dans le fond de la salle, le gardien dort les yeux ouverts. Confuse, elle glisse machinalement une main vers son annulaire, avant de se souvenir qu’elle ne la porte plus depuis des années.

— Vous aurai-je offensé, madame ? Si tel est le cas, alors je vous prie d’accepter mes excuses, se confond-il..

Sa voix est grave, comme chantante.

— Oh ! s’exclame-t-elle, comme elle s’efforce de s’arracher au magnétisme de cet homme, dont les prunelles glissent sur elle telle une caresse. Non ! Surtout pas, monsieur ! Seulement…

Les mots perdent de leur substance, se délitent, se brisent au contact de cet être au regard si étrange, aux allures d’ange. Les yeux dissimulés par d’épais verres fumés, il semble la désirer, la transpercer.

— Oui ?

Ses lèvres fines se sont soudain étirées en un mince et énigmatique sourire. Mal à l’aise, son interlocutrice paraît incapable de formuler la moindre réponse, trop fascinée par le visage qu’elle découvre de seconde en seconde.

— Vous troublé-je, ma chère ? susurre-t-il.

Elle ne s’est rendu compte de rien, pas même de la main passée autour de sa taille. À présent, ses lorgnons ont glissé le long de son arête nasale et dévoilent des prunelles couleur gris ciel, ourlé d’un liséré vert. Elle faillit pousser un cri, cependant qu’un doigt posé sur ses lèvres purpurines l’en empêche.

— Voilà qui ne serait point sage de votre part, madame, lui glisse-t-il, au creux de l’oreille.

De sa gorge s’échappe un vague râle, tandis qu’il lui semble qu’elle perde connaissance. Ses bras deviennent lourds, ses jambes de coton, un bourdonnement sourd résonne dans ses oreilles, cependant que des taches colorées dansent devant ses yeux. Un instant, l’air paraît lui manquer et tout devient noir ; la dernière image qu’elle emporte est un visage, un portrait esquissé.

— Mes plus humbles excuses, madame. Je crains de ne vous avoir plongé dans le plus grand embarras.

Ses yeux papillonnent un instant, comme surpris au détour d’un rêve, puis se posent sur ceux de l’étranger.

— Dans l’embarras ?

Les mots s’échappent et ses pensées se dispersent, hypnotisé par la ressemblance presque parfaite.

— Oh ! s’étouffe-t-elle, rouge de confusion. C’est que… euh…

Mais elle n’achève pas sa phrase, les mots lui échappent. Elle les devine, mais ils sont lisses. Elle en aperçoit les contours, ils s’effritent. Elle soupire, l’homme sourit, presque attendri.

— Je disais, madame, vous flattez notre personne. Nous ne nous sommes jamais rencontrés auparavant. Vous n’aurez seulement pu nous confondre qu’avec l’un des chefs-d’œuvres, exposés en ces lieux. Comprenez que notre orgueil et notre ego souffrent d’une semblable comparaison. Notre personne en est bien indigne.

Penché sur elle, il a ôté son chapeau, un haut-de-forme bleu nuit. Ses lèvres effleurent presque sa main, qu’elle n’ose retirer de peur de briser le charme qui s’est installé.

— Je dois être folle, murmure-t-elle, comme pour elle-même, tandis qu’il se redresse, paon en majesté. Pourtant…

Nerveuse, elle se mord les lèvres presque jusqu’au sang. L’homme la contemple à la manière d’un entomologiste… ou d’un peintre.

— Pourtant… je jurerai avoir reconnu votre portrait… Une toile… poursuit-elle, éperdue, la main toujours dans les airs.

Dans le fond de la salle, le gardien a les yeux grands ouverts. Derrière lui, le soleil s’étire et colore d’une violente lueur orangée le firmament. Éblouie, elle cligne des paupières ; l’étranger a disparu.

Dans la pièce, ne demeure que le gardien au regard halluciné et quelques visiteurs, l’oreille collée à leur boîtier. Sur les murs, des hommes des femmes, des enfants, des animaux, inanimés désarticulés, stupéfiés statufiés ; figures pigmentées, figées dans une toile d’éternité. Dans les airs, flottent les fragrances d’un parfum d’élégance, jasmin et rose de printemps.

— Quelque chose ne va pas, madame ? s’enquiert quelqu’un. Vous êtes toute pâle.

Un couple s’est approché ; deux femmes qui se tiennent par la main. Diaphanes, elles semblent se confondre avec les œuvres. Soucieuse, elle tend une main vers ses lèvres, comme pour se rassurer de sa propre réalité. En face d’elle, les deux femmes l’observent toujours. L’une a les yeux verts, l’autre de la couleur des ténèbres.

Et lui ? Quel était la couleur de ses yeux ?

Elle s’interroge.

Pourquoi deux seulement ? Pas trois ?

Elle secoue la tête ; les deux femmes lui font toujours face.

— Oh ! Ce n’est rien ! Seulement un léger étourdissement, affirme-t-elle.

Son ton se veut ferme, mais le souffle lui manque et la fin de sa phrase meurt entre ses lèvres. Cependant, ses interlocutrices semblent s’en satisfaire, car elles acquiescent, puis s’éloignent, main dans la main.

Mais où l’a-t-elle déjà vu ?

Son regard erre dans la salle, entre ses doigts un objet glisse. De peu, elle le retient.

— Flûte ! jure-t-elle entre ses dents, comme elle découvre l’audiophone.

Pensive, son pouce s’égare sur la surface lisse. Sur le minuscule écran, les options défilent, inutiles, inintéressantes. L’espace d’un instant, en sa présence, le temps avait perdu de sa substance. Du moins, est-ce l’impression qu’elle avait eu.

— Mesdames, messieurs ! Nous vous rappelons que le musée fermera ses portes dans un quart d’heure. Veuillez vous diriger vers la sortie, s’il vous plaît.

Surprise, elle consulte sa montre. L’écran à cristaux liquides affiche quelques chiffres : un, huit ; quatre, trois.

— Étrange murmure-t-elle pour elle-même. Je jurerai être entrée, il y a à peine deux heures.

Dans le ciel, un croissant de lune aveugle couve la ville de son œil absent. Dans les couloirs, mêlée à la foule, elle fouille du regard les salles désormais vides. Dehors, une pluie drue la surprend et alors que toutes et tous ouvrent leur parapluie ou rabattent leur capuche, elle demeure seule sous l’arche. Devant elle, les plus courageux s’élancent. Ils courent, leurs pieds volent au-dessus des flaques et les machines de métal hurlent de désespoir, quand ils traversent l’espace. Sous l’arche, elle hésite ; elle désirerait retourner en arrière, revoir cet homme jaillit des ténèbres. Une ombre se glisse. Mais ce n’est pas lui, seulement un couple enlacé. Pendant ce temps, la masse se disperse, disparaît ; bientôt elle sera seule.

— Tant pis, songe-t-elle, comme elle s’élance sous l’averse.

— Avancez ! Je vous en prie, madame. Vous ne désireriez point provoquer l’ire de quelques conducteurs, murmure une voix au creux de son oreille.

Dans sa poitrine, son cœur frôle un battement. Autour d’elle, il lui semble que se fige le temps, l’averse a cessé et une voix nasillarde annonce la prochaine station. La rue n’est plus, la pluie non plus. Assise dans la banquette d’une rame de métro, la visite du musée et l’étranger ne sont plus que de vagues souvenirs, presque évanouis, tandis qu’elle file dans les ténèbres.

— Déjà, soupire-t-elle.

Avec raideur, elle se relève, tandis que la rame freine dans un hululement strident. Sur le quai, quelques clochards quémandent et tendent des mains rougeaudes. Distraite, elle glisse une pièce dans l’une d’entre elle.

— Merci, m’dame ! L’bon dieu vous l’rendra !

Sans un regard, elle s’éloigne. Dans le couloir flotte une douce pestilence, mélange de produits de nettoyage bon marché et d’urine fétide. Au péage, quelqu’un s’exclame :

— Hé, m’dame ! J’peux passer avec vous, m’dame ?

D’un signe de tête, elle accepte. Derrière elle, la silhouette se presse contre elle comme elle tarde à passer sa carte sur la borne de métal. Enfin, elle gémit et tous deux passent ; un jeune homme, vif et agile, la dépasse déjà. D’un pas mécanique, elle avance dans le couloir tapissé de mosaïque blanche. C’est à peine si elle prête attention aux affiches criardes et aux écrans, vantant elle ne savait quelle nouvelle marque, ou produit dernier cri. Soudain, elle accélère le pas, comme pour échapper aux griffes d’un monstre invisible. Mais ce n’est que malice et au dehors, dans la rue parée des couleurs de la nuit, les lampadaires jettent une lumière crue sur le dénuement des lieux. Seule l’épicerie tenue par un vieil arabe, dont elle se demande quand il dort, est encore ouverte et accueille le voyageur en déshérence. Les autres baissent le rideau, quand l’ont déjà fait, définitivement. Demain, ils seront remplacés, qui par un lunetier, qui par un restaurant bon marché ou un cabinet immobilier. Elle repensa à sa visite au musée, bouffée d’oxygène dans un monde déboussolé ; un lieu d’éternité où le temps se serait arrêté. A côté d’elle, les façades défilent, artificielles et impersonnelles. Devant l’interphone qui la relie à ses appartements, sa main tremble, tandis qu’un peu de sueur perle sur son front. Elle se ressaisit.

Demain sera un jour nouveau et elle remisera alors celle qu’elle fut aujourd’hui pour en devenir une autre. D’un geste sûr et alerte, elle frappe de l’index les touches et une stridulation électrique lui signale, comme une clarté nouvelle inonde le couloir tapissé de marbre.

— Bonsoir Madame ! s’exclame une voix depuis les marches.

— Bonsoir Basile ! marmonne-t-elle.

D’un port altier, l’homme la salue, tandis qu’elle prend place dans la cage de fer d’un ascenseur de verre. Emportée vers les hauteurs de l’immeuble, elle observe les fresques qui défilent ; elle oublie.

— Chéri ! Tu es là ? lance-t-elle d’un ton ingénu alors qu’elle pousse la porte de son loft.

— Je suis rentré ! Ajoute-t-elle aussitôt.

Le silence est sa seule réponse. Dans l’appartement, vide, les lampadaires éclaboussent les pièces de leur clarté sinistre. Dans un soupir, elle referme le battant ; il y a bien longtemps que ces lieux ne sont plus habités. Les yeux plongés dans l’obscurité, elle joue un instant avec son trousseau de clés, puis l’abandonne sur un guéridon, à côté de son alliance, après avoir donné un ultime tour de clé dans la serrure.

Dans le salon, le lourd fauteuil projette une ombre inquiétante sur le mur blanc. Dans le miroir se reflète un visage.

— C’est toi ! s’exclame-t-elle.

En face, le reflet à la bouche grande ouverte, puis elle se referme, comme s’échappe de la sienne un murmure à peine audible.

— Non… bien sûr…

Perdu dans les hauteurs lugubres, le lustre scintille au gré des rayons de lune qui l’illuminent. Épuisée, elle choit dans un canapé de soie moirée. D’une main molle, elle attrape la télécommande. En face d’elle, l’écran noir la scrute de son œil cyclopéen.

— Bonsoir Daphné, semble-t-il lui murmurer d’une voix éteinte.

Dans sa poitrine, son cœur cesse de battre. Un instant elle hésite, puis sa main retombe, elle a oublié. Négligeante, elle ôte ses chaussures qui heurtent le parquet dans un bruit sec et s’allonge, les jambes en l’air, posées sur l’accoudoir. Exténuée, ses paupières se ferment toutes seules ; elle ne tarde pas à sombrer dans un profond sommeil dépourvu de rêve, hantée par la présence d’un homme au regard étrange.

Lorsqu’enfin elle rouvre les yeux, un pâle rayon de soleil l’éblouit. Encore habillée de la veille, elle se morigène ; Le fauteuil vide n’est plus que l’ombre de lui-même, à l’image de tous les objets qui l’entourent, si elle excepte le portrait dont seul manque les yeux. Elle se passe une main sur le front, puis la retire. Trempée de sueur, elle se lève avec difficulté et se dirige vers la salle de bain. Au-dessus de la vasque, le miroir lui renvoie l’image d’une femme au teint pâle, presque maladif et mal coiffée. Elle tend une main vers une brosse au manche en ivoire. Mais la brosse gît sur le sol, brisée en un millier d’éclats. Dans le miroir se reflète toujours sa figure spectrale.

— Pourquoi es-tu parti ?

Elle contemple sa figure, puis éclate de rire. Son reflet fait de même. Du sang coule de sa main. Une à une, les gouttes tombent dans la vasque qu’elles teignent d’écarlate. Du bout de l’index, elle en attrape une et la porte à ses lèvres, elle a un goût de terre et de ciel. Dans la psyché, un autre visage apparaît, celui d’un homme élégant aux yeux dissimulés par d’épais verres fumés.

— Vous aurais-je troublé, madame ? semble-t-il lui susurrer, avant de disparaître dans un brouillard d’obscurité.

Troublée, elle l’est tandis qu’elle se remémore sa visite au musée. Tout à coup, toutes ces choses accumulées, disposées, agencées, lui paraissent ne plus être que l’écho de sa propre vanité, de sa propre vacuité, à la manière de toutes ces années passées à la poursuite d’une chimère insensée. Que demeurera-t-il d’elle-même, sinon un souvenir déjà oublié ?

Lasse, elle noue un mouchoir autour de sa main qui, bientôt, prend une teinte carmin.

— Annulez tous mes rendez-vous, je vous prie. Je ne viendrai pas aujourd’hui.

Sur ces quelques mots, sans plus d’explications, elle raccroche. Dans sa main, le combiné a quelque chose de grotesque et d’obscène, semblable à quelque objet qui n’aurait plus sa place. Par la fenêtre, elle aperçoit le ciel dont les couleurs pastels ravivent en elle des souvenirs pleins de douceur et de douleurs. Dans sa bouche, un goût de fer et de sel se répand ; elle s’est mordue la lèvre jusqu’au sang.

— Pleure, petite chose ! Il en restera, toujours, quelque chose, ronronne le visage dans le miroir.

Des larmes coulent le long de ses joues. Elle les sent qui roulent, emportant avec elle sa figure artificielle qui, désormais, s’étale

sur sa peau. Soudain, elle rit. C’est un rire inextinguible qui ne semble jamais vouloir en finir.

— Qui suis-je ? ricane-t-elle comme elle découvre son nouveau visage dans la fenêtre.

De l’autre côté, la rue s’anime, les boutiques sont ouvertes et les gens s’y précipitent, frénétiques.

Demain n’est plus un autre jour, demain ressemble à hier, un jour qui ne s’achèverait jamais. Est-ce cela qu’elle désire au plus profond d’elle-même ? Revivre cette journée, encore et encore.

Autour d’elle, les vues se brouillent, les souvenirs se chevauchent et se mêlent à ses visions.

Pourquoi est-elle revenue ici ? Comment l’aurait-elle pu, puisqu’il l’avait chassé d’ici ?

L’angoisse la saisit. Rien ne peut être puisque rien n’existe ; le vertige l’engloutit.

— Un whisky, pense-t-elle. Oh, oui ! Un whisky bien tassé.

Sous ses doigts, glisse un tissu soyeux, du sable s’échappe de ses yeux. Hagarde, elle secoue la tête. Dans le noir, l’œil sanglant de l’écran la contemple.

— Bordel ! murmure-t-elle. Il est quelle heure ?

Une heure trente indique sa montre, dont les aiguilles phosphorescentes luisent à la lueur de la nuit. Une main sur la figure, elle s’efforce de rassembler ses souvenirs et de chasser les scories du cauchemar qui l’a enseveli. Maladroite, elle s’écarte du canapé où elle s’est effondrée. Sa cheville heurte une table basse et lui arrache un grognement de douleur.

Plus rien n’est pareil et pourtant tout est semblable. Autour d’elle, la pièce devient étrangère et en même temps si familière.

La main tendue vers le bar, elle hésite, tout lui semble si lointain. Dans les étagères, les bouteilles scintillent de mille feux tandis que le cristal des verres capture les pâles rayons de l’astre lunaire. Bris de glace, bruit de casse, le verre lui échappe. Sur le sol, le liquide se répand et forme une tache sanglante.

Hébétée, elle contemple sa main. Sa plaie s’est rouverte et de la béance suinte un liquide de la couleur de l’ambre à l’odeur de lande. Curieuse, elle tend les doigts vers l’éclat qui semble émergée de sa paume, cependant que quelqu’un la retient.

— Toutes mes excuses, madame.

L’étranger la fixe. Toujours dissimulé par ses verres fumés, elle tente de capturer son regard qui s’échappe, tandis que sur son visage se dessine son éternel sourire.

— Permettez ?

— Que… murmure-t-elle, mais il a déjà posé un doigt sur ses lèvres.

— Chut…

. De l’autre côté du comptoir, un homme en livrée noire se dépêche de ramasser le verre qui a volé en éclat. Surprise, elle en oublie la douleur lorsqu’il lui ôte l’éclat de la chair. Un instant, elle papillonne des yeux. Dans un voile cotonneux, elle aperçoit sur le dossier du tabouret sa veste encore trempée de l’averse, puis un immense parapluie de bois noir qui repose dans un étui près de l’entrée.

— Auriez-vous oublié ? chuchote-t-il comme il se penche à son oreille.

— Madame !

L’homme en livrée noire lui tend un nouveau verre, au fond, un liquide couleur ambre danse.

— Avec toutes nos excuses.

— Mer… ci, bredouille-t-elle d’une voix éteinte.

En face d’elle, l’étranger élève une coupe d’où s’élève une minuscule flamme bleutée qui se reflète sur son visage illuminé.

Pourquoi l’a-t-elle suivi ?

Au creux de ses reins, un frisson la saisit. Autour d’elle, des hommes, des femmes, des couples, des solitaires, des trios ou plus se déplacent, s’échangent, s’écartent ; il lui semble reconnaître des visages. Silencieux, ils évoluent dans l’atmosphère feutrée du lieu, semblables à des marionnettes de chair. De temps à autre, ils échangent un regard, furtif, éphémère et alors elle croise leurs ténèbres ; un pâle sourire est dessiné sur leurs lèvres.

Qui sont-ils ? Où sont-ils ? De quoi se souvient-elle, ? sinon d’une ombre irréelle qui la couve, comme elle s’apprête à traverser la route pour s’en aller rejoindre la bouche de métro.

Il pleut et l’eau inonde presque la chaussée. Les plus pressés, les plus courageux traversent, affrontent les monstres de métal qui se précipitent. Elle, sous le porche, regarde la scène. Elle jette un coup d’œil en arrière, le musée ferme, son cœur se serre. L’ombre est là, gigantesque. Elle le sait, mais elle ne le voit. Le souffle lui manque alors même qu’elle doit rentrer chez elle, car il l’attend. Ou plutôt, elle feint de croire qu’il l’attend ; il y a si longtemps.

Elle rit toute seule. Sous l’arche, personne ne lui prête attention, la foule passe indifférente, pressée par l’averse. Et elle qui n’a pas d’imperméable, alors même que la bouche de métro est si proche. Au-dessus d’elle, l’étranger lui tend un parapluie et lui sourit.

Que veut-il ?

— Désirez-vous que nous nous installions à une table, madame ?

La voix est chaude, grave, semblable à celle d’un alto, fluide, sans l’ombre d’une hésitation qui viendrait troubler le songe de l’instant. Ses yeux sont passés par-dessus ses lorgnons. Elle en devine les contours, ils sont verts, ils sont bleus, ils sont marron ; irisés, ils sont un mystère, comme l’homme à qui ils appartiennent. Fascinée par ce regard venu de nulle part, elle se laisse guider jusqu’à une table plongée dans une obscurité tamisée.

Pourquoi le suit-elle ? Pourquoi le fuit-elle ?

Elle se passe un doigt sur les lèvres. Dans le miroir, le reflet lui sourit et l’invite. Elle hoche la tête ravie et glisse sa main au bras du bel éphèbe. Un frisson lui parcourt l’échine comme elle devine les traits de son cavalier dans la pénombre. De temps à autre, il s’arrête et ôte son chef pour mieux saluer l’un ou l’autre des invités, étrangers et familiers.

— Prenez donc place, l’invite-t-il comme il tire une chaise recouverte de satin gris.

— Merci, marmonne-t-elle.

Troublée, elle hésite. Autour d’elle, des voix se murmurent, des mots s’échangent, des langues se délient et des secrets se confie.

Pourquoi est-elle là ?

Elle attend. Il a promis ; encore une fois. En face d’elle, la place est toujours vide.

— Désirez-vous boire quelque chose, madame ?

Des larmes amères s’échappent de ses yeux. La main dans son sac, elle en tire un mouchoir de soie de la couleur de l’albâtre.

— Oui, murmure-t-elle d’une voix rauque. Un bloody mary. C’est de circonstance, je crois.

Mais l’homme ne relève pas ; il ne lui appartient pas.

— Très bien, madame.

Il a disparu. Dans la salle, les échanges silencieux se poursuivent, discrets, mélodieux, tous sont dissimulés dans la brume d’une fumée bleutée et parfumée. Du bout de l’index, elle tamponne le bord de ses paupières.

Il ne viendra pas, il ne viendra plus.

Le temps a disparu, quelqu’un a disparu.

Un autre lui apporte un cocktail, il a la couleur du sang, l’odeur du sang ; la saveur du sang, comme elle le porte à ses lèvres.

Enivrée, elle sent le liquide couler entre ses lèvres, envahir son être, empoisonner sa chair.

— Trinquons !

Dans le miroir baigné de la clarté crépusculaire, son reflet lui sourit, elle aussi. Seule, elle écoute les battements du silence dans l’appartement.

— A la tienne ! murmure le visage dans la glace.

— A la mienne ! Rétorque-t-elle.

Entre ses doigts, le verre s’efface, il n’est plus que trace. Au creux de sa paume demeure la marque écarlate. Au sol les éclats du cristal lui renvoient les images d’un visage imparfait.

— Prenez donc place, madame, susurre alors une voix tendre dans le creux de son oreille.

— Vous avez raison, chuchote-t-elle, comme elle se laisse glisser sur la banquette de velours.

En face d’elle, l’étranger prend place. Seul son visage demeure dans la clarté, tout le reste n’est qu’obscurité. Elle pense à un tableau inachevé, un peintre mort sur son chevalet, un chevalier. Devant lui, son verre semble flotter, tenu par une main invisible ; le sien repose sur la table miroir.

La tête lui tourne, la douleur lui électrise les yeux, dans ses entrailles la nausée la gagne ; elle est sûrement plus pâle que le marbre de la table. La main sur une tempe ; elle est froide et humide. Dans la salle, personne ne la regarde, il n’y a plus que des ombres floues ; l’alcool effacera tout. Elle rit.

— Votre bloody mary, madame !

— Merci, bredouille-t-elle.

Sa robe la serre trop, elle étouffe ; c’était l’un de ses cadeaux. Elle secoue la tête et entrouvre le décolleté qui entrave sa poitrine. Un air nouveau entre dans ses poumons, comme elle porte à ses lèvres le cocktail. Dans le fond, à l’écart de tous, un pianiste s’est installé. Pour qui joue-t-il ? Pour elle ? Pour eux ? Pour lui ? Elle avale une nouvelle gorgée du poison. Autour d’elle, la pièce se dissout, la distance s’abolit ; il n’existe plus que pour elle et ses yeux sont semblables à deux puits de ténèbres. D’un geste, il l’invite, mais elle décline. D’un sourire, il insiste, elle résiste. Aucune importance, semble-t-il lui susurrer comme il hoche la tête ; ses doigts volent dans l’obscurité et déchire le voile. La mélodie l’emporte, les emportent, tous autant qu’ils sont, vivants, morts, renaissances. Tous ils dansent, enivrés par la musique, par le temps aboli. Elle oublie, le temps d’une nuit.

En face d’elle, l’étranger lui sourit, ses yeux glissent vers sa main vierge qu’il enserre. Elle se sent rougir, elle se sent guérir, elle se sent chérir. Il tend son verre devant elle, elle fait de même. Jeu de miroir, jeu fatal, leurs doigts se confondent soudain ; ils trinquent.

— A la vôtre !

Sa voix l’électrise, elle se sent presque défaillir ; dans sa poitrine son cœur soupire. Autour d’elle, les silhouettes se dispersent, disparaissent. Bientôt, ils ne seront plus que tous les deux, seuls au milieu de l’obscurité, entouré par un invisible orchestre. Un violon joue, son chant s’étire, devient grave, de plus en plus grave, à mesure que le temps se dilate. Derrière la flamme, elle devine le regard, intense, fascinant, presque arrogant, si séduisant.

— Où vous ai-je aperçu ? soupire-t-elle.

Dans sa poitrine, le souffle lui manque presque, son cœur cesse de battre.

— Si vous voulez bien me suivre. Nous allons maintenant découvrir la galerie des primitifs italiens. Elle couvre la période allant du duecento au trecento…

La voix bourdonne à ses oreilles, comme elle se concentre sur un retable d’Ambrogio Lorenzetti à la perspective maladroite.

— Bof !

Elle bourre les côtés de celui qui vient d’afficher la profession de foi de son profond ennui. Dédaigneux, il porte sur elle un visage plein de lassitude. Tu m’as traîné dans ce trou, assume ! semble lui asséner son regard rogue. Elle secoue la tête et soupire.

— Aie au moins un peu de tenue ! siffle-t-elle entre ses dents.

Pour toute réponse, il hausse les épaules et s’éloigne de quelques pas en direction du couloir, qui, soudain, s’assombrit, s’obscurcit, jusqu’à devenir nuit. Des silhouettes la fixent de leurs grands yeux vides. L’une d’entre elle ouvre encore la bouche, mais il n’en sort que de muette paroles. Articulées, désarticulées, les ombres marionnettes avancent et l’oublient. Elle est seule au milieu de la pièce nue, seule avec ce visage au regard fatal, suspendu au mur, dont les orbites immenses s’illuminent dans l’obscurité.

— Nous n’avons aucune certitude à propos de l’auteur de ce portrait. Certains l’attribuent à Léonard de Vinci, d’autres à Raphaël, ou encore Botticelli ; il semble avoir été peint par plusieurs mains, bien que rien ne le laisse deviner.

— Plusieurs mains…

Autour d’elle ce ne sont plus que portraits de toutes sortes, de toutes manières. Face à elle, l’étranger la dévore du regard, derrière ses verres, soudain devenus noirs. A leur surface se reflète la flamme bleutée qui flotte au-dessus de son cocktail.

— A la vôtre, semble-t-il lui murmurer.

Son sourire dévoile des dents parfaitement alignées.

— A la vôtre, minaude-t-elle, complice de sa malice, comme elle porte le verre à ses lèvres.

Dans sa gorge, la liqueur descend, chaude, parfumée. Enivrée, ses yeux brillent de mille feux, tandis qu’un frisson lui parcourt l’échine. Une main se glisse autour de sa taille, mais elle ne la repousse pas, pas cette fois ; non plus que ses lèvres lorsqu’il l’embrasse.

— Tu es beau toi !

— Tu es belle toi !

— M’accorderas-tu cette danse, toi ?

— Accepteras-tu que je danse, toi ?

Son visage se reflète dans ses yeux ourlés désormais de noir. L’étranger lui a pris la main et la baise. Dans le fond, l’orchestre joue à présent une valse qui les emporte.

— Mais qui êtes-vous ? murmure-t-elle alors qu’il l’emporte dans un tourbillon.

L’étranger n’a que faire de ses questions et l’entraîne, un sourire plein de mystère peint sur les lèvres. Autour de lui, des silhouettes le rejoignent lui adressant des ovations, d’autres s’éloignent en hurlant des imprécations.

— Bientôt, lui susurre-t-il au creux de l’oreille.

Elle se mord la lèvre, tout lui semble si surfait, si imparfait, si contrefait. Dans l’appartement, le silence devient pesant, étouffant.

— Je pars !

Déposé sur le bonheur-du-jour, le mot la nargue, dérisoire, illusoire, accessoire. Entre ses doigts, un peu de cendres, juste un peu de cendres, comme le carton s’enflamme dans le noir et illumine l’appartement plongé dans le noir. Un instant elle se prend à rêver. Un homme l’embrasse ; c’est un prince et il est aussi vieux que le temps lui-même.

— Nous portons bien des noms. L’on nous accorde bien des dons, ronronne-t-il.

Nue, étendue, elle contemple son corps offert à la lune gibbeuse. Il a conservé ses bésicles, tenue en équilibre sur l’arête de son nez. Derrière, luisent des prunelles incendiaires. Combien de femmes, combien d’hommes, combien d’entre-deux, avant elle ? Elle frissonne quand il pose ses lèvres sur son corps devenu soudain inerte.

— Quel est le vôtre ? gémit-elle comme il devient elle et lui pose un doigt sur les lèvres.

— Tu le sauras bientôt. Si tu le mérites, susurre-t-il d’une voix, sensuelle, avide et pleine de gourmandise.

Au-dessus de leurs corps confondus, la nuit fond sur eux, vorace, rapace. Seul le miroir ne perd pas la face. Il ne ment pas et ses yeux caves sont là pour la voir. Sur le sol, ne reste qu’un peu de cendre, légère et grise qui s’envolera au premier vent. Entre ses doigts, la flamme joyeuse brûle toujours, mais la douleur est vaine et elle demeure ainsi, statue de cire.

— A la folie.

Les mots s’échappent de ses lèvres entrouvertes comme elle se prête à rire.

— Viens !

Ses yeux la crucifient, la terrifient maintenant qu’il a ôté ses verres et qu’il dévoile les ténèbres qui y sont enfouies. Noirs, écarlates, ils sont de la couleur de la chair. Soudain, elle tend la main vers son visage comme pour en éprouver la réalité.

— Plusieurs mains, murmure-t-elle tandis que ses doigts s’égarent.

— Plus que vous ne pourriez l’imaginer, madame, rétorque-t-il dans un sourire.

Dans la galerie, l’homme s’éloigne, ange invariable, sans un regard en arrière, son haut-de-forme porté avec élégance.

Troublée, elle effleure ses lèvres. Il lui semble avoir encore le goût des siennes dans la bouche. Le temps coagule, hoquette, tout va de travers, les gens marchent en arrière et dans le ciel le soleil se voile de ténèbres. Elle court, elle court à perdre haleine, mais il se retourne et dépose un baiser sur ses lèvres fraîches.

— Vous n’êtes pas encore prête.

— Est-ce que tout va bien, madame ?

Confuse, elle ferme les yeux, puis les rouvre. Dans la salle, des hommes, des femmes, de tous temps, de tous âges, figés dans des toiles, dans le marbre, le grès ou le calcaire ; éternels ; elle croit en reconnaître.

— Mais qui êtes-vous ? souffle-t-elle comme elle embrasse du regard la pièce et ses multiples portraits.

Evanescent, l’homme semble s’être évaporé.

— Nous sommes ce que vous pourriez appeler des immortels.

Sa voix, éthérée, rebondit contre les murs tandis que deux fanaux illuminent soudain les lieux.

— Des immortels… murmure-t-elle, en contemplant son reflet dans le noir.

Autour d’elle, tout n’est plus que silence, démence, incandescence, comme les flammes dansent et l’enferment.

— Oui, souffle-t-il, chuchote-t-il, les bras passés autour de sa taille. Mais nous préférons les morts-temps, car, le temps n’a plus d’emprise sur nos êtres. Passé, présent, futur n’existent plus.

— Pourquoi ?

— … quoi,… quoi… lui rétorque l’écho.

— Pourquoi ? ronronne l’homme dans le noir. Regarde autour de toi ! Ces hommes, ces femmes ! Que vois-tu ?

Ses doigts courent sur la surface, tout lui semble si facile à présent. Dans le reflet, elle aperçoit la lune qui la nargue, ainsi que son visage.

— Des âmes ?

Les mots s’échappent de ses lèvres entrouvertes. Au fond de ses yeux, brille de nouveau cette flamme qu’elle avait aperçu la première fois qu’elle avait croisé son regard. Ses mains se déplacent, se meuvent dans le noir ; il dévoile des dents écarlates et meurtrières.

— Oh oui ! Tous ont renoncé à leur âme. Ils me l’ont confié et je les ai enfermées dans ces œuvres d’art, qui sont tout autant de miroirs. Tu l’auras deviné, je suis le premier d’entre nous.

Muette, elle fixe la toile et le chevalet. À côté un tabouret l’attend. Il se tient face à elle, pourtant elle sent sa présence, sa chaleur, sa douceur ; ses lèvres qui se posent sur sa chair.

— La vie est bien trop précieuse.

Dans la pénombre, hébétée, elle contemple l’étranger. Ses yeux luisent derrière ses verres fumés.

— Permettez-moi de vous faire un présent, plutôt.

D’entre ses mains, la lame glisse et choit sur le sol en marbre dans bruit de cristal. Elle paraît soudain si insignifiante, si lointaine. De son visage s’échappe des larmes.

— Ce sont là de biens belles larmes, madame, souffle-t-il comme ses doigts effleurent son visage.

— Mais…

Elle n’achève pas sa phrase qu’un index se pose sur ses lèvres.

— Point, madame.

Enivrée, ensorcelée, elle prend place à côté du chevalet. Assise dans fauteuil, les bras croisés, un sourire étire ses lèvres.

— Qu’arrive-t-il ensuite, murmure-t-elle à l’adresse des ténèbres.

Le vertige la saisit comme il se penche sur elle, son souffle sur la nuque.

— Cela, madame, ne dépendra que de vous.

Les paupières closes, elle l’imagine planté des crocs dans son cou pour mieux l’emmener ensuite dans son repaire.

— Ah, madame, murmure-t-il. Je ne suis pas de cette race.

Elle rouvre les yeux, l’étranger a disparu. Ne reste de lui que ces quelques mots glissés au creux de son oreille et une promesse ; une promesse en forme de portrait. Dans ses mains, le briquet dont la flamme brille dans les ténèbres. Il suffirait de peu. Comme ce serait facile, si facile.

Dans le reflet de l’obscurité ses yeux brillent. Il a ôté ses lorgnons et dans ses orbites brille l’abîme, qui la contemple.

— Regardez-moi, madame.

Sa voix n’est plus qu’un murmure lointain qui se confond avec le chant de cette dimension qui, désormais, lui échappe. Un peu de peinture tache en quelques endroits son costume, mais il ne semble en avoir cure ; un sourire en coin se dessine sur son visage.

— Est-ce tout ?

Il hoche la tête.

— Oui ! A présent, tu as rejoint notre clan.

— Les Morts-Temps, complète-t-elle hésitante.

Dans le miroir, le reflet, illuminé par la minuscule flamme du briquet, lui renvoie l’image d’une femme sans existence.

— Les Morts-Temps, ceux pour qui le temps n’a plus de sens, ricane-t-elle comme elle enflamme la toile, tandis que sur sa poitrine naît l’éclat d’une tache écarlate.

— Cependant, il en est qui reviennent et le reprennent.

Étonnée, elle le fixe, mais son regard demeure indéchiffrable.

— Toi aussi tu le découvriras, alors tu sauras.

Sur le sol en marbre, ne demeure qu’un peu de cendres, un peu de cendre et une femme morte au regard dément.


Texte publié par Diogene, 9 avril 2021 à 10h34
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volume 1, Chapitre 7 « Le Mort-Temps » volume 1, Chapitre 7
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