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volume 1, Chapitre 4 « C’était le soir, le temps d’une histoire » volume 1, Chapitre 4

Ce soir-là, il était tard, onze heures, douze heures, une heure. Il était tard et c’était le soir. Sous mes doigts, je sens le sable, le sable qui coule entre mes doigts. Il était tard et nous étions dans le soir. Dans le ciel, les étoiles soupiraient et la lune se cachait, la vilaine. Elle murmurait :

– Il est tard, c’est le soir.

Et je lui répondais :

– Oui, il est tard et c’est le soir, les seules heures, les seuls instants pendant lesquels je m’évade, car c’est le soir et il est tard.

Allongé sur la plage de sable noir, je noie mon regard souillé par le noir. Je me rappelle, il était tard et je me promenais sur la plage, le soir. Soudain, une renarde a capturé mon regard. Elle était de la couleur du soir et il était tard. Je l’ai appelé et elle m’a regardé au travers du noir. Sa silhouette se découpait sur la dune de sable noir et il était tard. Onze heures, douze heures, une heure, c’était le soir et il faisait noir. Dans ses yeux moires se reflétaient les étoiles, car il était tard. Les mains plongées dans le sable noir, j’en ai pris une poignée et je l’ai laissé couler entre mes doigts. C’était un soir, il était tard. C’était l’heure des histoires, de celles que l’on se raconte le soir, quelque part dans le noir. Il était tard ce soir et j’ai invité cette renarde, perchée sur la dune de sable, son regard tourné vers les étoiles.

– Il manque encore quelqu’un, chuchotait-elle dans le noir. Attends, il n’est pas encore trop tard.

C’était le soir et les étoiles jouaient à cache-cache avec les nuages. Il était tard.

Alors je me suis levé et le vent a soufflé et a soulevé des nuées. Dans le lointain, j’aperçois le brouillard, c’était le soir et il était tard. Alors je suis allé la voir, la renarde, la renarde sur le sommet de la dune de sable noir. Je lui ai dit :

– Il est bien tard.

Elle m’a répondu :

– Seulement le soir.

Je me tenais là, au sommet de la dune noire, à côté de cette renarde. Il était tard, c’était le soir et nous contemplions l’horizon noir. Ma main est passée sur sa tête ; elle était couverte de sable noir. Elle m’a dit merci et je me suis assis. C’était un soir, elle a posé sa tête sur ma cuisse et a dit :

– Est-il donc si tard ?

Onze heures, douze heures, une heure, nous étions tous deux quelque part dans le soir, à guetter la nuit noire. Dans le ciel, la lune paradait suivie de son cortège d’étoiles des neiges et tous dansaient dans le soir.

– Il était fort tard, murmurait la renarde.

Et moi je ne pouvais quitter du regard cet être noir. Ses ailes renvoyaient dans la mer les reflets de la couleur du soir.

– Comme elle est belle, chuchotaient la lune et son cortège.

– Comme elle fut belle, me glissa la renarde à l’oreille.

Il était tard et nous étions le soir. Onze heures, douze heures, une heure, c’est le temps des histoires. Nous étions assis, la renarde avait toujours sa tête posée sur ma cuisse et des larmes roulaient sur son museau gris. C’était le soir et il était tard, nous nous tenions quelque part dans le noir.

– Je suis en retard, s’excusa le papillon noir avec son visage délicat.

– Il n’est pas encore trop tard, sourit le renard.

– Seulement ce soir, lui répondirent les lèvres noires.

– C’est le temps des histoires, murmurais-je.

Il était tard, c’était le soir et un papillon noir nous a rejoints sur la plage de sable noir.

– Raconte-nous une histoire, réclama la renarde.

– Oh oui ! Une histoire ! L’une de celles qui se murmurent le soir ! renchérit le papillon noir.

C’était le soir, il était tard et j’allais raconter une histoire, une histoire avant qu’il ne soit trop tard.

Le papillon noir s’est alors allongé à côté de moi et a posé son visage sur le sable noir. Il était tard et c’était le soir. Couchés sur la dune noire, des yeux noirs contemplaient le soir. Il était tard et je commençais une histoire, c’était le soir. Dans le ciel, même la lune et son cortège écoutaient, suspendus à mes lèvres.

Il était tard et c’était le soir, j’étais à l’aéroport des nuages. Nous étions partis tard ce matin-là et nous étions arrivés tôt ce soir. Nous étions le soir et les chevaux galopaient dans leur pré, au milieu des nuages. Ils étaient excités. C’était le soir, il était tard et les chevaux galopaient au milieu des nuages. Comme ils étaient beaux, ce soir-là, avec leurs robes noires et miroirs. Il était tard et parce qu’ils se disputaient, ils ont déchiré les nuages, ce soir. C’était de magnifiques nuages blancs veinés d’outremer et d’incarnat. Il y avait foule ce soir-là, à l’aéroport des nuages. Du haut de l’estrade, on pouvait les voir et, par les trous percés par les chevaux, on pouvait apercevoir les rivages du soir.

Il était tard. Onze heures, douze heures, une heure et je racontais une histoire ; l’une de celle qui se passe le soir, quand il fait encore noir.

Nous allions prendre du retard, à cause des trous faits dans les nuages. C’était le soir et il était tard. Les chevaux se sont calmés et ils sont rentrés. De leur passage, il était resté ces trous dans les nuages, comme autant de fenêtres dans la nuit noire.

Nous étions le soir et il ne faisait pas encore noir. C’était le temps d’une histoire.

Les chevaux avaient des ravages dans les nuages, car on y devinait le soir. Mais c’était le soir et il était tard. Bientôt commencerait notre voyage vers la cité noire, la cité du soir, la cité miroir, la cité du temps des histoires.

Il était et c’était le soir. Dans l’avion, le commandant nous a expliqué que nous prendrions du retard, car il lui fallait raccommoder les nuages.

C’était une belle histoire, car il était tard et c’était le soir. En bas, j’apercevais les chevaux sauvages ; ceux-là mêmes qui avaient troué les nuages. C’était le soir et il était tard dans la cité des anges noirs. Dans l’avion nous nous étions attachés, tête en bas, et nous avions ri, car nos visages se reflétaient dans le noir. Il était tard, c’était le soir et l’avion volait à l’envers pour raccommoder les nuages. C’était un beau spectacle que cela dans le soir, et il n’était pas encore trop tard.

Assis sur au bord de la plage de sable noir, je déroulais mon histoire. Une renarde avait sa tête couchée sur moi, une femme, papillon noir, me contemplait dans le noir et au-delà. Il était tard et c’était le soir. Onze heures, douze heures, une heure, c’était le temps de l'histoire.

Assis tête en bas dans l’avion qui raccommodait les nuages, nous faisions semblant de ne pas nous voir. Il était tard, c’était le soir. Il en fallait du temps pour suturer ces nuages, le temps d’un soir, le temps d’une histoire. En fait, faute de temps, nous le remontions, comme nous aurions fait d’un coucou.

C’était le soir, il était tard, entre mes doigts remontent les grains de sable noirs, comme cet avion qui volait en arrière pour rattraper le temps, pour remonter le temps ; le temps d’un soir, le temps de l’histoire.

Comme il était tard, mais c’était le soir. Nous volions dans la nuit noire pour raccommoder les nuages et derrière se dissimulait le soir.

C’était le soir, car il était tard.

Par les hublots, nous apercevions la lune ronde, belle avec son cortège. Comme elle, ce soir-là, au-dessus de la plage de sable noir, que nous contemplions perchés sur la dune, le temps d’un soir, le temps de cette histoire. Bientôt, on ne la vit plus, car nous avions raccommodé tous les nuages et il se faisait tard. C’était le soir et je contais les grains noirs, assis sur la dune de sable noir.

De qui étais-je amoureux ? De cette étrange renarde au regard si mystérieux ? Ou bien de cette femme, papillon noir dans la nuit noire ? Comment savoir ?

Il était tard et c’était le soir. C’était le soir et je poursuivrai plus tard mon histoire, car nous avions raccommodé les nuages et c’est une longue histoire ; l’histoire d’un soir, l’histoire de ce soir, l’histoire de la locomotive des temps présents et nous avions raccommodé les nuages.

Comme ils étaient beaux blancs, bleus, veinés de rose et de mauve. Et c’était presque à regret que nous les avons laissés derrière nous, mais il était tard, c’était le soir. L’avion volait en arrière et nous nous dirigions vers la cité des anges de lumière noire, le temps d’une histoire, le temps de conter une histoire, dans le noir.

Il était tard, c’était le soir, onze heures, douze heures, une heure, tout le monde dormait dans l’habitacle, y compris moi. Soudain, ce fut l’atterrissage, à l’envers, tête en bas, car il était tard, c’était le soir. Dans le ciel noir, nous distinguions à peine les nuages, parés qu’ils étaient de leurs couleurs du soir. En fait, il était tard. Onze heures, douze heures, une heure, c’était la marque du soir. Avec armes et bagages, je débarquais dans la cité de lumière noire. Comme elle était belle dans ses habits de soir ; elle scintillait comme un miroir. Il était tard, c’était le soir.

Nous nous enfoncions dans le sable de la dune noire, sous l’œil orgueilleux du soir, et je racontais une histoire ; une histoire de nuages et d’outrages, une histoire d’avion et de chevaux sauvages, l’histoire d’un garçon pris dans un mirage. Il était tard, c’était le soir. Avec armes et bagages, j’apercevais le tram ; il était vieux et sale, comme dans les histoires que je racontais le soir. Onze heures, douze heures, une heure, c’était le soir et il était tard. Et je montais dans le tram avec armes et bagages. À l’intérieur, c’était comme une histoire, plongée dans le brouillard. C’était le soir, il était tard et par les fenêtres-miroirs se déroulait l’histoire.

Enfoui dans le sable noir, à l’abri des regards, à l’ombre de la lune noire, je leur raconte des histoires, mes histoires. Dans le tram, il n’y avait que des silhouettes floues et noires, et par les fenêtres-miroirs défilaient de drôles d’histoires. Il était tard et comme c’était le soir, le tram faisait des pauses le temps d’une histoire. Des gens montaient, d’autres descendaient et, de l’autre côté, j’apercevais la ville drapée dans ses habits du soir. Onze heures, douze heures, une heure, il était tard et la ville dansait dans le soir ; murmure noir des danseurs du soir ; j’étais le seul à les voir ; les silhouettes dissimulées derrière les miroirs. Il était tard, c’était le soir, alors je suis allé voir, avec mes armes et mes bagages.

Il faisait noir dans le tram, il faisait noir, car onze heures, douze heures, une heure, on était le soir, le temps d’une histoire. Il y avait ce grand noir qui me barrait le passage ; cerbère dans le miroir, gardien de l’enfer dans le noir. Il était tard, c’était le soir et j’élevais mon regard ; il me toisait de ses grands yeux noirs, lui, le géant noir. Mais moi je voulais voir, même avec armes et bagages. Il était tard, c’était le soir et le géant ne cédait pas. Alors je demeurai là, à l’affronter du regard et c’est lui qui m’a dit de venir le voir, lui, le chauffeur du tram.

Il faisait noir, c’était le soir et il était tard. Onze heures, douze heures, une heure, le noir s’était effacé dans le noir, le temps d’une histoire ; j’étais passé de l’autre côté. Ce fut alors que je découvris son visage, un visage sur lequel le temps n’imprimait pas son âge, car il sait que le temps n’était qu’un mirage. Il était tard, c’était le soir et il avait posé sur moi le regard d’un sage ; je connaissais ce visage. Il était heureux de me voir. Pour ma part, j’ignorai pourquoi. C’était le soir et il était tard.

– C’est là que commence l’histoire, me chuchota-t-il dans le secret du soir.

– Quelle histoire ? lui rétorquais-je.

En retour, il pointa son index vers la fenêtre-miroir, celle par laquelle défilait l’histoire d’un soir. Il était tard, c’était le soir, pourtant des silhouettes dansaient dans le noir, derrière le miroir.

– Ce sont les danseurs de la fin d’un soir, m’expliqua-t-il mystérieux. Regarde donc la lune, elle est orageuse.

C’était le soir, il était tard et je ne comprenais pas pourquoi il m’avait confié cela, tandis que je contemplais son reflet dans le noir, le temps d’une histoire.

Enfoui dans le sable noir, nous entendions l’orage. Il faisait noir, c’était le soir, il était tard et je poursuivais mon histoire ; une histoire d’avion-raccommodeur de nuages, de chevaux sauvages, d’un homme, pour qui le temps n’a pas d’âge et où les nuées sont sans visage. Il était tard et c’était le soir. Dehors, la nuit noire nous couvait de son aimable regard.

– Continue ton histoire, gémit la renarde.

– N’arrête point, supplia la femme, papillon noir.

Alors je prenais les grains de sable noir et les lançais dans les soirs, car il était tard et il faisait noir. Onze heures, douze heures, une heure, c’était le temps de l’histoire.

– Le secret est derrière le miroir, murmurais-je dans le soir, à l’adresse du conducteur du tram.

Il ne disait rien, car c’était le soir et il était tard, mais son sourire trahissait son regard. Je comprenais qu’il ne pouvait rien dire à cause du grand noir, dont les yeux grands ouverts ne cessaient de scruter le soir. Il était tard, c’était le soir et par les fenêtres-miroirs j’entrevoyais la véritable histoire. Le nez collé à la vitre, je ne doutais pas ; c’était là que bientôt je serai. C’était le soir, il était tard et je souriais à l’idée de me revoir. Et c’est avec armes et bagages que je traversais la fenêtre-miroir. J’ai eu un peu de mal, car je ne voyais pas au-delà. Mais je savais qu’ils étaient là, eux, les danseurs de la fin d’un soir.

Il était tard, c’était le soir. Onze heures, douze heures, une heure, le temps d’une histoire, je traversais le miroir.

– Es-tu certain de le vouloir, me questionna soudain l’homme au tram. Il te faudra plus de vingt ans. Ce sera long, avec tant d’armes et de bagages.

C’était le soir, il était tard, mais j’avais brisé la fenêtre-miroir.

– Il sera bien assez tard lorsque j’arriverai. J’ai quarante ans passés, ce sera bien assez, souriais-je, les yeux perdus dans la lumière.

Il était tard et j’avais brisé le miroir. À l’intérieur, c’était comme une autre histoire. J’étais là, dans le tram le soir, avec mes armes et mes bagages et ils dansaient devant moi ; les danseurs de la fin du soir. Il était tard et, parce que c’était le soir, ils ne pouvaient me voir. Par les fenêtres-miroirs, je voyais enfin l’histoire et, par-derrière encore, le chauffeur qui me souriait et m’encourageait.

– Vas-y, mon p’tit gars ! semblait-il vouloir me dire. Poursuis donc l’histoire !

C’était le soir, il était tard. Par les fenêtres-miroirs, on devinait les façades de la cité des anges noirs. Semblables à des strates, les histoires se chevauchaient et se mélangeaient ; c’était la horde sauvage. C’est ainsi que, tard dans le soir, je remontais le temps du miroir, le temps-miroir. Vingt ans m’avait confié l’homme qui n’avait pas d’âge. J’en avais quarante ; c’était plus qu’il ne m’en fallait, le temps d’une histoire, le temps de cette histoire ; le temps d’un soir, le temps du soir et ce soir il était tard. Une heure, douze heures, onze heures, le temps s’égrainait à l’envers tandis que, de mes pas, je foulais la trame-miroir. Il était tard, c’était le soir et par les fenêtres-miroirs j’apercevais l’histoire ; la mémoire de la cité des anges noirs. Avec grâce, j’esquivais les danseurs de la fin du soir. De toute façon, il faisait noir, c’était le soir et il était tard.

– Est-ce la fin de ton histoire ? murmurèrent-elles de concert, comme je me taisais.

– Non ! souriais-je tandis que le vent dispersait le sable noir qui nous recouvrait.

Il était tard, c’était le soir et je n’avais pas achevé mon histoire. J’avais abandonné les danseurs de la fin du soir ; je ne marchais plus sur la même trame. C’était le soir et les lampadaires luisaient dans le noir, comme un couloir qui s’étirait devant moi. C’était un corridor noir au fond duquel se dissimulait un monde-miroir. Une heure, douze heures, onze heures, le temps de l’histoire, j’ai traversé le couloir avec armes et bagages. Tout était noir et pourtant ce n’était pas le soir. Tout était blanc et pourtant ce n’était pas le couchant. De droite, de gauche ; de haut, de bas, je guidais mes pas, le temps d’un soir, le temps d’une histoire. Je savais où ils me portaient, car ce soir il était tard et le hasard n’existait pas.

Autour de nous, il n’y avait plus que la nuit noire et je suspendais mes pas, le temps d’un soir, le temps d’une histoire. Une heure, douze heures, onze heures, nous étions dans le temps de l’histoire, le temps d’un soir. Il était tard et c’était le soir ; il dormait sur son sofa.

– Qui ça ? murmura la renarde.

– Le chat ! Le chat l’envers du miroir, l’inventeur, le créateur, celui qui, le temps d’un soir, le temps d’une histoire, a construit la locomotive du temps, la locomotive des temps présents.

Il était tard, c’était le soir et j’apercevais cette beauté rouillée et délabrée : elle m’a fendu le cœur. Alors le temps d’une histoire, de celle que l’on se raconte le soir, je suis allé voir le chat. Il me fixait avec ses grands yeux fabuleux.

– Pourquoi fais-tu cela ? m’a-t-il demandé, en même temps que je revoyais le visage bienheureux de cet homme pour qui le temps ne comptait pas.

C’était le soir, il était tard et j’avais compris le sens de son sourire complice.

– Cède-moi la locomotive et je m’occuperai de toi. Ensemble, nous voyagerons dans les strates, le temps de nos histoires, le temps d’un soir, en compagnie des danseurs de la fin du soir, à bord du train des temps présents.

Il était tard ce soir-là, au sommet de la dune de sable noir. C’était le soir et je terminais mon histoire. Au-dessus de moi, le grand cerf me fixait de ses yeux noirs. ; je ne sais pas pourquoi il était là.

– Raconte-nous encore une histoire ! me supplièrent-elles.

– C’est fini pour ce soir, murmura l’animal. Il est tard.

– Comme c’est dommage, gémirent-elles. Nous les aimions tant.

Moi aussi je les aimais, une renarde et une femme, papillon noir, noir comme mes histoires.


Texte publié par Diogene, 23 août 2020 à 18h01
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