Le regard vide, il contemple l’écran. À sa surface, défile des choses, des couleurs, des formes dont il a oublié le nom.
Des lettres ? Des chiffres ? Des symboles ?
Il ne sait plus.
Sa main balaye de temps à autre la surface lumineuse tandis que l’autre appuie avec frénésie sur les touches d’un clavier, ou les boutons d’un souris.
Coche, coche, coche !
Les cliquetis résonnent sans fin à ses oreilles. Derrière lui, ce sont les machines, énormes, voraces, bruits de pompe et d’eau circulante ; assourdissantes. Dans le reflet de la vitre clignotante, il les aperçoit sans le voir et toujours ses doigts qui s’affolent.
Clic, clic, clic !
Parfois, il se lève, quelques mots, quelques sons jetés à la diable sur un méchant bout de papier, qu’il balancera ensuite. D’un pas traînant, comme si un invisible boulet était lié à sa cheville, il marche vers d’immenses armoires dans lesquelles il voit son reflet, flou, voilé. Ses doigts se dirigent alors vers la poignée et la tire vers lui, cependant qu’un souffle glacé le saisit. La main tendue, il attrape ce dont il a besoin, puis s’en va, aussi vite qu’il s’en venu ; dans son dos, la porte se referme dans un chuintement. Une grimace déforme son visage.
Il sait qu’il doit revenir en arrière, se saisir de la poignée, la soulever et repousser le battant. Alors il fait. Il fait, tout en s’imaginant que c’est son pied qui s’élance et claque la porte. Mais ce n’est qu’un piètre soulagement et la béance demeure.
L’un après l’autre, ses pieds se posent sur le carrelage, le rapprochant inexorablement de l’engin. Dans une poubelle rangée non loin, des papiers, des emballages, des boîtes cartonnées, que les siens viennent rejoindre.
— Que de gâchis, songe-t-il, tandis qu’il déchire avec soin les restes de son pense-bête.
Mutique, il regarde les fragments blancs poursuivre leur descente. L’un d’entre eux s’égare et il doit se pencher pour le ramasser et le mettre avec les autres. Il se relève, la machine recrache des cartouches vides. De nouveau les mêmes gestes, le même rituel, seul change la couleur de la poubelle, jaune au lieu de noir. Machinaux, ses doigts se referment telles des pinces sur les objets de plastique. Son bras se plie, son torse exerce une rotation, sa main s’ouvre, ses phalanges laissent s’échapper la chose. Elle tombe au fond avec un bruit clapoteux ; des vapeurs méphitiques s’élèvent du corps inerte du préfet.
Pendant ce temps, inlassable, la machine poursuit sa tâche : acheminer, prioriser, prélever, analyser, jeté ; acheminer, prioriser, prélever, analyser, jeter ; acheminer, prioriser, prélever, analyser, jeter.
Sur l’écran, des choses clignotent, vert, orange, rouge. Ses doigts en frappent la surface ; il est absent.
Depuis quand ?
Depuis longtemps.
Ses doigts frappent sans relâche la surface molle et transparente. Il sait ce qu’il doit faire. Mais sait-il seulement encore qui il est ?
La machine s’arrête. Dans le ventre de la bête, le silence.
Pour combien de temps ?
Le moins longtemps.
Détaché, il regarde ses membres se tendre, ses phalanges se plier, plonger dans les entrailles noires de la chose. Si seulement…
Mais non, il n’en fera rien. Ce ne sont que des mots dans sa tête, des images dans son esprit, des envies à jamais enfuies.
Le panneau s’est refermé.
Est-ce lui ou bien elle ?
Les bras ballants, il contemple la chose laide, dont le réveil s’achève. Derrière lui, l’écran s’affole.
Clic, clic, clic.
Coche, coche, coche.
La souris s’affole. Pas lui.
Pourquoi ?
Parce qu’il n’est plus. Il n’est plus qu’une coquille vide et solitaire qui accomplit des tâches prescrites ; ses jambes pendent dans le vide.
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