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volume 1, Chapitre 14 « Sa Majesté des Mots » volume 1, Chapitre 14

C’était le soir, un soir de brouillard, comme il y en avait tant dans ce pays de blanc et de glace. Accoudé au garde-fou, il admirait ces boules évanescentes qui s’en venaient de très haut, de ce haut où seuls les plus grands oiseaux évoluaient ; maître des cieux, maître des lieux. Quand il avait rouvert les yeux, alors même que l’astre du jour se dissimulait encore derrière l’horizon, la neige tombait encore dru. Penché par la fenêtre, il contemplait les flocons qui virevoltaient depuis le ciel, cependant qu’il admirait le jardin emmitouflé dans son écrin de blancheur.

En fait, c’était un matin comme tous les autres, seulement l’un de ces matins où, lorsque l’on s’éveillait et que les yeux s’émerveillaient, l’on savait qu’il ne se passerait rien d’extraordinaire , si ce n’était cette brume épaisse par peu ordinaire. Pourquoi ? Parce qu’il neigeait. En fait, comme il en avait toujours été, quelle que fût la saison ou l’année. Alors c’était un matin comme tous les autres, comme tous les autres avant lui, comme tous les autres après lui. Entre les nuages, dissimulé derrière le brouillard, le soleil baignait le jour de ses rayons inféconds.

Il avait ouvert les volets et de la neige était tombée par terre ; elle était tombée dans un bruit mat et clair. Furieux, un oiseau, une fauvette, s’était envolé et avait déféqué de colère. Cela avait fait un trou dans la neige, un trou tout ce qu’il y a de plus ordinaire, une tache noire et crème au milieu de la neige. Il l’avait regardé puis s’en était allé, il n’y avait là, rien que de très ordinaire.

Habillé, lavé, il avait bu, mangé et officié sur le trône dédié. Oh ! comme il aimait ce lieu ! c’était pour lui toujours le moyen de se ressourcer, de se retrouver lorsque, les entrailles entrebâillées, il soulageait sa conscience. Parfois, il se laissait aller et coulait un bronze ; en d’autres circonstances, il préférait laisser s’exprimer son âme d’Éole ; l’important était le soulagement, cette sensation creuse de vide intérieur qui lui donnait cette soudaine légèreté du travail accompli.

Mais tout cela ne constituait que le début d’une matinée qui serait suivie d’une miduitée, elle-même prolongée d’une profonde vacuité, tant les temps d’après-mangés le laissait glacé ; en d’autres moments, il eut proféré de marbre, mais le crépuscule n’était point à la bagatelle, son embonpoint hivernal non plus et sa barbe trop fournie. En effet, il lui faudrait se retrousser les manches des pieds et s’en aller quérir les bâtons de cannelle avec lesquels il s’entraînait ; les saturnales approchaient à grands pas et il n’était jamais prêt que la veille de la veillée du solstice sylvestre, fête de Yule pour les intimes.

Cette fois, il saurait en remonter à ces bêcheuses qui s’en venaient du ciel avec des milliers d’hivernaux. Montées sur de grands traîneaux, à défaut de chevaux, elles se prenaient pour les walkyries si chères à Woglagaler, avec les cheveux bouclés d’angelots ratés qui ne cessaient de se prendre dans leurs pieds. Leur aquavit valait bien cette petite liqueur, de derrière les ragots, qu’il distillait à longueur de nuit au milieu des échauffourées.

Mais tout d’abord, il lui fallait de la clarté, de la vigueur, de la chaleur. Prêt d’un tronc percé, au niveau du robinet de buis qu’il avait lui-même fabriqué, il soutira de l’arbre pin de ce délicat et précieux breuvage qui, il le savait par la course des bruits dans les vallées, lui valait bien des jaloux.

Combien avaient déjà essayé de lui soutirer, par des moyens d’hiver et variés, son secret ? Combien s’en étaient alors retournés alors qu’il les noyait des flots verbeux d’un certain client, au demeurant fort avenant, mais au verbe creux et médisant ? Fuyants fuyards, il les entendait fondre comme sir au soleil de minuit, quand ce dernier commençait ses arguties, avant d’enchaîner sur ses péroraisons jamais de saisons. Toujours à court d’arguments, il leur fauchait toujours la parole et, apeurés par tant de vent, ils s’en allaient à travers champs, entre les mines et les bousiers roulant leur bosse, à la recherche d’une clé dont ils avaient oublié qu’elle en était la voûte.

Dans le miroir suspendu, son verré doré à l’ordre nain, Sa Majesté lui renvoyait un portrait de toute splendide beauté, avec cette barbe tout en volupté. D’hive, r point de grain, pas même un poêle, car alors on l’aurait pris pour un autre ; l’embonpoint y jouait et il se morigénait souvent à son sujet. Mais, c’était là bien l’hivernet de ses soucis, car plus courte, on le prit pour un fou, ce qu’il n’aurait, sa foi, jamais démenti, car tous le prenaient pour un toqué, lui n’en mettait jamais. Son sac jeté sur l’épaule, sa valise en peau d’usinés sous le bras, il sentait prêt et dispos. Son verre achevé, le robinet clos, il se prêta à sourire quelques vocalises encore dans la région des gosiers.

Bientôt, il s’improviserait Noëlto et chanterait, à en faire trembler les vallées, les plus beaux chants d’après neige et feraient tomber en pâmoison ses donzelles et autres donzeaux qui se pâmaient à l’horizon, lors de la fête de Yule.


Texte publié par Diogene, 26 décembre 2020 à 22h19
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