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volume 1, Chapitre 12 « Le Fiancé des Étoiles » volume 1, Chapitre 12

Dans la nuit, il est une légende qui court, un bruit qui se murmure entre les étoiles lorsque la lune se cache, entre la cime des arbres lorsque le ciel se voile, la légende d’un homme qui aurait demandé à la dame du noir un présent. Seul depuis tous les temps, l’âge n’emportait presque jamais son dû et ainsi passaient les années qui, pour lui, n’étaient que des journées. Un jour qu’il regardait son reflet dans un lac, il surprit une femme qui se mirait. Son visage dévoilé était pâle, pâle comme pouvait l’être l’astre du soir. Enveloppée de noir, elle cheminait sur un sentier qu’il ne connaissait pas. La peur l’avait saisi. Mais, hardi, il s’était enquis :

— Êtes-vous la dame de la nuit ? Celle qui le soir venu veille sur les esprits endormis. Celle qui le soir parti s’en va parer des étoiles de ses filles.

La femme, nullement surprise, l’avait contemplé d’un regard attendri, tant il était rare que des mortels posassent ainsi les yeux sur elle. En guise de réponse, elle avait esquissé un sourire, mais l’avait averti.

— Toute chose à son prix.

L’homme, sur qui le temps n’avait pas prise, eut un sourire contrit.

— Que pourriez-vous me prendre que je n’ai ? J’arpente le monde depuis des éons, j’ai vu presque autant de choses que vous. Pourtant, il est une chose que je désire et qui ne m’est permise… un enfant.

À ces mots, la dame s’était penchée sur l’eau limpide, seulement éclairée par la lumière constellée qui traversait la cime des arbres.

— Un jour, vous aurez une fille, elle ne sera ni de votre chair ni de la mienne, pourtant elle sera vôtre. Vous la prénommerez Esther, car elle naîtra sous un ciel d’étoiles. Élevez-la comme si elle était de votre sang, mais seront venus les premiers sangs, elle vous quittera et…

Du bout des doigts, la dame en noire effleurait la surface liquide. Soudain, elle y plongea la main et en retira une lame qu’elle lui tendit.

— Vous lui remettrez alors ceci.

Figé, l’homme n’avait pas bougé, osant à peine contempler la magnifique lame ouvragée, cependant qu’il contemplait, fasciné, le visage moiré de la dame de la nuit.

— Ma dame.

Sa voix était devenue semblable au murmure du vent lorsque branlent les branches.

— Quel sera le prix ?

Mais la dame était partie ; d’elle, il ne demeurait plus que son reflet d’albâtre dans le ciel qu’il contemplât un long moment encore, se demandant s’il avait ou non rêvé de sa présence. Cependant, une bise maligne et glacée s’était levée et le chassa bien vite. De retour chez lui, il s’assoupit et regarda les années, les décennies passées, des siècles peut-être ; il n’en avait aucune idée, lui, pour qui le passé n’était qu’un mot parmi d’autres pour décrire des choses éphémères. Or il advint qu’un jour, une femme trouva refuge sur le seuil de sa maisonnée. Grosse d’une vie, elle se savait mourir. Était-ce là un signe de la dame de la nuit ? Il ne se posa pas la question et l’emporta avec lui, cependant que, déjà, les douleurs de l’enfantement, arrivaient. Hélas, qu’il ne put faire, cette mère par une nuit sans voile, sous le regard affable d’une lune semblable, offrit à sa fille le dernier souffle de sa vie. Recroquevillé au creux de ses bras, l’enfant tétait ce pouce qui, jamais, ne donnerait de lait, cependant qu’il enterrerait cette femme dont il n’avait jamais su le nom. Offerte à la nuit, l’homme brandit cet enfançon et lui murmura :

— Je te baptise Esther, car tu es née des étoiles.

En son sein, la lune soupira, ses trois filles à son chevet. En bas, l’homme fixait cet enfant qui, comme lui avait prédit la dame de la nuit, s’en viendrait sous le signe d’une nuit d’étoiles. Toute chose à son prix, l’avait-elle avertie. Occupée à coucher cette petite fille, don de la nuit ; derrière lui, la dame de la nuit l’attendait ; elle avait au creux de sa main une pierre de la taille d’une pomme de pin.

— Glisse donc cette pierre en ton sein afin qu’elle ne mourût de faim. En échange…

La dame de la nuit s’était tue. L’homme crut qu’elle était émue, car d’étranges perles brillaient au coin de ses yeux, mais elles disparurent aussitôt qu’il les avait aperçues.

— En échange… avait murmuré l’homme.

Sa bouche était devenue sèche et le ton de sa voix était âpre.

— En échange, m’offriras-tu ta main et accepteras-tu de devenir celui que les choses de la nuit appelleront Stjörauga, l’œil étoile ?

Agenouillé sur le sol froid, il avait posé devant la lame et la pierre de lune, dont les éclats lui renvoyaient les reflets du ciel. Une main portée à son visage, il sentait la chair manquante qui se reconstituait, cependant que de l’autre, il ouvrait son sein et enfermait dans la plaie son secret.

— Lorsque notre fille m’appellera alors tu redeviendras Stjörauga, l’œil étoile, et tu la protégeras, lui avait murmuré la dame de la lune, alors qu’elle s’emparait de son œil droit.

— Et j’oublierai que je suis ton époux et qu’elle est notre fille, avait-il poursuivi, le cœur lourd.

Une main posée sur son visage, la dame de la nuit l’avait embrassé.

— Tes souvenirs seront enfermés dans ce fragment de moi, seule notre fille les libérera, avait-elle achevé avant de s’en aller.

Pendant ce temps, du ciel étaient descendues trois femmes, de tous les âges. La première lui avait remis un briquet afin que le feu ne manquât jamais, la seconde une cape afin qu’il eût toujours chaud et la troisième une ombre qui le protégerait.


Texte publié par Diogene, 19 septembre 2020 à 09h44
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