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volume 1, Chapitre 9 « Le Sac à Mots » volume 1, Chapitre 9

Autrefois, dans une ville vivait un monsieur un peu bizarre. Il possédait une longue barbe qu’il, dès qu’elle ramassait un peu trop les poussières, s’empressait de faire tailler chez le barbier. Le pauvre homme s’épouvantait quand il le voyait arriver, car il savait qu’il en aurait pour la journée et qu’à la fin il ne lui donnerait qu’une pièce, ainsi que le proclamait le panneau sur la devanture de son échoppe : une pièce, la barbe taillée ! Souvent, il songeait à rajouter une petite ligne, une petite ligne de rien du tout, rien que pour lui. Pourtant il ne l’avait jamais fait, même s’il pestait en le voyant arrivé : Ah ! Ma journée ! Mes clients chassés ! Et que me donnera-t-il pour toute la peine que je me serai donnée ? Une petite pièce ! Une petite pièce de rien du tout ! Mais au fond de lui, il aimait ce client un peu bizarre avec sa longue barbe. Aussi quand les amis et les habitués revenaient le lendemain et le questionnait, il répondait invariablement : Il me paie bien, cela me suffit. Une seule pièce ! se récriaient-ils alors. Mais comment ? Avec quoi te paie-t-il pour que tu acceptes ainsi à chaque fois ? À la question, il rétorquait toujours la même chose : en mots. Et tous s’en repartaient penauds, la barbe fraîchement taillée. Mais que l’on ne s’avisât pas de le tromper, ou alors il pourrait vous couper le bout du nez. Ainsi est-il arrivé à un étranger qui, ayant eu vent de la rumeur, s’était mis en tête d’en faire autant. Aussi plutôt que de lui donner une pièce, il avait souffleté le barbier qui, outré, lui avait tranché le bout du nez, après l’avoir copieusement sermonné. Il l’avait ensuite recousu après que l’autre se fut excusé, bourse déliée.

Cependant quand il mangeait, ce qui lui arrivait de temps en temps, il se rendait toujours au même endroit ; une gargote où l’on pouvait manger n’importe quel plat en n’importe quelle quantité. Hélas, comme le barbier, le cuisinier s’épouvantait chaque fois que ce client un peu particulier passait devant son établissement, car il savait, comme son confrère, qu’il y resterait toute la journée et qu’il engloutirait tout ce qu’il aura préparé ; tout ça pour une seule pièce. Alors le cuisinier se lamentait : hélas, que vais-je devenir ? Chaque fois qu’il met les pieds ici, mon affaire périclite ! Comment pourrai-je accepter d’autres clients lorsque je sais qu’il dévorera jusqu’à mes réserves ? Cependant, lui aussi aimait ce client un peu bizarre avec son regard pétillant et sa longue barbe blanche qui traînait souvent sur le sol. Et tous s’interrogeaient pareillement. Comment toi, Joseph ? Comment oses-tu accueillir dans ton établissement ce charlatan ? s’exclamaient alors en chœur ses clients, les jours suivants. Il pille tes cuisines et tes réserves. Ensuite, tu fermes le reste de la semaine ! Mais comme le barbier, il se contenait de marmonner entre ses dents : C’est un bon client et son pourboire est toujours abondant. Ne te moque pas de nous ! s’épouvantaient-ils. Avec quoi te paie-t-il, lui qui est réputé sans le sou ? Alors Joseph se retournait et leur adressait ces quelques mots : en mots, un sourire sur les lèvres. Pas plus avancés, ils s’en allaient, régalés. Un jour qu’un étranger, un autre encore, s’en était venu en ville et avait ouïe de ce client qui payait en mots ; il se prit à penser qu’il pourrait en faire autant et se piqua de le prendre au mot. Ainsi attablé, il saoula le cuisinier de mots sans queue ni tête à l’instant où il lui porta l’addition. Bien mal lui en pris au malappris, car, à lui souffler ainsi dans les oreilles, il l’avait pris en grippe et de la menacer de le faire bouillir pour mieux le servir au souper le lendemain. On le revit, plonger les mains dans les eaux troubles des cuisines jusqu’à ce que, ayant sué, sang et eau, il fut renvoyé à coup de pied.

Mais là n’était pas le plus étrange chez ce monsieur si bizarre qui payait de mots ses repas et la coupe de sa barbe. En effet, sans que l’on sût pourquoi, il disparaissait toujours autour du solstice d’hiver, pour ne réapparaître qu’aux épiphanes, et alors tous se lamentaient : le barbier ne coupait plus les barbes avec entrain, le cuisinier ne mettait plus de cœur à l’ouvrage, dans la ville tous faisaient grise mine, car il ne se promenait plus avec son énorme sac ; un sac plein de mots dans lequel il puisait ses contes et ses chansons. Cependant, demandez donc aux enfants et ils vous souffleront qu’il est une nuit spéciale, où il leur rend visite et sort de son sac des cadeaux en forme de mots.


Texte publié par Diogene, 21 août 2020 à 08h01
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