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volume 1, Chapitre 8 « La Solitude des Miroirs » volume 1, Chapitre 8

Assise sur le sol froid, les yeux tournés vers l’âtre où se mourrait un feu de la veille, elle écoutait avec une attention redoublée le bruit des pages que l’on tournait. C’était un bruit doux et sec, chaque feuillet tourné possédait son propre timbre. Comme dans une chorale, certains étaient graves, d’autres plus aigus, d’autres encore ressemblaient au chuchotement des feuilles lorsqu’elle se promenait en forêt, dans les après-midi glacés de l’automne mourant ; elle frissonna. Toujours attentive, elle tendit ses mains menues vers la couverture roulée en boule dans un coin, puis la jeta sur ses épaules. La laine était chaude d’être restée près du foyer et elle en fut heureuse. Mais le bruit des pages qui plient et qui ploient avait cessé et elle s’en étonna. Pourtant, rien n’avait changé, les braises craquaient toujours dans la cheminée et le soleil n’était pas encore levé ; il restait encore bien des heures avant qu’elle ne l’aperçût par la fenêtre. Boudeuse, elle s’emmitoufla et se releva. Les pieds enroulés dans des écharpes de vieux lainages, elle glissait sur les pierres froides. Parfois, un fil s’accrochait dans une fissure ou une aspérité et alors elle se penchait pour la détacher. Elle n’avait guère à aller loin ; juste de l’autre côté de la pièce, là où étaient rangés, ordonnés tous les ouvrages, mais surtout le grand miroir où vivait l’ombre sage. Par jeu, par habitude, par quelque malice, elle évitait avec soin de marcher sur les dalles noires, maintenant couvertes d’une poussière grisâtre. Bien sûr, cela la ralentissait, mais c’était ainsi et elle aimait marcher ainsi ; sautiller entre les lacis des pierres grises. Suspendus aux murs, les chandeliers jetaient une clarté bien pauvre dans la pièce. Mais comme elle s’amusait de son jeu de dames, elle riait dès qu’elle surprenait les ombres qui dansaient en cachette. De nombreuses fois, elle avait voulu les attraper et chaque fois elles se dérobaient. Au début, elle en fut vexée et elle décida de leur faire peur, ce qui l’amusa encore plus, car elles n’avaient aucune cachette. Cependant, ce soir, elle n’avait pas envie et les ombres non plus. Elles demeuraient calmes, comme suspendues dans l’attente d’une chose qui aurait disparu.

— Ouste ! leur cria-t-elle comme elles ne voulaient plus partir.

Mais les ombres demeuraient là où elles étaient, figées dans la clarté tremblotante des chandelles. Elle haussa les épaules et s’éloigna, jetant de temps à autre un regard en arrière ; les ombres ne la suivaient pas, pas même la sienne, restée près de la cheminée, comme pour veiller un feu qui, déjà, n’existait plus.

Dans la pénombre, le grand miroir luisait d’un éclat qu’un étranger aurait trouvé inquiétant, tandis qu’elle éclaboussait d’une clarté oragée les rayonnages de la bibliothèque. Un peu plus loin, perdue au milieu d’un immense fauteuil, une silhouette tenait un lourd ouvrage entre les mains. La couverture écarlate était si sombre qu’elle en paraissait presque noire.

À côté de lui somnolait une créature au pelage de la couleur de la poussière céleste. Le silence régnait et seul le bruit de leur respiration ; souffle vague dans la pénombre, le troublait. Soudain, la laine s’échappa et mis à nu ses épaules, cependant qu’elle n’en conçut aucun émoi. Calme, elle arrêta ses pas et ramassa la pelisse raide tombée par terre ; dans le grand miroir, l’ombre-sage ne s’offusqua pas, pas plus qu’elle ne bougea ou n’éleva la voix. Non, elle demeurait là, le livre grand ouvert posé sur les genoux ; à ses pieds, la créature ouvrit un œil mordoré.

— Que veux-tu, ma petite ? s’enquit-elle comme elle ouvrait le second.

— Je ne sais pas, marmonna-t-elle.

Ses yeux étaient fixés sur la silhouette de l’homme dans le fauteuil, dont les doigts immobiles ne tournaient plus les pages du vieux livre.

— Pourquoi a-t-il cessé ? murmura-t-elle.

L’animal avait relevé le museau. Son regard allait de la petite fille à l’homme assoupi et soudain ses yeux devinrent humides.

— Il s’est endormi, répondit la créature au pelage diurne.

— Qu’est-ce que c’est, endormi ? demanda la petite fille.

L’animal soupira, ; c’était un gémissement profond et empli d’un souffle dont la nature lui était inconnue.

Dans le grand miroir, l’ombre-sage n’était plus là, ne demeurait que son ouvrage ; plus jamais elle n’entendrait le bruit des pages.


Texte publié par Diogene, 21 août 2020 à 07h55
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