Encore une fois, il s’était crevé les yeux. À la place, il s’était mis deux grosses billes de verre avec un ruban torsadé incrusté à l’intérieur.

– Cela me donnera des yeux de chat, s’était-il dit en se les enfonçant dans les orbites.

Se crever les yeux, ultime forme de liberté, lorsque même celle de mourir vous était ôté. Il savait que cela ne durerait pas. Une nouvelle paire poussait déjà dans leur matrice d’aérogel ; tout comme le reste de ses organes qui, pour des raisons d’éthique ; ce mot le faisait se tordre de rire, étaient confectionnés à l’aide d’une imprimante biologique, et non plus recueillis sur un clone confectionné à la naissance du receveur.

Les gens, qui le côtoyaient, ne comprenaient pas ce geste, car cela revenait à se priver du meilleur de ce monde, où la sauvagerie n’existait plus. Au contraire, lui n’y voyait qu’une mortelle laideur et, en se privant ainsi de ce sens, si jouissif, dixit les communautés techno-béates, il retrouvait l’essence de cette réalité, aujourd’hui déformée. En s’arrachant au sol, ses semblables, mais l’étaient-ils déjà, avaient perdu l’esprit de nature, pour le troquer contre une peur, que d’aucun n’aura souhaité reconnaître.

Se priver ainsi du regard des autres n’était ni une fuite, ni une rébellion car, au fond, qui était encore capable d’en disserter, d’en discuter, d’en parler.

La réponse tenait en un mot, oublié de tous, « personne ».

Combien d’expression se ramenait au regard. De mémoire, il les réciterait toutes et en inventerait de nouvelles, si cela lui chantait. Il se moquait bien de tous ces gens, dont les yeux étaient habités par des fantômes qui filtraient le monde, le rendant si sûr, si prévisible, ; un monde lisse et triste.

Mais lui, lui il s’amusait de leur étonnement, de leur surprise, dont on ne savait quoi encore, lorsque par le plus grand des hasards, il les surprenait de son regard de chat. Des instants rares, au cours desquels il attrapait un bout de liberté, tout, sauf imaginaire.