«

»

Toutes deux avaient traversé en grande hâte la galerie des statues – rassemblant des représentations des apôtres et du Sauveur en bois blanc dans laquelle d’ordinaire Marika aimait à flâner-, emprunté le corridor qui débouchait sur un second cloître dont l’exposition méridionale tolérait un plus large panel d’herbes aromatiques et médicinales que son semblable de l’aile ouest.

Une unique grille perçait la muraille et laissait entrevoir la sylve extérieure, la glycine qui grossissait sur la pierre et offrait ses lourdes grappes odorantes.

Magdala, étourdie par les odeurs brutes qui la saisissaient, ébranlée par ce paysage par trop ressemblant à celui qui avait été son monde, s’était soudainement sentie incapable de faire un pas de plus. Le sang avait quitté ses joues, la rendant plus blafarde que jamais tandis que ses pupilles se déplaçaient follement de tout côté. De drôles d’idées la prenaient, l’apeuraient.

Tout ici lui rappelait son sanctuaire, comme si l’on l’avait reproduit à l’identique en cette contrée.

Elle avait fixé le carré de plantes.

La pleureuse y était allongée, la bouche béante, un liquide noirâtre s’en écoulant.

Cette vision sordide, toute empruntée à ses propres souvenirs, avait eu raison de ses nerfs, et si Marika ne l’avait point retenue par le bras, elle aurait perdu pied.

— Pardon…Pardon…Un étourdissement…

Le râle qui s’extirpait de la gorge décharnée l’avait faite tressaillir, reculer de quelques pas.

« Lavende…Lavende… »

La réalité se distordait, se confondait avec ses souvenirs, ceux-là même qu’elle avait exilés au plus profond d’elle-même. Une voix familière résonnait en elle, en écho avec celle, plus lugubre, de la pleureuse.

« Lavende…aidez-moi… »

Le cloitre semblait plus grand, plus écrasant puis s’était mis à onduler, comme sous les flots. Et la pleureuse qui agonisait sur la terre, râlant de plus en plus fort. Et sur ses mains, son sang sombre. Un haut-le-cœur lui avait soulevé la poitrine, une bile brûlante envahi sa bouche.

— Däm Magdala.

Au loin, la voix ferme de Marika qui pointait entre les plaintes. Puis ses iris chauds qui l’avaient soustraite aux visions horrifiques qui l’assaillaient.

— Ce n’est pas réel.

— Qu…Quoi ?

— Ce n’est pas réel. Ce spectre n’est pas réel.

— Vous…Vous la…

— Ce n’est pas réel, répétait Marika d’un ton décidé, comme si elle récitait une prière connue d’elle seule depuis des années. Vous n’avez pas à revivre cela. Vous n’avez point à porter encore cette croix.

— Cet endroit…, bafouillait-elle en tremblant, il est si…

— Personne ne vous y ramènera contre votre gré, je puis vous le jurer.

« N’écoute point cette putain née d’un sacrilège. Y retourner ne serait qu’un acte honorable. »

— Assez.

Marika avait fait volte-face posé des yeux durs sur le carré de simples. Elle ne voyait pas la pleureuse. Elle ne l’entendait point plus. Seulement sentait-elle sa présence, un frisson dans sa nuque, un pincement au cœur.

— Allez-vous-en, avait-elle ordonné à ce spectre invisible comme elle l’aurait ordonné à un démon. Allez-vous-en.

La pleureuse lui avait souri, puis ri.

L’instant d’après, le malais qui avait saisies les deux femmes s’était envolé.

— Je ne laisserai personne vous rétablir de force dans votre sanctuaire. Reprenez-vous, je vous en prie.

— Elle…Mère Marika…Elle…

Magdala passait des œillades terrifiées par-dessus son épaule, serrant Marika contre elle comme si sa vie en dépendait.

— Comment avez-vous pu la voir ?

— Qui ?

— Cette femme….

— Il n’y en avait point.

— Mais vous lui avez parlé… Vous lui avez parlé !

Marika s’était contentée de lui sourire avec une douceur presque maternelle, puis comme pour chasser ces idées de son esprit, elle avait passé une main tendre sur son épaule encore tremblante, saisi son poignet pour l’attirer au fond du cloitre.