Lorsque Marika était entré dans la cellule, une atmosphère étrange l’avait saisie à la gorge.
Une tension, une euphorie prêtes à éclater.
— C’est la révolution, avait-elle pu ouïr tandis qu’elle refermait prestement la porte ; et ces mots-là avaient réveillé en elle des sentiments contradictoires.
Elle l’avait attendue et à présent la craignait, tout en priant pour qu’elle défasse les règles préétablies et les réécrit.
Elle appelait cette révolution de ses vœux, et à présent tenait rancune à Magnus de s’être montré si contestataire, si borné et d’avoir dérangé l’ordre des choses.
Elle avait pressé sa croix, s’obligeant à raisonner calmement. Il n’était guère temps de s’abandonner à de malheureuses humeurs. Elle avait inspiré longuement. Chassé les nuages qui entravaient son esprit. Affronté avec aplomb le regard suspicieux, brûlant de Moea.
— Vous…
Du coin de l’œil, elle avait remarqué Ana preste de se lever, se raidir soudain puis se laisser retomber sur le matelas de plume. Perçu sur son visage ce elle ne savait quoi de familier qui lui retournait le cœur. Elle était pourtant en bien meilleur état que lors de son procès, quoique sa peau ait encore l’air fiévreux. Néanmoins, une vague de culpabilité l’envahissait à mesure qu’elle lisait sur ses traits tirés le sombre voile du chagrin.
— C’est vous…qui avez…
La voix d’Ana s’était brisée et elle était demeurée muette, une boule dans la gorge.
Elle avait constaté les bandages qui ceignaient différentes parties de son corps comme autant de gages de sa bravoure. Senti une gratitude douloureuse lui brûler le sein.
Elle avait essayé de sauver Linnea. Elle l’avait défendue à sa place. Elle avait été la main qui avait accompli ses desseins. Il fallait qu’elle la remercie. Quand bien-même n’avait-elle pu la soustraire à sa funeste destinée. Car contrairement à Moea, elle ne lui tenait point rancune. Seule, elle n’aurait pu sauver Linnea. Pas face à l’Église. Son long voyage à travers le pays le lui en avait fait prendre conscience.
Personne ne pouvait se dresser seul contre l’Église. Car l’Église écrasait tout.
— Miss.
Elle avait réprimé un sursaut. À peine relevé le front.
Marika s’était avancée jusqu’à elle. Était-ce elle que l’on appelait « miss » ? Elle avait envie de rire : comment pouvait-on encore user de telles cérémonies à son endroit ? Elle n’avait plus grand-chose d’une demoiselle.
Quelque chose était tombée dans ses paumes ouvertes. Lui avait arraché un sanglot étranglé.
— C’est…C’est…Oh, comment… Je…
Les mots se disputaient ses lèvres, l’émoi lui nouait le cœur. Elle les avait reconnues. Serrées contre son sein avec fougue.
— Vous les avez récupérées, avait-elle articulé entre deux pleurs.
L’odeur défraichie de la consoude l’avait saisie, et elle avait étreint plus fort encore l’amulette des voyageuses et la croix de sa tendre amie.
« Je ne t’abandonne pas, Ana. »
Ses cris s’étaient faits plus vifs, sa poitrine se soulevait avec désordre. Marika avait permis à Linnea de tenir sa promesse. C’était là une bien maigre consolation, et pourtant, elle était comme un baume sur les plaies fraîches qui déchiraient son cœur. Comme un soulagement inespéré.
— Miss, permettez-moi de vous demander pardon.
La cardinale la fixait avec gravité, tant qu’Ana s’en était sentie ébranlée, plus encore que ne l’ébranlaient ces paroles qui lui étaient adressées.
Face à son air ahuri, Marika s’était sentie obligée de répéter :
— Permettez-moi de demander votre pardon.
Et comme elle s’agenouillait aux pieds de la nordique, elle avait pressé ses mains jointes contre son front baissé.
Elle avait besoin d’être absoute. Car même si elle n’était point intime avec la condamnée, elle gardait la marque brûlante de la culpabilité profondément ancrée dans sa chair. Celle de ne pas avoir pu provoquer un miracle. D’avoir laissé quelqu’un mourir sans rien faire, sinon pas assez.
— Je suis mortifiée par ce que nous avons fait subir à votre amie. Sincèrement mortifiée. Je sais que mes remords ne la ramèneront pas, pas plus que mes misérables excuses. Mais je ne puis hélas que faire cela : vous demander pardon, et prier pour le repos de celle qui n’est plus, si vous me le permettez…
Elle s’était tant inclinée, à mesure qu’elle faisait acte de contrition que son front touchait presque terre. Le souffle écourté par la componction.
— Je suis si désolée…
Se confondre en mea-culpa tout en se donnant à grands coups de poings sur la poitrine, comme elle y était habitué. Seulement aujourd’hui, les regrets étaient prêts de lui arracher des larmes. Il fallait que tout cela sorte. En témoignaient les excuses qui se disputaient ses lèvres et qu’elle ne pouvait dévorer.
Ana était restée coite, le cœur en désordre, reniflant sottement, les doigts serrés sur ses trésors. Son esprit pris de court ne parvenait à analyser l’étrange situation.
« Je suis désolée ». Cette simple phrase résonnait en elle comme un souvenir.
Elle avait baissé les yeux sur le dos tremblant, les deux tresses cuivrées qui gisaient sur le sol.
Abasourdie.
Personne ne s’était jamais prosterné devant-elle. Elle en était gênée. Se sentait terriblement peu à son aise. Puis comme si le chagrin lui interdisait de l’omettre, de nouveaux sanglots l’avaient submergée et elle avait dû se faire violence pour ne point s’y abandonner hystériquement. S’était tournée vers Moea pour y trouver du secours : le dos frémissant, elle faisait mine d’observer les insurgés, le regard brillant.
— Pourquoi vous n’avez pas réussi… ?
— Je ne saurai vous dire…
Marika s’était abaissée plus encore, se confondant en malheureuses excuses.
— Avez-vous vraiment…
« Essayé de toutes vos forces », avait-elle manqué de l’interroger, la colère pointant dans sa gorge. Elle s’était ravisée. Elle n’avait pas le droit. Elle ne pouvait pas se permettre de faire sermon, elle qui n’avait rien fait. Ni reporter sa rancœur sur Marika parce qu’elle était la seule représentante de la Sainte Église à sa portée. Parce que ses excuses, plutôt que de panser ses plaies, ne faisaient que les ranimer et attiser sa douleur.
Elle avait, au prix d’un effort, maîtrisé son humeur de justesse.
— Son corps…Est-il…enfin…l’a-t-on… ?
— Je l’ai enterré. Et comme Marika avait entendu le cri étranglé d’Ana, elle avait ajouté en relevant la tête : Je l’ai mise en terre, chanté pour elle le psaume des défunts. Imploré le Très-Haut de lui ouvrir les portes du Ciel. Ne vous inquiétez pas. J’ai l’intime conviction qu’elle est entrée dans la vie éternelle…
— Merci...
La cardinale, s’étant redressée, lui lançait un regard perplexe, les paumes encore jointes contre son sein comme un témoin de la contrition qui la submergeait encore.
— Ne me remerciez pas, avait-elle murmuré en se relevant, je n’ai fait que ce qui devait être fait, miss.
— C’pas pour autant qu’les autres l’ont fait.
Moea, adossée au vitrail, lui réservait un regard courroucé, animé de cette vive répulsion qui ne datait point de ce matin.
— Certes.
— Vous auriez pu faire que’que chose, si vous vous étiez décidée plus tôt !
— Je n’aurai pu…
— Excuses ! Que des excuses ! C’bien les prêtresses, ça !
— Moea, pas maintenant…
— En attendant, si vous aviez été moins lâche, on en s’rait pas là !
— Moea ! Moea, je t’en prie !
Et comme Ana hurlait, pressait ses mains sur son avant-bras, Moea avait repris conscience, s’arrachant à cette rage désespérée qui s’était faite maîtresse de son esprit. Au bout de son bras, enroulée dans son poing, l’aube de Marika. Son autre poing, fermement replié, était dirigé vers son visage, prêt à s’abattre. Les pulsations désordonnées de son cœur l’assourdissaient tandis qu’elle retenait d’autres cris, d’autres accusations.
Et Marika, au bout de son bras, qui lui souriait seulement avec cette folle compassion qui la révulsait et ne lui rappelait que trop bien celle de tous ces clercs qui la plaignaient tout en la laissant dans le ruisseau.
— Faites, Moea. Si cela peut vous soulager…
Perdre son sang-froid, avec une autorisation en plus ?! s’était sidérée la danseuse en contractant plus qu’alors ses mâchoires.
Elle l’avait repoussée d’un geste vif, une grimace écœurée au visage, étouffant une insulte. Digérait sa colère, les poings serrés. Juré avec acerbité avant d’affirmer que « cela ne servirait à rien. ».
— Bien, au moins sommes-nous d’accord sur ce point, avait souri Marika. À présent, il nous faut agir vite.
Et tandis qu’elle déposait sur le lit le paquet qu’elle avait apporté, elle avait ajouté :
— Il vous faut fuir d’ici.
— Fuir ?
— La situation est critique, la milice n’a d’yeux que pour les insurgés qui nous attaquent. C’est une occasion à ne point louper !
— Et pour aller où ? C’est l’pays tout entier qu’est dans c’t’état, à cause d’vous ! Alors on va où ?!
— Loin d’ici.
— Et dès qu’on s’ra parties, vous nous enverrez la milice aux trousses ?
— Je vous l’ai déjà dit, la milice a autre chose à faire. Je ne tends pas à vous piéger, ainsi que vous vous obstinez à le croire, mais vous aidez. « Pourquoi ? », allez-vous me demander. Parce que je ne crois pas à cette histoire de rapt.
Comme elle se tournait vers Ana, elle lui avait assené d’un ton qui l’avait faite rougir :
— C’était fort adroit. Fort bien mené. Quel dommage cependant que vous n’ayez point été en mesure de duper ceux qui réfléchissent un tant soit peu…Ni d’accorder vos dires avec ceux de votre prétendue victime.
— Je l’ai vraiment…
— À d’autres, je vous prie. Vous pouvez bien me conter cette fable à nouveau, mais je considérerai cela comme une insulte à mon endroit. Bref, tenez. Changez-vous.
Elle avait tu la promesse faite à Sina, celle faite à Magdala, satisfaite de garder pour elle ce secret, s’était assise devant le vitrail, observait attentivement la foule.
Elle avait ravalé une exclamation de surprise en distinguant la silhouette raide de Simon, suivi avidement des yeux son aîné et cet autre homme qui lui emboîtait le pas.
Ils allaient rencontrer Erling, et elle crevait d’envie de les rejoindre. L’avenir de son pays allait se décider là, tout de suite, et elle les enviait terriblement d’en être les premiers témoins.
— Je ne partirai pas…
Ana serrait fermement les liens de son corset, résolue.
— Pas sans Magdala.
— Je m’en serai dou…
Le battant s’était ouvert avec tant de fracas que Marika avait cru un instant que sa trahison avait été découverte et que l’on s’en venait la rosser de coups et l’exécuter dans le même temps.
« Ça y est, ils savent. », avait été sa seule pensée.
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