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saison 4, Chapitre 15 « Avgång - Résignation » saison 4, Chapitre 15

Ana avait plaqué ses mains sur ses yeux, la bouche déformée par le chagrin, se lamentait douloureusement. Son corps entier tremblait. Son souffle était désordonné par les sanglots qui la secouaient, les hoquets, les lentes plaintes qui s’échappaient de sa gorge.

— Je…Je pensais… Y arriver… Je pensais… être assez forte…Je croyais…Je croyais que… !

Elle avait haussé la voix, redoublant de sanglots.

Linnea demeurait interdite.

Déjà parce qu’elle s’étonnait de l’immense espoir qu’avait placé Ana en cette fuite malheureuse. Ensuite parce que c’était la première fois qu’elle la voyait dans un tel état. Face à toutes les preuves qu’elles avaient traversées, toutes les embûches qu’elles avaient surmontées, Ana n’avait jamais pleuré. Pas même lors de l’affaire de sorcellerie à Hédar, pas même quand elle avait perdu la foi. Elle s’était rembrunie, renfermée, désireuse de dissimuler son mal-être derrière des sourires creux. Mais les larmes ?

Jamais.

Elle avait tendu la main, libéré son visage meurtri de ses paumes crispées, l’entourant des siennes qu’elle voulait les plus caressantes, les plus réconfortantes du monde. Puis ayant posé son front contre le sien, elle était restée là, seulement là.

— Je pensais que…que…je…j’étais assez forte !

— Je sais.

— Je….croyais…J’y croyais… Je pensais…que le Ciel serait clément…Mais non !

— Je sais.

— Et maintenant…À cause de moi…À cause de moi !

— Ana, chut…

— J’aurai dû savoir !

— Ce n’est rien.

— J’aurai dû…

Elle sentait les doigts d’Ana enserrer le dos de ses mains avec force. Comme pour y chercher du secours face à cette culpabilité qui pesait si lourd sur sa conscience et la rongeait.

— Si seulement je ne nous avais pas trahies ! Si seulement j’avais été plus sage, plus vigilante ! Si seulement je n’avais pas été aussi stupide !

— Ça ira…

Encore cet optimisme auquel elle ne croyait plus. Et pour lequel Ana n’avait eu qu’un reniflement de dégoût.

— Je suis désolée, tellement désolée ! J’ai été irréfléchie, stupide et par ma faute… Par ma faute ! Je suis si désolée!

— Ana…

Elle avait glissé sa main dans ses cheveux, les caressant lentement pour la calmer. Ravalait à chaque déglutition sa douleur, ses larmes, cette terrible terreur qui battait chaque parcelle de son cœur. La peur qui lui tordait les tripes quant à son sort lorsqu’elle arriverait devant le Conseil Judiciaire.

La mort.

Elle le savait.

— Assez.

Moea.

Elle s’était relevée, lançant à la danseuse dressée au-dessus d’elles un regard décontenancé. La seconde d’après, elle basculait sur son séant tandis que Moea, dans un accès de rage, l’avait bousculée pour saisir Ana par le col, la plaquait contre la cloison du coche.

— Si j’t’entends encore geindre, Ana de Sollnästeå, j’peux t’jurer que j’t’en colle une.

Silence.

Ana l’observait avec des yeux si ronds qu’ils lui mangeaient presque le visage. Linnea, fesses à terre, n’osait se mouvoir.

Face à elle, ce n’était plus Moea mais une bête furieuse, blessée, terrorisée retenant la colère monstrueuse qui semblait rugir par chaque pore de sa peau. Moea, qui semblait ne jamais rien craindre, avoir une ressource et une confiance fidèle à la Providence ; Moea que la terreur semblait éviter, comme trop consciente du peu de prises qu’elle avait sur elle, que les rares prises étaient émoussées par trop d’expériences, trop de souvenirs terribles…Moea, soudain, perdant de cette nonchalance dévoilait cette facette diablement humaine qui effrayait la prêtresse.

Elle aussi avait conscience de ce qui l’attendait.

La mort.

Mais elle, Moea, ne pouvait l’accepter.

Contrairement à Linnea qui acceptait de racheter ses péchés par la mort –ou du moins s’y préparait, se soumettant aux desseins du Ciel, elle ne pouvait accepter. Elle avait certes supporté les projets d’Ana jusqu’au bout parce qu’ils étaient justes. Parce qu’elle les approuvait. Parce qu’elle avait grande affection pour Magdala. Mais face à la réalité, à cette épée de Damoclès qui pendait au-dessus de sa tête et dont l’Église couperait les fils, face à la peur profonde qu’une mort qu’elle imaginait lente lui inspirait…Elle refusait de regarder Ana dépérir et se confondre en mea culpa.

Parce que cela ne faisait qu’alimenter ce monstre d’effroi qui grandissait toujours plus dans sa tête.

— T’as fait c’que t’as pu.

Linnea avait retrouvé le souffle, poussé un soupir de soulagement. Elle avait craint, un court instant, Moea prête à accabler Ana plus encore qu’elle ne l’était déjà –et elle l’était, pour sûr, au point d’accepter n’importe quoi pour réparer ses torts.

— Mais…si j’avais fait mieux…

— Ptètre qu’on en s’rait pas là. Mais t’as pas fait mieux.

— Je vous demande pardon… Pardon…

— Stop.

La poigne de Moea s’était affermie sur sa gorge.

— Qu’importe le passé. On peut pas r’v’nir en arrière. Alors concentrons-nous sur c’qui va arriver.

— Ce qui va arriver…

Ana ne pouvait se le figurer.

— Ce s’ra bien plus éprouvant que tout c’que nous avons traversé.

La nordique sentait soudain sa poitrine s’alourdir d’un nouveau poids tandis que sn cœur se durcissait, ne devenait qu’une balle de plomb de laquelle aucune larme, aucune joie, aucune foi ne pouvait s’extirper. Apathique, sinon découragée, désespérée.

Elle réalisait ce qui allait lui arriver.

La mort.

Les roues du coche s’étaient ébranlées, quittant les routes pavées pour pénétrer sur une allée en terre battue.

Depuis l’archère, Linnea avait distingué de hauts murs de pierre que des vitraux trouaient à intervalles réguliers, la haute flèche d’une cathédrale de laquelle se glissaient les chants doux des religieuses célébrant les matines. Elle avait senti ses lèvres remuer, murmurer les paroles de ces litanies qu’elle chantait d’ordinaire chaque matin pour célébrer ce nouveau jour offert par le Très-Haut. Sa voix s’était élevée malgré elle, résonnait dans le fiacre sinistre qui se substituait à l’église. Chassait sa tristesse, ses appréhensions tandis que les chevaux étaient mis à l’arrêt, les portes du fourgon ouvertes.

Toutes trois avaient plissé les paupières, aveuglées par la lumière crue du jour, s’étaient serrées les unes contre les autres comme des bêtes effrayées par l’abatteur. Une compagnie de la milice inquisitoriale les attendait.

— Sortez.

Et sans attendre qu’elles ne fassent un seul mouvement, les hommes en armures étaient entrés dans la diligence, les saisissant, les poussant hors de leur prison pour mieux les harnacher les unes aux autres, liant chevilles aux chevilles, poings aux poings.

Et d’un seul être, l’on les avait pressées, tirés vers leur nouvelle geôle, les brusquant comme du bétail mené à l’abattoir.


Texte publié par Yukino Yuri, 25 mai 2021 à 00h43
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