Cela avait semblé une éternité, quand en réalité Magdala ne s’était lamentée que durant une courte minute.
Puis le silence. Les deux amantes s’observaient sans mot dire, digérant tous ces mots lancés, ces larmes, ces cris.
Lavende avait la gorge brûlante, le souffle raccourci par les sanglots, reniflait bruyamment comme une enfant. Envolée sa belle prestance, son maintien, son attitude de dame. Peu lui importait cela.
Ana avait serré les dents, déglutissant bruyamment. La boule qui s’était formée dans sa gorge lui faisait mal. Elle s’était détournée, levant les yeux vers le ciel gris, lourd, que la fumée obscurcissait.
— Et si telle était la volonté du Très-Haut ?
La vestale avait sursauté si vivement que le linge qu’elle avait maintenu contre son front lui avait échappé.
— Q…Quoi… ?
— Vous m’avez entendue.
— Si fait mais… Comment savoir ?!
— Et comment savoir si ce que nous avons fait déplaît au Ciel ?
— Parce que je suis consacrée…
— Sacrifiée serait le meilleur mot. Etait-ce à la demande du Très-Haut ? Etait-ce écrit dans les Textes ? Non. Qui a décidé de l’existence des Magdala, si ce n’est point du fait du Ciel ou de Mariam de Magdala ? Ce sont les Hommes. Le clergé. L’Eglise.
— Ana !
— Lavende, admettez-le ! Vous n’avez point de moyen de savoir ce qui plaît ou non au Très-Haut ! Moi non plus par ailleurs, je ne me permettrai point un tel blasphème que celui d’assurer savoir ce que pense notre Créateur.
— Il ne faudrait point…
— En effet. Cependant, les Ecritures nous enseignent bien assez les desseins du Ciel pour Ses créatures. « Vos filles, non point par contrainte mais par désir pour Lui, deviendront épouses du Très-Haut, sinon épouse d’un homme. Gare à celui qui consacre un être contre son gré car alors il sera considéré par le Ciel comme un scélérat ! ». Voilà ce que nous apprennent les Textes à ce propos.
— Ce n’est point contre mon gré…
— Vous a-t-on demandé votre consentement ?
— Non… Mais ma naissance…
— Votre naissance ne devrait pas entrer en compte. Vous a-t-on demandé si vous souhaitiez prendre le voile ?
— Non, comme tant de femmes que les familles abandonnent dans des couvents !
— On ne leur demande pas ensuite de se reproduire avec un prêtre ! Ce serait considéré comme un grave péché et l’Eglise condamnerait cet acte !
Magdala s’était tue, les joues en feu, le souffle court. Sa tête bouillonnait de ces nouvelles idées, ces nouvelles connaissances qui venaient contredire tout ce qu’elle savait déjà, ébranlaient ses convictions. Qu’est-ce qui était vrai, au final ? Elle avait grandi avec une vision altérée du bien et du mal, une vision étriquée du monde et de la nature humaine… Et à présent qu’elle considérait les Textes avec une approche différente, d’autres idées naissaient en elle et lui donnaient à réfléchir plus encore. Qu’est-ce qui était juste ? Qu’est-ce qui était mal ?
— Alors…
— Alors faisons ce qui est juste à nos yeux. Nous ne sommes point amorales, n’avons pas goût pour le péché envers nos frères et envers nous-mêmes.
— Mais l’Église…
— L’Église a sa propre justice et c’est celle-ci ! avait-elle déclaré impétueusement en balayant le paysage de la main. Si cela est votre justice, celle que vous jugez légitime…Alors retournez au sanctuaire. Prosternez-vous, implorez le pardon des prêtres, faites ce que vous avez à faire.
— Non…
— Si cela vous est impossible, alors demeurez seulement honnête avec vous-même. Vos choix ne seront peut-être pas les bons, sans doute ferez-vous des erreurs, mais vos décisions seront toujours honorables si vous les faites avec intégrité et respect de votre prochain.
Magdala était restée coite, son regard brillant de cette émotion qu’elle contenait de son mieux. Une vague d’un soulagement salvateur avait balayé au loin la peur qui lui rongeait l’âme. Les mots d’Ana étaient comme autant de baume sur ses plaies de cœur, autant de miel qui calmait la grosseur dans sa gorge. Pourquoi était-ce toujours si simple ? souriait-elle, vaincue. Pourquoi n’avait-elle aucun argument pour la contrer ? Pourquoi son humeur s’étouffait si aisément sous le sourire d’Ana ?
— Ana…
Elle avait passé une main sur ses yeux.
— Faites-moi confiance, Lavende…
Les lèvres d’Ana sur le dos de sa main l’avaient fait frémir.
— Je vous fais confiance, Ana. Plus qu’à n’importe qui, plus qu’en n’importe quoi en ce bas monde.
Elle ne mentait point. Elle n’inventait rien. Si elle devait mettre sa vie entre ses mains –n’était-ce point déjà le cas ?- elle n’hésiterait pas.
— Aya ! Attrapez !
Une corde s’était déroulée jusqu’au glacis, sa queue tombant lourdement dans la poussière. Elles avaient levé les yeux de concert pour constater le visage victorieux de Moea penchée sur elle.
— Allez-vous bien ?
Linnea s’était inclinée à son tour, la corde au poing.
— Ana s’est blessée au côté, avait souligné Magdala d’une voix tremblante, il faut quérir un médecin !
— Aya, miséricorde ! Remontez d’abord en f’sant ‘ttention à vous, j’regarderai après.
— Allez-y, Min Däm, l’avait invitée Ana par souci pour elle. J’assure vos arrières, et je vous rattraperai si vous veniez à choir. Je vous emboîte le pas dès que vous êtes là-haut.
Elle avait saisi le bout de la corde, l’enroulant plusieurs fois autour de la taille de Magdala avant de sécuriser le tout avec un nœud si serré qu’il lui avait arraché un cri. Puis la vestale avait engagé sa lente ascension, posant prudemment ses mains sur les prises qui s’offraient à elle.
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