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saison 3, Chapitre 25 « Efterhängsen - Hantise » saison 3, Chapitre 25

Magdala avait revêtu son voile, le fixant séant sur ses cheveux. Les épingles collaient à ses mains moites qui rendaient ses gestes maladroits. Dans l’obscurité de ce qu’elle craignait de considérer comme un tombeau –celui d’anciens mineurs, ou le sien ?-, de vieilles peurs refaisaient surface. Dans le silence, elle avait cru ouïr un sanglot.

« Lavende… »

Cette voix… Ce timbre plein de larmes… Il se glissait jusqu’à ses oreilles depuis le tunnel qui ouvrait béantes ses lèvres de pierre. Elle avait fixé ce passage que les ténèbres engloutissaient. Et les sanglots, les hurlements douloureux, cette voix pitoyable qui l’appelait de ce nom que personne d’autre qu’Ana et sa génitrice ne connaissaient retentissaient davantage, l’assourdissaient.

« Le Très-Haut te regarde… »

Elle avait senti son cœur se comprimer d’horreur. S’emballer la seconde d’après. Lentement, elle s’était approchée de cette bouche effrayante toute prête à l’engloutir, sortant malhabilement sa dague, tremblante de tous ses membres. Un courant d’air glacé avait frôlé ses joues, fait frémir son voile. Dans l’odeur humide, un effluve lointain, vivant.

Sa main glissait sur la paroi irrégulière tandis que les ténèbres la privaient progressivement de sa vue.

« Le Très-Haut te regarde. Sais-tu ce qu’Il voit ? »

Perdue dans le noir, la dague pointée devant-elle, elle frissonnait.

« Il voit une pècheresse ! »

La voix sanglotante prenait des accents railleurs.

« L’Enfer t’attend ! »

Magdala avait rouvert les yeux. Le visage grimaçant de la pleureuse s’était braqué devant-elle, lui coupant la voix, le souffle, l’esprit. Elle avait ouvert sa bouche décharnée, sa bouche semblable à un trou noir prêt à tout engloutir. Sur ses joues, des larmes grosses comme des grêlons roulaient sans jamais s’arrêter. Cette vision lui avait fait perdre le contrôle de ses membres. Elle avait chu, ses mains s’étaient ramollies sur le manche de son arme. La dominant de toute sa monstrueuse hauteur, la figure grimaçante semblait prête à l’engloutir. Le silence l’assourdissait. Elle n’entendait plus Ana, Moea ou Linnea, voulait les appeler sans qu’aucun son ne franchisse sa gorge. Et ce silence qui resserrait sa poigne sur elle, cette peur, ce visage, ces yeux !

« Tu ne sortiras jamais d’ici ! »

Magdala voulait crier mais aucun son ne traversait ses lèvres.

« Voici l’Enfer ! »

Un hurlement hystérique avait éclaté dans le silence.

Ana, Linnea et Moea avaient accouru, inondant de lumière la galerie. Magdala était demeurée prostrée contre la roche, la lame dressée dans le vide, ses yeux opiniâtrement clos, le visage couvert de sueur, poussant des cris stridents.

— Qu’esqu’y a ?! T’as vu quequ’chose ?!

De concert, Moea et Linnea avaient brandi leurs lanternes vers le couloir afin d’y distinguer, sinon constater une possible présence. Mais rien aux alentours ne vivait. Elles s’étaient enfoncées davantage, Moea en avant, Linnea assurant ses arrières mais au bout de quelques mètres, force était de constater qu’elles étaient bien seules.

— N’y a-t-il vraiment rien ? avait insisté Magdala en s’agrippant aux bras qu’Ana lui tendait.

— Rien, j’peux vous l’assurer. Pas d’trace, pas d’silhouette ou d’bruit. Rien.

— Je l’ai vue pourtant ! Elle était là ! Je puis vous le jurer !

— M’est avis, Min Däm, avait sagement professé Linnea, que vous êtes épuisée et que vos nerfs se jouent de vous.

— Aya, dans l’noir parfois, on peut voir de ces choses…

— Mais je l’ai vue !

Ses deux aînées avaient poussé des soupirs sceptiques, tendaient l’oreille, jetaient des regards alentour. Mais il n’y avait point d’autres âmes que les leurs, et Magdala avait dû se laisser raisonner.

— Tout va bien, rien ne saurait vous arriver tant que nous sommes là.

— Faudrait sortir maintenant… Pasque bon, les souterrains, c’pas folichon pour voyager. On va vite perdre nos r’pères, manquer d’eau et y laisser le sens.

Linnea avait maugréé que cela viendrait tout en retournant sur ses pas, vite suivie par Moea qui arguait qu’espérer ne suffisait pas et qu’il fallait se hâter. Leurs voix bientôt ne furent plus que des échos lointains qui depuis l’antichambre caverneuse résonnaient faiblement dans les galeries.

La vestale était demeurée le front enfoui contre le sein d’Ana, ses yeux fébrilement allant et venant à l’endroit où auparavant se tenait la monstrueuse figure qui la hantait depuis son départ du sanctuaire. Il n’y avait plus rien. Néanmoins, son esprit encore sur le qui-vive était sans arrêt preste de la rappeler à ses peurs, ses chimères cauchemardesques et elle accentuait toujours plus sa poigne sur la manche de sa compagne. Cette dernière, avisant le corps frémissant qui se lovait douloureusement contre elle, frottait lentement son dos dans l’espoir de l’apaiser sans vraiment savoir face à quelle blessure, quel traumatisme elle se dressait.

À chaque son, chaque caresse de ce vent lège, elle relevait un visage alerte, la main se ruant sur sa dague. Mais rien ne se trouvait face à elle, sinon les ténèbres, et elle s’empressait alors de couvrir de nouvelles caresses la vestale. Se raccrochait presque à sa détresse animale comme pour mieux omettre l’affliction qui la saisissait dès lors que son esprit se prenait à raisonner. Le rouge du sang alors s’imposait si puissamment à elle qu’il la privait de ses sens, la maintenait dans un état las, hébété. Presque dément d’inquiétude.

L’avait-elle tué ?

À cette interrogation sans réponse, elle était prise de tremblements, de suées. Elle n’avait point voulu cela. Enfin si, elle l’avait certainement désiré dans une ridicule parcelle d’elle-même qui, dans un moment de panique, avait pris le siège de sa raison et inspiré son bras.

Pourtant, conscience retrouvée, chaque minute de réflexion l’accablait. Lui revenait ce funeste ordre des Écritures qui l’avait faite tressaillir chaque fois qu’elle l’avait lu ou entendu :

« Si ton bras te pousse à fauter, coupe le. »

Couper son bras…

« Car il vaut mieux entrer manchot dans la vie éternelle… »

Cela suffirait-il à payer son crime ? Avec son bras ?

« Que de pourrir jusqu’à la fin du monde dans la Géhenne. »

— Ana.

Les doigts de Magdala serrées sur son poignet l’avaient tirée de sa sombre méditation.

— Je vous en prie, quittez la garde de votre dague.

Ana avait lancé à la vestale un regard troublé. Puis ayant baissé le front, elle avait lentement retiré de son poignet la lame qu’elle y avait enfoncé dans un instant d’égarement.

— Et retirez ce commandement de votre esprit, il n’est point à prendre au sens propre.

— Pardon ?

Elle avait levé vers la vestale un visage interdit. Croisé ce regard violet trop plein des spectres avec lesquels elle avait grandi, trop plein de cette spiritualité calme qui la dépassait. Trop calme. La jeune fille qui tantôt tremblait dans ses bras semblait ne plus être. Ne restait que ce mythe de chair et de sang qui parfois revêtait les traits de son amante.

— Si vous attentiez à votre corps, vous abimeriez la création du Ciel. C’est une faute plus grave encore que de blesser son prochain.

— Min Däm…

— Ôtez-vous ce commandement de l’esprit, avait-elle répété tandis qu’elle bandait avec attention la plaie à son poignet. S’il vous plaît.

— Comment savez-vous… ?

Cet air mystérieux, encore.

— Vous l’avez récité, ne l’avez-vous point remarqué ?

— Non…

Et elle n’en avait point le souvenir. Avait-elle été dans un tel état délirant au point de ne pas avoir mémoire de cela ou…?

— Êtes-vous sûre de bien m’avoir entendue… ?

Magdala avait sensiblement suspendu son geste.

— Si fait.

L’instant d’après, la divine figure s’en était allée. Ses yeux, ses oreilles, sa bouche qui semblaient par un don des cieux ou des enfers voir, ouïr, augurer l’imprévisible avaient revêtu des atours plus quelconques, perdu de cet éclat mystique qui la détachait du monde.

Magdala lui souriait avec candeur, de cet air curieux qu’elle prenait toujours lorsqu’Ana semblait déroutée, égarée face à elle.


Texte publié par Yukino Yuri, 4 avril 2021 à 14h11
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