Il y avait eu d’abord l’angoisse, la peur que lui inspirait le lendemain, cette appréhension qui enfonçait profondément ses crocs acérés dans son âme. Elle craignait de ne point être à même d’assumer les diverses épreuves que le destin saurait mettre sur leur chemin, de ne pas se montrer digne des attente de Magdala, de Magdala elle-même. De s’être condamnée, par orgueil, par entêtement à une existence misérable.
Puis étaient venus les remords.
Les regrets que Linnea lui avait augurés à Lunthveit, non point pour l’effrayer mais pour la prévenir. Accepter, reconnaitre qu’elle s’était détournée de la voie à laquelle elle s’était vouée toute son existence lui crevait le cœur. Admettre que ce destin dont elle rêvait, dont elle avait rêvé à chaque instant de son existence était définitivement hors d’atteinte la détruisait, l’idée même qu’elle l’avait sacrifié pour faire ce qu’elle espérait être juste –mais que la multitude ne cessait de définir comme un sacrilège- l’anéantissait. Elle avait péché par conviction. Et voici qu’elle réalisait que son châtiment la poursuivrait jusqu’à son dernier souffle. Elle ne serait jamais prêtresse. Et se répéter cela, non plus comme une pensée triste entre deux autres joyeuses mais comme une évidence, une réalité emplissait son esprit de sombres réflexions qu’elle regrettait dans l’instant. Faisait rouler sur ses joues de plus lourdes larmes qu’alors.
« Ah, si seulement tu ne l’avais pas rencontrée. »
Ana avait secoué la tête pour se défaire de ces voix sinistres dont usait cruellement sa Raison.
« Si seulement elle n’avait pas posé les yeux sur toi. »
— Silence.
« Si seulement tu n’avais pas eu pitié d’elle. »
— Assez…
« Tu as été sotte, Ana. Chacun sa vie, chacun son destin. Tu as voulu te dresser contre le Ciel ? Orgueilleuse. »
— Assez…
Sa voix enflait dans sa gorge.
« Si seulement tu ne t’étais pas détournée du Très-Haut. »
— Assez !
Son cri avait rompu le silence, s’était élevé en échos jusqu’au ciel. Dans sa tête, le calme soudain.
Elle s’était levée sans même le concevoir, ses poings serrés sur son corsage. Tremblait, sanglotait plus encore, accablée par les imputations sous le poids desquelles elle tombait à genoux.
Au fond d’elle-même, elle avait conscience que quelque chose avait évolué, s’était éveillé d’un long sommeil. Le mot « amour », dans un sens plus charnel quant auparavant il revêtait un caractère plus spirituel, s’imposait sans cesse à elle. Les mots du vieux prêtre lui revenaient, tantôt la rassuraient, tantôt la troublaient.
« L’amour t’a rendu aveugle, Ana. », lui avait assené sa Raison pour mieux la mettre à terre.
Ana ignorait tout de l’amour.
Bien-sûr, elle aimait son père, sa mère, ses frères cadets, ses amies… Mais cet amour-ci, encré depuis longtemps dans son cœur, n’avait rien de commun avec l’amour galant, l’amour romantique comme elle se l’imaginait. Comme le brossaient ses romans. L’ardent amour qu’elle vouait au Ciel, également, ne pouvait être comparé à l’attachement humain. Il dépassait la raison, transcendait l’âme.
Quand elle pensait à Linnea, une vive affection mêlée à un respect inébranlable prenait l’ascendant dans son esprit.
Quand elle songeait à Moea, c’était de l’admiration, de l’envie quant à la grâce, au charme naturel de la danseuse.
Le visage de Magdala, lorsqu’il s’était présenté à elle, avait fait bondir son cœur de cette joie piquante, cette peine douce. Elle se sentait chavirer ; s’embraser. Sans pour autant ressentir ces sensations déroutantes, passionnées, brûlantes que les plumes romantiques narraient à loisir, Ana découvrait cette affection curieuse qu’elle dédiait à Magdala. Loin de l’amitié qu’elle avait cru auparavant lui vouer.
Ses yeux secs s’étaient humidifiés à nouveau, laissaient échapper de nouvelles larmes.
Abattue, elle s’était laissé lourdement tomber sur le muret, s’y recroquevillant, la tête enfouie dans ses paumes. Des gémissements misérables s’extrayaient de sa gorge, s’arrachaient à sa poitrine. Ses nerfs, à force de fatigue, de peur, de confusion, cédaient.
« Pour moi, l’amour pour le Très-Haut et celui que l’on voue à son épouse sont complémentaires. Not’cœur est bien assez grand. »
Elle avait porté une main fébrile à la fleur d’amandier que le vieil homme avait glissé contre son oreille. L’avait enfouie au creux de sa paume pour tenter d’en extraire un peu de réconfort, d’aide. Et sa Raison, comme pour mieux l’achever, dans sa tête réaffirmait :
« L’amour t’a rendue aveugle, Ana. »
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