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saison 1, Chapitre 21 « På andra sidan dörren- De l'autre côté de la porte » saison 1, Chapitre 21

Le vase vide au-devant du lutrin lui revint en mémoire vivement comme reviennent les paroles d’une chanson oubliée à l’écoute de quelques notes familières, lorsque ses yeux perçurent la blancheur des lys fraichement éclos.

À côté des simples qu’elle cultivait dans le petit carré de terre qu’entourait le cloitre, la corolle élégante lui semblait d’une délicatesse divine, et ce même depuis le seuil du foyer dans lequel elle avait filé tout le jour durant. Trois bobines de chanvre, dans l’attente d’être teintes, reposaient sur ses genoux. Une quatrième à demi-faite patientait, le fil tendu, sur l’épinglier du rouet. Le soleil s’était retiré, constata-t-elle en remarquant qu’elle ne parvenait plus à vérifier son ouvrage sans chandelle. Une journée de silencieuse retraite s’était écoulée. Un soupir de dépit lui fendit la poitrine.

Combien de temps durerait encore cette triste existence ? interrogeait-elle le ciel à peine visible par une trouée dans le déambulatoire qu’une glycine foisonnante obstruait, laissant chuter des cascades fleuries grimant une pluie par trop rare dans la contrée.

Combien de temps faudrait-il encore avant que l’on la laisse en paix ? se questionnait-elle tandis qu’en pénétrant dans le cloitre, elle se laissait enivrer par les effluves parfumés des aromates et des plants fruitiers arrivés à maturation.

Relevant sa longue robe de soie bleu lunaire afin de ne pas en salir l’ourlet brodé, la coinçant dans la ceinture de son scapulaire en coton, elle quitta la pierre glacée pour s’enfoncer dans la cour exigüe. Sa main se saisit d’une tige puis d’une autre, les tordant, coupant les têtes fleuries, s’égarant sur les tépales çà et là tachés par le pollen ocre. L’odeur des lavandes s’était glissée jusqu’à ses narines, l’inspirant pour son bouquet, et c’est tout naturellement qu’elle en cueillit quelques brins pour les coupler aux lys. La modestie des lavandes violettes se mariait joliment aux imposantes fleurs blanches, et c’est quelque peu satisfaite de sa composition qu’elle retournait dans le cloitre, ses pieds nus retrouvant la dureté désagréable de la pierre. Sans doute les lys n’étaient-ils pas une offrande de premier choix pour Mariam de Magdala, l’on préférait orner les chapelles dédiées à Mariam de Nazareth de ces fleurs rappelant la virginité de cette femme bénie par les cieux.

Elle s’entêta néanmoins, rassemblant le bouquet au creux de son coude, usant de son autre main pour rabattre le pan relevé de sa robe sur ses jambes dénudées. Il aurait été fort peu convenable que quelqu’un la surprenne dans pareille tenue. Elle, une dame de qualité élevée pieusement ! L’on aurait tôt fait de l’accabler de moult sermons si d’aventure un prêtre la surprenait ainsi.

Elle était retournée au sein du foyer, avait allumé une chandelle, attisé le feu qui ronflait dans l’âtre. Elle savait que le Père Erik devait la visiter ce soir, et il aurait été impensable que la pièce soit glacée et maussade. Les flammes, défiant celle plus timide de la chandelle, se répondaient dans l’obscurité, faisaient grimper leur lueur dorée contre les pierres vieillissantes de l’aile, la courroie du rouet, les pieds sculptés des meubles, y traçant d’étranges formes, recréant avec l’ombre les contours de la pièce de vie. La jeune fille, libérant son tabouret de travail des bobines qui l’encombraient, considéra ce spectacle d’un œil distrait.

Depuis quand ce jeu d’ombres lui semblait-il aussi morne ? Enfant, c’était pour elle le meilleur moment de la journée, celui où le Soleil retiré et la Lune encore ensommeillée se mêlent avec fougue comme deux amants s’enlaçant dans une même couche, réinventant le monde, lui offrant un nouveau visage.

Retirée sous la table, cette fantaisie ordinaire lui apparaissait aussi précieuse qu’une vision divine ; et elle la chérissait avec tant de zèle que jamais elle n’en ratait le début. Ce monde-là, son seul monde… Tout cela désormais lui semblait d’un fade intérêt.

Ayant constaté la propreté de son ménage, elle abaissa la poignée du battant ouvrant sur la chapelle –cette chapelle dans laquelle elle avait passé des journées entières, sa chapelle. L’abside et le chœur privés de la fière lueur du jour se lamentaient dans l’obscurité, à peine éclairés par les flammes vacillantes sur les mèches des cierges. Elle se fit la réflexion que bientôt il faudrait changer les bougies. Ses doigts cependant avaient suspendu leur geste tandis qu’elle s’apprêtait à ouvrir l’un des tiroirs de l’armoire sacristine.

Par-delà la Table, brillants à la clarté diffuse des candélabres, deux yeux protubérants la fixaient ardemment, pénétrants de sollicitude, effrayamment circonspects. Deux perles d’azur, çà et là voilées par de brouillonnes mèches d’un blond sale.


Texte publié par Yukino Yuri, 1er octobre 2020 à 00h26
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